Rupture dominicale

LÉGISLATION Attaquées par les syndicats, des enseignes de l’équipement de la maison ont décidé de lutter ensemble pour le maintien de l’ouverture du dimanche en Île-de-France. Une action qui soulève un tollé du côté des syndicats alors qu’une loi se profile pour 2008.

Un article de LSA du 11/10/2007

Dans le bras de fer qui oppose les syndicats et les enseignes d’équipement de la maison sur la difficile question de l’ouverture du dimanche, tous les coups sont décidément permis!

Attaqués et condamnés en justice à fermer plusieurs magasins du Val-d’Oise suite à des recours en cascade de la part de Force ouvrière pour non-respect du repos dominical, Conforama, lkea, But, Alinéa, Fly, Atlas et Crozatier ont enclenché le levier médiatique pour faire entendre leur cause.

«À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles », disent-ils. «L’urgence de la situation justifie cette démarche commune inédite. La fermeture de nos magasins le dimanche fait peser une menace grave sur les consommateurs, sur les emplois, sur l’activité économique de nos enseignes et sur le secteur de l’équipement de la maison en général», a défendu Christophe Cuvillier, PDG de Conforama, lors de la conférence de presse du 2 octobre.

«Inacceptable, partisane, injustifiée», cette démarche a suscité de vives réactions de la part des sydicats. «La direction, en ouvrant illégalement depuis plusieurs années le dimanche, a embauché des salariés alors qu’elle savait qu’elle pouvait être attaquée à tout moment. Elle est donc seule responsable des difficultés des salariés», répond Manuel Marini, élu CGT secrétaire du comité central de Conforama. «Cette attitude provocatrice et irresponsable met volontairement en danger l’équilibre économique des magasins concernés, en les exposant à la liquidation des astreintes», poursuit Christian Le Comte, secrétaire adjoint de FO Commerce.

Unis pour braver la loi

De g. à ci., les DIRIGEANTS d’Alinéa, Didier Dubois, d’Ikea, Jean-Louis Baillot,  de Conforama, Christophe Cuvillier, et de But, Daniel Fontaine, ont décidé de faire front commun.

Malgré la menace d’avoir à payer de lourdes amendes, parfois bien supérieures aux marges dégagées ce jour-là, toutes les enseignes condamnées ont choisi de braver l’interdiction.

Conforama, qui risque 50000 € d’amende pour chacun de ses trois magasins, a décidé, après avoir fermé deux dimanches, de les rouvrir le 30 septembre. Et ce après avoir reçu le soutien des salariés et constaté que ses concurrents du Val-d’Oise étaient ouverts. Pour Alinéa, condamnée depuis juin, la facture potentielle atteint déjà les 600000 €!

Quasiment toutes «hors-la-loi», les enseignes d’équipement de la maison se justifient. «Remettre en cause une situation de fait qui existe depuis plus de trente ans serait un non-sens économique! Le dimanche génère pour nos magasins de la région parisienne un taux de fréquentation de 25 à 28 % et un chiffre d’affaires de 22 et 25 % et, pour les 5000 salariés volontaires, un gain de revenus non négligeable», lance Jean-Louis Baillot, directeur général d’Ikea France. Des éléments qui prouvent, selon lui, que le secteur de l’équipement de la maison mérite un traitement particulier, parce qu’il représente pour les clients des investissements importants et réfléchis.

Un régime de faveur qui ne se justifie qu’en région parisienne, où les conditions de vie et de circulation sont très difficiles en semaine. «Notre combat, ce n’est pas la généralisation de l’ouverture du dimanche, mais une revendication sectorielle et régionale», confirme Christophe Cuvillier.

Une requête et des arguments rejetés -sans surprise- en bloc par les syndicats, unis, eux aussi, dans leur combat. «Nous n’accepterons jamais la déréglementation du repos dominical», prévient Manuel Marini.

Dans ce contexte, on voit mal comment le souhait des enseignes d’ameublement de voir les actions syndicales menées à leur encontre suspendues pourrait être réalisé. En revanche, l’appel lancé aux pouvoirs publics afin que les spécificités du secteur et de l’Île-de-France soient reconnues dans le cadre de la révision de la loi sur l’ouverture du dimanche -sans présager s’il sera totalement entendu- tombe à point nommé.

Deux jours après cette conférence de presse inédite, Luc Chatel, secrétaire d’État à la Consommation, confirmait une nouvelle loi pour début 2008. Inappliquée et inadaptée, la loi de 1906, avec ses 180 dérogations possibles, mérite, aux yeux de nombreux patrons et politiques, Nicolas Sarkozy en tête, d’être réformée. Plusieurs fois envisagée mais  jamais validée, l’évolution des règles relatives au repos dominical est un sujet sensible et complexe. «C’est une question de société qui doit être traitée sérieusement», affirme Emmanuel Delabarre, à la tête de Procos.

Vers quelles évolutions?

Alors que le Conseil économique et social (CES) est déjà à l’origine d’un premier rapport sur ce sujet en février, le ministère de l’Économie comme la Commission Attali planchent sur les évolutions possibles.

Plusieurs pistes sont déjà envisagées. La plus simple est évoquée dans le premier rapport du CES : proposer aux commerçants de choisir les dates des cinq ouvertures sans l’intervention des maires et des préfets.

La plus logique est proposée, elle aussi, par le CES et défendue notamment par maître Hittinger-Roux, fondateur et gérant du cabinet H&B: donner le droit d’ouvrir à tous les commerces situés dans des zones touristiques sans avoir à demander d’autorisation individuelle.

Enfin, la plus libérale serait d’autoriser largement – sous conditions l’ouverture du dimanche «avec le risque de créer d’importants déséquilibres sociaux et économiques», souligne Aline Levron, secrétaire nationale responsable du pôle commerce CFDT.

De son côté, le dirigeant d’une enseigne alimentaire réclame… -comme les syndicats, d’ailleurs – la simple application de la loi: « Dans l’Hérault, un préfet nous interdit d’ouvrir le dimanche matin, grogne-t-il. Il contredit ainsi de son propre chef la législation pourtant en vigueur.»

À la lueur des propos tenus le 4 octobre par Luc Chatel, lors d’une conférence organisée parLSA, qui déclarait «vouloir ouvrir les négociations sociales avec les partenaires sociaux pour regarder comment on fait sauter les verrous dans les grandes administrations, les grandes villes et les zones touristiques pour libérer de la croissance», ce n’est pas seulement le commerce, mais tous les secteurs d’activités qui pourraient être concernés. Décidés à se battre pour conserver cet avantage social, les syndicats ont prévenu: «Nous militerons jusqu’au bout contre une déréglementation du repos dominical et n’hésiterons pas à organiser des manifestations pour mobiliser les Français.» Parallèlement aux actions de justice des syndicats, aux voeux des grands patrons et aux déclarations des politiques, la voix de la rue pourrait, à son tour, s’inviter dans ce débat décidément
bien complexe !

 FLORENCE BRAY  

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