Quand la publicité redécouvre le dimanche

La publicité révèle à la fois le meilleur et le pire de l’air du temps. Quand une grande marque automobile réinvente les jours de la semaine, c’est le sens de la vie qui réapparaît autour du dimanche… tandis que la politique cherche à l’éliminer.

La publicité n’a pas son pareil pour sentir l’air du temps, la couleur des jours. Elle n’a pas son pareil pour se saisir des aspirations profondes des uns et des autres ou pour détourner un slogan efficace et le remotiver avec force. Ainsi en est-il de la dernière publicité du constructeur espagnol Seat : Make every day un great day ! sur la fameuse musique de jazz Take Five de Dave Brubeck. Pour vendre son dernier modèle, Seat propose une mini-série en sept épisodes où défile jour après jour la vie d’un jeune couple sans enfant. Le réseau social Twitter nous avait déjà habitués à une thématisation ludique de chaque jour de la semaine avec ces #MardiConseil, #MercrediLecture ou #JeudiConfession, mais dans cette publicité, l’idée devient culturelle. La réclame prend sur le vif quelque chose de cet empire puissant de l’éphémère et de la consommation.

À chaque jour sa fonction

Les acteurs ? Un couple citadin aux moyens financiers au-dessus de la moyenne vit une semaine endiablée, ce que souligne le rythme de la musique à cinq temps. Madame travaille dans un métier créatif et l’on voit de manière récurrente ce même geste du pied qui ouvre l’immense coffre de la voiture apte à recevoir son grand carton à dessin. Monsieur, cravaté, barbu, anime une équipe en jeune cadre dynamique.

Lundi, « c’est reparti. Être léger pour commencer. Faire durer le week-end, un peu ». Nostalgie.

Mardi, « les chaussettes ont des problèmes de couples et les stylos n’en font qu’à leur tête. Mais le mardi c’est aussi le jour où l’on est indestructible. » Réussite.

Mercredi, « le jour où tous les espoirs sont aussi permis, il suffit d’y croire » comme de supporter une équipe qui gagne lors d’un match. Sport, donc. Précisions supplémentaires sur le visuel du compte twitter Seat : « Mercredi. On arrive à la moitié de la semaine. On atteint l’équilibre. Mercredi a été créé pour suivre son instinct. »

Jeudi, c’est le jour pour « se retrouver », « le jour où on sait ce qui est important », comme offrir des fleurs, voir une amie ou s’adonner à un art comme la musique.

Vendredi, « c’est faire des erreurs parce que justement c’est vendredi », comme se lâcher avec des copains. Précisions sur le compte twitter : « Lundi est un lointain souvenir ».

Samedi, « tous les endroits sont le bon endroit. L’âme et le cœur se libèrent ».

Le dimanche, on peut apprécier de manger ce que l’on veut, quand on veut. La publicité espagnole ajoute alors que c’est le moment de rendre heureux les siens comme sa maman, ce que la française a éliminé.

Le compte twitter ajoute : « Le dimanche a été créé pour croquer la vie ». Toutes les versions concluent que le dimanche, c’est un jour pour profiter du temps présent et se moquer du lendemain.

Semaine païenne, semaine chrétienne

Que comprendre ? Organiser individuellement le temps, son temps, c’est la chose la plus partagée, ce que chacun fait sans cesse en se soumettant à l’ordonnancement des jours, en consultant son agenda. L’organisation de ce temps cruel qui passe et nous dévore passe surtout par la semaine de sept jours, tendue vers le dimanche qui éclaire la semaine qui vient, à la fois pivot et phare. Cette publicité très intelligente cherche à donner un visage à chaque jour et c’est très juste. Mais sa vision, quoique très bien agencée, reste évidemment limitée. Dans une ère déchristianisée, ce n’est pas le moindre des paradoxes que de vouloir retrouver ce que l’on a perdu.

Car, justement, dans une vision chrétienne, les jours ont bien leur visage propre, des habitudes de vie, ils n’ont plus le visage des dieux mythologiques même si dans leurs noms, il y a encore trace de cela : lundi c’est le jour de la Lune, mardi celui de Mars… Depuis le Christ, Seigneur des jours, la Semaine sainte est le modèle de toute semaine. Le jeudi, jour de l’institution de l’Eucharistie, centre les fidèles sur des habitudes d’heures saintes et d’adoration. Le vendredi, jour de la mort du Christ en croix, propose jeûne ou sacrifices particuliers ce jour-là. Le samedi, jour du sépulcre, jour d’espérance, prépare la joie du dimanche.

Le repos du dimanche

Du dimanche est né le repos dominical. L’interdit de travail du shabbat de la loi ancienne n’est pas subitement passé à la trappe sous la loi nouvelle. Et même déchristianisée, la société s’était appropriée durablement, culturellement les bienfaits sociaux irremplaçables d’un temps de repos pour tous. Le dimanche serait ainsi pour le grand nombre un jour d’une « qualité de vie » particulière, un jour pour nouer, maintenir, nourrir des relations stables, un jour de don, de gratuité.

Le dimanche était finalement devenu le noyau historique de la culture européenne, un repos pour tous en même temps, ce que l’on retrouve dans la publicité : un temps pour soi, pour les autres. Mais dans une dimension chrétienne, ce temps sans Dieu reste un peu léger ! D’ailleurs, que la publicité aille jusqu’à dire que le dimanche a été « créé pour croquer la vie » relève d’une certaine ironie. Ce pourrait être vrai si l’on ne savait, hélas, ce qu’il y a dans cette expression : une vie d’égoïsme hédoniste.

Pour un chrétien, le dimanche est effectivement un jour festif de nourriture, mais le jour de l’Eucharistie, de la présence réelle du Christ donnée à manger. Que choisirons-nous donc le dimanche ? Croquer la vie en écervelé comme le monde le fait ou recevoir dans toute sa personne Jésus, Dieu vivant, promesse de vie éternelle ? Ajoutons enfin une contradiction de taille, le dimanche consisterait selon le publiciste à « se moquer du lendemain ». Rien de plus faux dans une vision chrétienne, comme le rappelle cet adage populaire : « Tel ton dimanche, tel ton dernier jour. »

Retour du décadi

Bien souvent, et il n’y a pas si longtemps lors de la Révolution française, on a touché à cette organisation du temps et on a fait exploser la semaine traditionnelle pour la remplacer par une unité de dix jours avec la conséquence d’un repos hebdomadaire plus espacé. Le décadi a eu raison du dimanche. Il a fait long feu. Et après la suppression du repos dominical au XIXe, les révoltes ouvrières du début du XXe le rétabliront pour tous.

Nous ne sommes plus très loin de ces utopies révolutionnaires en 2018. Quand avec la loi Macron, les cinq dimanches de travail autorisés par an sont passés à douze dimanches, soit à un par mois, nous sommes d’une certaine façon revenus au décadi. L’effritement du repos dominical, amorcé par petits pas, se poursuit depuis 2008 en abattant les digues successives à grands coups de marteau-piqueur. C’est une déconstruction culturelle inouïe comme ne cesse de le rappeler Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Une libéralisation « far west » insensée !

Sonnette d’alarme

L’adjoint au maire d’Angoulême, Vincent You, a lui aussi tiré cette semaine la sonnette d’alarme. Se promenant dans les supermarchés ouverts le dimanche, il a voulu mesurer si, oui ou non, les Français étaient en attente d’ouverture des commerces le dimanche. « J’y suis très opposé, écrit-il sur sa page Facebook, car je crois indispensable de garder des temps collectifs de repos et de tout faire pour que la vie commune ne soit pas qu’un grand marché. Mais ce n’est pas tout de voter contre, il faut aussi voir les choses en face. En ce 2 septembre, l’agglo du Grand Angoulême a autorisé l’ouverture des commerces à cause de la rentrée. Résultat ? Peu de magasins ont ouvert et ceux qui l’ont fait étaient vides. Je n’autoriserai plus personne à me dire qu’il y a une attente sociétale. Qu’il y ait un rêve de certaines élites, c’est une chose avérée ; qu’il y ait un rêve libéral du « toujours plus loin sans limite », c’est encore prouvé par le projet esquissé par des députés LREM cet été ; qu’il y ait des lobbys à l’œuvre, cela n’enlève rien, au contraire, au rôle des élus ; mais que personne ne vienne désormais dire que toute la France plébiscite cette dérive ! ».

Une digue en emportant une autre, il n’est pas encore assez de dimanches travaillés. Des élus voudraient aujourd’hui que les magasins ouvrent tous les dimanches. C’est un grand danger.

Ainsi, lorsque la publicité Seat passe sous nos yeux, regardons-la avec bonheur pour réorienter nos jours, équilibrer notre vie professionnelle et notre vie privée, pour rechoisir la vie et le bonheur. C’est, n’en doutons pas, ce que nous promet un dimanche bien vécu. Make Sunday un great day ! Fais de ton dimanche le seigneur des jours !

Source : Aleteia Hélène Bodenez | 06 septembre 2018

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