Les bonnes manières d’Emmanuel Macron


Aurélie Trouvé, ancienne co-présidente d’ATTAC, a eu une excellente formule pour désigner la loi Macron : «  c’est un gros tas composé de petites merdes » et elle aurait pu rajouter, en paraphrasant Napoléon, « enrobé dans de la  soie » (1). Car même si ce texte « phare» du quinquennat Hollande a finalement été adopté brutalement, sans vote, grâce à la procédure du 49.3, c’est-à-dire par le fait du prince,  il avait pourtant été présenté avec beaucoup de douceur par le ministre de l’Economie. Emmanuel Macron avait pris des gants pour violenter notre législation sociale et environnementale, pour casser les rigidités de la société française. Il faut dire que « chat échaudé craint l’eau froide » et l’on se souvient de cet épisode malheureux dans la trajectoire de « l’étoile montante » du gouvernement : lors d’une émission de radio, le ministre avait traité les anciens salariés des abattoirs GAD d’illettrés ;  il s’était ensuite excusé platement  devant la représentation nationale.  Cette fois, cet homme pressé a exprimé son mépris pour le salariat protégé et indolent, si nuisible à la compétitivité de nos industries, de façon élégante et non agressive, avec beaucoup de civilité. Emmanuel Macron a donné de sa personne et fait preuve de diplomatie. Les médias ont loué son sens de l’écoute, son attitude conciliante, sa disponibilité, son humeur égale. Le jeune ministre a su reconnaître habilement  quelques erreurs et consentir quelques reculs     (sur le secret des affaires par exemple). Pour casser un si grand nombre de droits sociaux et environnementaux dans le cadre d’un seul texte, et en ayant l’air de ne pas y toucher, il fallait y mettre  les formes.  Il fallait évidemment « une approche pleinement, socialement démocrate », clamer sur tous les tons que cette loi était « de gauche » et mettre l’accent sur les petites avancées pour avaliser les grands reculs. On a ainsi étendu  le travail du dimanche en assurant que la réforme  "systématisait et harmonisait les règles de compensation de manière très protectrice pour les salariés". On a donné la possibilité au  gouvernement de réformer le droit de l’environnement par ordonnances afin d’accélérer les grands projets de construction mais en s’engageant  généreusement à associer le Conseil national de la transition écologique  ( le CNTE) et en garantissant que les principes fondamentaux du code de l’environnement ne seraient pas remis en cause. Bref, on a rogné des droits acquis  en prétendant sécuriser, on a fragilisé en prétendant protéger.

Mais, finalement, ces précautions oratoires n’auront  pas suffi : les députés de droite ont refusé de voter une loi « de gauche » et les députés socialistes frondeurs ont trouvé qu’une loi « de gauche » de cet acabit aurait pu être votée par la droite. « Ce coup de jeune pour notre société » a finalement débuté avec un coup de sang du ministre et un passage en force au moyen du « 49.3 », symbole de l’archaïsme de nos institutions. Les bonnes manières se sont effacées pour laisser place à la brutalité.  La compétitivité de nos entreprises ne pouvait attendre, il fallait aller vite.

L’équipe en place est bien décidée à faire ingurgiter, de gré ou de force, au corps social français l’ensemble de la posologie libérale prescrite par l’idéologie dominante et la technocratie bruxelloise.

Manuel Valls va pouvoir donner libre cours à son tempérament. Il montre sa main de fer ; et il prévient : le gouvernement « va continuer à travailler, à réformer plus vite et plus fort », « s’il faut de nouveau utiliser cette arme que me donne la Constitution, nous le ferons, bien évidemment, parce que nous ne pouvons pas perdre de temps, et qu’il faut réformer notre pays et lever les blocages »

Les bonnes manières sont définitivement oubliées. De toutes façons, les artifices de communication et les sourires ne réussissent plus à masquer l’injustice d’une politique qui détruit peu à peu nos droits et nos biens communs  pour permettre une exploitation de l’homme et de son environnement sans contrainte ainsi que  l’obscénité d’une pratique gouvernementale qui, au mépris de l’éthique la plus élémentaire, s’appuie sur la manifestation populaire du 11 janvier pour tenter de susciter un faux consensus permanent.
  
(1)   Napoléon avait insulté Talleyrand, lui reprochant de l’avoir trahi, en lui lançant : « Vous êtes de la merde dans un bas de soie »

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