L'épisode du "49.3" fragilise le réformisme de Valls et électrise le groupe PS

Il ne suffit pas d’éructer pour convaincre, ni de grimacer pour mettre au pas les intelligences. Nombre de concitoyens, à subir chaque jour les rodomontades de M. Valls, oscillant entre Tartarin et Fouquier-Tinville, ne sont pas sans regretter le précédent Premier ministre, qui ne jugeait pas nécessaire d’avoir recours à la violence, aux menaces, et la propagande pour avoir des convictions, et y travailler. Comme le rappelait Benoît Hamon, la politique ne se réduit pas à des postures.

Et pour le jeune ministre, M. Macron, dont l’engagement a été salué par tous, il devra cependant apprendre que beaucoup de travail et beaucoup de bruits autour d’une mauvaise loi ("un gros paquet de petites merdes", selon le mot d’Aurélie Trouvé, paraphrasant presque Napoléon à propos de Talleyrand) ne suffisent pas à la transformer en bonne loi. Il y aurait fallu soit énormément plus d’habileté, soit juste un peu plus de bon sens et un peu moins de cynisme.

 
 

Le Point, 21/02
 
Le projet de loi Macron a été adopté jeudi à l’Assemblée mais le recours au "49.3" réduit les marges de manoeuvre du gouvernement pour faire passer ses futures réformes et risque de déchirer un peu plus le groupe PS, bien loin de "l’esprit du 11 janvier".
– Une majorité toujours plus ‘incertaine’ –
Fragilisée par les frondeurs et la perte de sièges aux législatives partielles, la majorité socialiste s’était étriquée au fil du quinquennat. Mais "tous les textes sont passés, tous les textes passeront", assurait-on au gouvernement. Jusqu’à présent, l’écart le plus faible pour l’adoption d’un texte était de 18 voix, le 21 octobre (programmation des finances publiques 2014-2019). Le gouvernement pensait cette fois disposer d’une majorité de seulement "3 à 6" voix, jugée trop "incertaine" pour risquer un vote. Cette majorité se serait de surcroît appuyée sur une dizaine de votes de l’UDI et de l’UMP. Surtout, pour la première fois, un groupe significatif de députés PS était parti pour voter contre, quand la "fronde" s’était jusque-là cantonnée entre 30 et 40 abstentions. Selon des sources concordantes, 25 députés du groupe PS s’apprêtaient à voter contre et "12 ou 13" à s’abstenir.
– Des précautions à prendre pour les futures réformes –
Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l’article 49.3 permettant de faire adopter un texte sans vote ne peut être utilisé, hors textes budgétaires, qu’une seule fois par session à l’Assemblée. Il peut toutefois être utilisé à plusieurs reprises pour le même texte, ce qui permettra notamment au gouvernement de s’en resservir pour une deuxième lecture de la loi Macron. "S’il faut de nouveau utiliser cette arme que me donne le Constitution, nous le ferons bien évidemment", a dit Manuel Valls. Mais il n’aura plus de joker pour les autres textes prévus d’ici fin juin. "La réforme territoriale et la loi santé, ce ne sont pas les mêmes clivages. Et le texte sur le renseignement, c’est l’unité nationale", se rassure un conseiller. Reste le projet de loi sur le dialogue social, dont Manuel Valls doit dévoiler les grandes lignes mercredi et qui pourrait passer par une session extraordinaire en juillet.
– Un groupe à couteaux tirés avant le congrès –
"C’est clair: ils ne comptent pas s’arrêter. Ils considèrent avoir marqué des points", déplore un des adversaires des frondeurs, visant notamment Benoît Hamon. Avec d’autres, l’ex-ministre de l’Education, déjà détonateur de l’implosion du gouvernement "Valls I" fin août, dénonçait le peu de concessions faites par Emmanuel Macron sur les compensations au travail du dimanche. Postures "tacticiennes" avant le congrès du PS, déplorent les légitimistes. "C’est une victoire à la Pyrrhus" pour le gouvernement et cet épisode "va laisser des traces" au-delà des frondeurs, juge un parlementaire non aligné. Selon lui, "soit l’exécutif a l’intelligence d’apaiser" les choses, soit "ça va continuer cette guerre larvée et on va tous y perdre".
Plusieurs députés ont évoqué des sanctions contre les frondeurs voire leur exclusion du PS, une issue qui ne paraît pas convaincre à Solférino, où certains redoutent les effets d’une "décision arbitraire". Le bureau national de mardi doit "traiter" de ce débat. Aucun frondeur n’a voté la motion de censure.
– Manuel Valls et l’esprit du 11 janvier qui se disperse –
Le 13 janvier, Manuel Valls faisait lever tout l’hémicycle lors de son discours post-attentats. Moins d’un mois et une semaine plus tard, avec un 49.3 et une motion de censure (même sans danger) le contraste est saisissant. Le Premier ministre, comme de nombreux ministres, pensait avoir mis derrière lui les débats internes au PS et les rumeurs sur son départ de Matignon avant 2017. Martelant toute la semaine qu’il continuerait à réformer "sans relâche", il a appelé à la "responsabilité". Ceux qui pensent que "nous ne pouvons pas continuer l’oeuvre des réformes" ou que la majorité a "éclaté" se trompent "totalement", a-t-il dit vendredi. Quant à Emmanuel Macron, dont c’était le baptême parlementaire, le recours au 49.3 constitue un rappel aux réalités du rapport de forces politique, dans une carrière marquée par une ascension continue. Même si le ministre, jamais élu, a gagné le respect des députés en participant au débat pendant 180 heures à l’Assemblée et en acceptant de nombreux amendements. 
 

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