Origine du repos dominical

 

Genèse de la loi sur le repos dominical

Source : Libération du jeudi 20 juillet 2006, titre « Le retour du travail le dimanche ? « 

A l’occasion des 100 ans de la loi de 1906 instaurant le repos dominical, l’historien Robert Beck revient sur sa genèse et sa remise en cause récurrente.

Il y a cent ans, le 13 juillet 1906, la loi sur le repos hebdomadaire était promulguée. Elle accorde aux salariés de l’industrie et du commerce un repos de 24 heures après 6 jours de travail. L’article 2 de la loi fixe ce repos hebdomadaire au dimanche. Robert Beck, auteur d’ »Histoire du dimanche : de 1700 à nos jours » (Les Editions de l’Atelier, 1997) et professeur au Centre d’histoire de la ville moderne et contemporaine (CEHVI) à l’université de Tours, revient sur la loi de 1906 et son devenir.

En 1906, instaurer le dimanche comme jour de repos n’est pas nouveau… Qu’apporte de plus cette loi ?

A partir de la loi de 1906, le congé du dimanche n’a plus rien de religieux. Une «loi pour la sanctification du dimanche» avait effectivement été promulguée en 1814, mais elle était tombée en désuétude puis définitivement abolie par une loi de 1880. En 1906, on réinvente le dimanche dans une perspective laïque. La loi repose sur deux valeurs nouvelles, inventées au XIXe siècle : le repos et la famille. Dans les entreprises ou les secteurs où le travail du dimanche est la règle, les salariés sont usés et donc plus souvent exemptés de service militaire. Or, à cette époque, les gouvernements ne peuvent prendre le risque d’armées dépeuplées. Le sujet de la fatigue apparaît alors. Comme celui de la dépression, qu’on appelle encore mélancolie, ou de la tuberculose et de l’alcoolisme ouvrier, considérés comme deux fléaux. La préoccupation de la famille, elle, rejoint une vieille inquiétude des élites : comment le peuple vit-il son temps libre ? On attribue alors un rôle capital à la femme, qui doit préparer un bon foyer à son mari… et lui faire perdre l’envie d’aller au troquet. Le mouvement ouvrier lui-même entre dans ce discours : en 1912, des affiches de la CGT pour la «semaine anglaise», dont le samedi après-midi et le dimanche sont fériés, montrent une vie familiale idyllique où des enfants cueillent des fleurs avec leurs parents…

Autre point souvent méconnu : ce ne sont pas les ouvriers qui ont porté la loi de 1906. A cette époque, ils avaient déjà bien souvent obtenu le congé hebdomadaire dans les usines ou les ateliers. En fait, c’est le mouvement des employés du commerce, né dans les année
s 1890 avec les grands magasins, qui s’est mobilisé. L’espérance de vie se limitait à moins de 40 ans chez 45% des employés et des coiffeurs. Ils organisent des manifestations, soutenues par la CGT et le mouvement ouvrier, et rassemblent par exemple 3.000 personnes à Bordeaux. C’est finalement sous la pression de la rue que le Sénat vote la loi de 1906, première victoire sociale des employés.

Mais la France est à la traîne…

Elle est l’avant-dernier pays européen à introduire le repos hebdomadaire. L’Italie le fera en 1907. En Angleterre, au contraire, le samedi après-midi et le dimanche fériés sont introduits dès le deuxième tiers du XIXe siècle. Ce n’est pas par hasard que «week-end» est un mot anglais…

Notons aussi qu’en France les domestiques et les travailleurs agricoles sont exclus de la loi de 1906. Le repos dominical s’imposera en fait définitivement après la Première Guerre mondiale. La journée de 8 heures est introduite en 1919 : en permettant aux ouvriers de faire leurs courses en semaine, elle va consolider le repos dominical. En 1936, avec la semaine de 40 heures, le dimanche va commencer son entrée dans le «week-end»… Même si les 40 heures sont en réalité assez théoriques : dans les années 50, les ouvriers travaillent encore 46 ou 47 heures en moyenne par semaine. On est en plein dans les Trente Glorieuses et les entreprises ont besoin de main-d’oeuvre. Il faudra attendre la fin des années 60 et la crise économique des années 70 pour que le week-end s’impose vraiment.

Jusqu’à la remise en cause du dimanche chômé aujourd’hui ?

Encore une fois, la question se joue plus dans le commerce que dans l’industrie. Un discours néolibéral, qui porte une régression des acquis sociaux, rencontre une attente d’une certaine clientèle, essentiellement parisienne. C’est peut-être dû à la structure familiale (il y a plus de célibataires à Paris), au niveau de vie plus élevé ou à un mode de vie plus consumériste. Peut-être aussi à une sorte de vide. Aller dans un magasin le dimanche marque, d’une certaine manière, la fin de sociabilités personnelles.

Mais contrairement à ce qu’on entend ici ou là, on ne peut pas parler de désacralisation du dimanche. La preuve : les activités du samedi ­ ménage, bricolage ­ sont différentes de celles du dimanche : on regarde la télévision, les repas sont plus longs… Et une vieille activité dominicale a demeuré malgré les vicissitudes historiques : la promenade. En 1906, on lui attribuait des bienfaits pour la santé morale et physique de l’ouvrier. Elle avait aussi le mérite d’éviter les dépenses inutiles.

Voir aussi : la proposition Mallié pour les nuls

 

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