Lettre ouverte à Madame DEBRE


Isabelle Debré, ancienne mannequin, reconvertie en politique

 

 

Lettre ouverte à Madame DEBRE*, 

* sénatrice qui a déposé l’amendement permettant au commerce de l’ameublement d’ouvrir tous les dimanche sur la France entière dans le cadre de l’article L.221-9 du Code du Travail qui prévoit des dérogations de plein droit

 

 

 

 

Maître Vincent LECOURT
1 rue séré depoin
95300 PONTOISE

Madame Isabelle
DEBRE
                                              Sénatrice
Palais du Luxembourg
26 rue de Vaugirard
75291 PARIS CEDEX 06

                                                                                      

                                                                            Pontoise, le 22 décembre 2007

 Par courrier et courriel i.debre@senat.fr 

 

Madame la Sénatrice, 

Au cours de l’examen au Sénat de la Loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, vous avez usé de votre droit d’amendement en insérant dans ce projet de Loi une disposition permettant au commerce de l’ameublement, celui du bricolage et de l’équipement de la maison d’ouvrir désormais de manière habituelle le dimanche. 

Pour justifier le maintien de votre amendement, lors de son passage par la Commission, vous l’avez limité au seul secteur du commerce de l’ameublement.

 En séance, vous vous en êtes justifié en déclarant :

« Si je ne suis pas allée aussi loin que je l’aurais souhaité, et si j’ai rectifié cet amendement en le limitant aux commerces de détail d’ameublement, c’est parce que je tenais à ce que l’ouverture des magasins le dimanche se fasse sur la base exclusive du volontariat des salariés et de compensations financières importantes, deux conditions qui devaient m’être assurées.

Il se trouve que l’ameublement bénéficie d’un accord collectif étendu protecteur des droits des salariés sur ces deux points. Celui-ci prévoit, en effet, une majoration de salaire de 100 % pour les heures effectuées le dimanche ; un repos compensateur d’une durée égale au repos supprimé, en plus du repos obligatoire un autre jour de la semaine ; un préavis d’une semaine à l’avance ; le seul volontariat du salarié. »

Vos arguments ont finalement conduit vos collègues à voter l’adoption d’un amendement qui n’était pas prévu dans le cadre de cette Loi, sans permettre le moindre débat devant l’Assemblée Nationale et la moindre consultation des partenaires sociaux. 

Je cite Monsieur CORNU, rapporteur du projet de Loi, en réponse aux exclamations des sénateurs lorsqu’il a fait l’éloge de votre fibre sociale.

« Eh oui, je n’hésite pas à le dire ! Mme Debré connaît parfaitement le sujet et je pense qu’on peut lui faire confiance ! » 

Monsieur CHATEL, secrétaire d’Etat, qui connaît bien également son sujet pour avoir reçu les contrevenants après leurs condamnations par le juge judiciaire, de confirmer : « Vous l’avez justement rappelé, madame Debré : dans l’ameublement, chaque dimanche travaillé, et ce sur la base du volontariat, est payé double, et un repos compensateur d’une journée est prévu. » 

Je cite également Madame PROCACCIA : « Je suis très favorable à l’amendement n°66 rectifié ter. J’avais fait part à Isabelle Debré de mes réticences concernant la première version de son amendement, dans la mesure où celle-ci ne faisait référence ni au volontariat ni à une convention collective.

Tout comme M. le rapporteur et M. le secrétaire d’État, je veux féliciter ma collègue, car elle est allée chercher – et elle a eu du mal à les trouver ! – les informations précises lui permettant de présenter un amendement, qui est, madame Terrade, soutenu par le groupe de l’UMP, en tout cas par la plupart de ses membres. »

C’est donc vous qui êtes allée chercher les renseignements permettant de rassurer vos collègues.

Où ? je me le demande encore… 

Peut-être auriez vous dû interroger un Avocat. Il en est de nombreux spécialisés en matière sociale, qu’ils soient d’ailleurs favorables ou hostiles au repos dominical, notamment dans le Val d’Oise. 

Si j’avais été interrogé, j’aurais été plus que serviable, à n’en pas douter, pour vous éviter de vous tromper, 

Surtout autant, 

Surtout devant tant de conséquences. 

Je le fais après coup hélas aujourd’hui et vous cite les textes existants. 

Ce sont les seuls susceptibles d’application dans la branche du commerce de l’ameublement qui bénéficiera désormais de la disposition que vous avez initiée après le vote dans les deux assemblées du texte de la commission mixte paritaire.

Extrait de la Convention Collective Nationale du Négoce de l’Ameublement(Source : Legifrance – Rubrique Conventions Collectives)

Article 33 

TITRE VI : Rémunération.
Travail de nuit, des jours fériés, et exceptionnel du dimanche.

en vigueur étendu 

B- Pour tout travail exceptionnel du dimanche (dans le cadre des dérogations à l’interdiction légale) conformément au code du travail, les heures effectuées sont rémunérées sur la base des heures normales majorées de 100 %, ainsi qu’un repos équivalent aux heures travaillées le dimanche

Pour les salariés rémunérés à la commission ou au rendement, ils devront être assurés de recevoir, ce jour-là, un salaire au moins égal au double de la rémunération ramenée sur une base horaire moyenne des 12 derniers mois de travail hors travaux
exceptionnels.

Extrait de la Convention Collective Nationale de l’Ameublement
du 5 décembre 1955
(Source Legifrance – Rubrique Conventions Collectives) 

Article 55
CHAPITRE Ier : CLAUSES GENERALES.
DURÉE DU TRAVAIL – HEURES SUPPLÉMENTAIRES HEURES DE DÉROGATION.

Travail exceptionnel du dimanche, des jours fériés et de nuit.

Dénoncé

« Le travail est dit de nuit lorsqu’il est exécuté entre 22 heures et 5 heures du matin.

Tous travaux exceptionnels du dimanche, des jours fériés et de nuit donneront lieu à une majoration de 100 p. 100 du salaire horaire effectif, incluant, le cas échéant, toutes majorations pour heures supplémentaires.

Le repos compensateur donné à la suite d’un travail exceptionnel exécuté par un ouvrier ne devra pas avoir pour effet de réduire son horaire hebdomadaire habituel. »

 

Voilà l’ensemble des textes qui existent au niveau de la branche de l’ameublement. Je n’en connais pas d’autre. 

En premier lieu, comme vous le constatez, il n’y a trace d’aucune référence au volontariat des salariés. 

On pourrait penser qu’il restera au moins la majoration pour le travail accompli le dimanche. 

Le seul ennui c’est que la jurisprudence a déjà été amenée à expliquer que ces textes ne s’appliquent pas au travail habituel du dimanche mais seulement au travail exceptionnel du dimanche, celui qui correspond aux dérogations accordées par l’autorité administrative. 

Extrait de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation
(Source : Légifrance – Rubrique Jurisprudence du juge judiciaire)
(Arrêt du 31 janvier 2006 publié au bulletin civil – pourvoi n°04-40985)

« Attendu cependant, qu’aux termes de l’article 55 de la Convention collective nationale de l’ameublement du 5 décembre 1955, “Tous travaux exceptionnels du dimanche, des jours fériés et de nuit donneront lieu à une majoration de 100 % du salaire horaire effectif, incluant, le cas échéant, toutes majorations pour heures supplémentaires” ; qu’il en résulte que le caractère exceptionnel des travaux visés par la convention collective rend ce texte inapplicable au salarié qui travaille habituellement le dimanche ; » 

Comme vous pouvez le constater, aucun des textes conventionnels ne peut donc s’appliquer à la situation issue de la Loi qui a été votée et qui transforme le travail du dimanche dans le secteur de l’ameublement en un travail habituel.

En réalité, vous vous êtes trompée.

Il n’existe aucune des deux contreparties qui justifiaient pourtant du maintien de cet amendement et en conduisant le même raisonnement, cela aurait dû en justifier l’abandon, comme vous avez abandonné celui présenté pour les deux autres secteurs, lors de l’examen de votre texte en commission.

La raison en est à la fois simple et logique, à la portée de chacun.

La Loi ne permettait pas de prévoir un travail habituel le dimanche.

Il était donc tout simplement impossible aux partenaires sociaux de prévoir une disposition conventionnelle qui aménage une hypothèse par définition inenvisageable car illicite…

J’aurais aimé connaître la source de votre information pour savoir si vous vous êtes trompée ou si quelqu’un vous avait trompé. 

Ce ne peut sûrement pas être la société Conforama en tout cas puisque l’arrêt de la Cour de cassation que je reprend concerne cette société qui ne peut donc l’avoir ignoré. 

Ce ne peut être non plus Ikéa puisque chacune de ces deux enseignes a demandé cette année, lors des négociations de branche, qu’il y ait une ouverture de discussion sur un texte sur le travail habituel du dimanche, ce qui a été refusé par les organisations syndicales de salariés et par la fédération de l’ameublement en raison du refus de revenir sur le principe du repos dominical. Elles savaient donc qu’il n’existait pas. 

La prochaine fois qu’en urgence, vous déposerez un texte commandé par les circonstances pour permettre de légaliser des pratiques dont le juge s’est borné à rappeler qu’elles étaient illégales en donnant des moyens pour faire respecter les droits des salariés, le mieux serait de vérifier vos sources et pourquoi pas, de les croiser. 

Cela évitera de donner ainsi à vos collègues des informations fausses pour les convaincre de voter ce qu’ils n’auraient pas autrement voté. 

C’est d’autant plus vrai que comme vous le constatez, mes sources émanent d’un site gouvernemental. L’information est accessible par internet d’un simple clic. 

Le site Legifrance a été initié pour que les citoyens de ce pays puissent accéder à la Loi qu’ils sont censés ne pouvoir ignorer. 

De la part d’un parlementaire, son utilisation est la moindre des choses que l’on pourrait attendre. 

Je pense donc que vous avez commis une erreur. 

Le but de cette lettre ouverte est de vous le démontrer d’une part et surtout de vous permettre maintenant d’avoir à coeur de la réparer. 

Ce qui arrive permet de comprendre pourquoi de nombreux parlementaires de droite comme de gauche ont été amenés à critiquer la méthode utilisée pour l’adoption de cette disposition, sans débat de fond, sans un examen complet et un état des lieux. 

En évitant le débat et en passant par une urgence justifiée par un souci de légaliser des comportements illicites, aucun de vos collègues n’a pu repérer cette erreur et la rectifier…

Même si nous ne partageons pas la même analyse quant à la nécessité de maintenir le repos dominical, votre engagement à faire évoluer cette législation en maintenant des contreparties aux salariés devrait vous conduire à demander la suppression de votre amendement. 

Vous êtes d’autant plus légitime à le faire qu’il faut du courage politique pour admettre une telle erreur faite de bonne foi. 

C’est ce que je vous demande. 

Dans l’attente,

Je me permets de vous souhaiter, Madame la Sénatrice, de joyeuses fêtes de fin d’année que j’espère en famille. 

Vincent Lecourt

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