Christophe Cuvillier : « Il faut ouvrir le Forum des Halles le dimanche»

Nous y voilà déjà : le projet Micron n’est pas envore voté que les demandes de créations de ZTI commencent à pleuvoir, augurant de manifiques controverses comme celles illustrées par Bricorama, tandis que les grandes surfaces réitèrent leurs avertissements : nous ne créerons pas d’emplois.

Et il ne s’agit pas d’un hasard : cette demande émane de Christophe Cuvillier, patron d’Unibail-Rodamco, numéro un de l’immobilier commercial en Europe, gérant un patrimoine d’actifs évalué à 34,6 milliards d’euros, et gérant, entre autres, la zone de la Défense et le projet de la tour Triangle, les grands centres commerciaux (le Carrousel du Louvre ou les 4 Temps…) et les centres de Congrès (le CNIT, Paris-Nord Villepinte, Paris Porte de Versailles…). et bien sûr… le Forum des Halles.

Trouvé sur le blog d’HB, une note de 2009 : Emmanuel Egloff pour le Journal des finances du 15 novembre consacre un dossier à propos des centres commerciaux : « Plus de 40 millions de visiteurs ont été enregistrés au Forum des Halles, à Paris, en 2007. […] Ce centre commercial, fort d’un multiplexe, d’une Fnac, de 10 moyennes surfaces et de 180 boutiques, est le premier en France par sa fréquentation. Le chiffre d’affaires cumulé des commerces qui y sont présents dépasse 550 millions d’euros par an. Et les loyers qu’ils versent rapportent plus de 50 millions par an à son heureux propriétaire à 65 % : Unibail-Rodamco. Plus rentable que le résidentiel, moins volatile que les bureaux, la possession et la gestion de centres commerciaux a tout pour attirer les foncières. D’ailleurs, on compte plusieurs acteurs français spécialisés dans ce domaine, dont les deux premiers en Europe : Unibail-Rodamco (avec 19 milliards d’euros de patrimoine en centres commerciaux) et Klépierre (13 milliards). » 

Les Echos, 16/2

Le commerce parvient-il à se réinventer ?

Le commerce se réinvente et trois grandes tendances se dégagent. Il y a d’un côté le commerce sur Internet, qui représente en France et dans le monde entre 8 et 10 % du commerce de détail. Il y a ensuite le commerce de proximité, ce sont les achats du quotidien, les courses que l’on fait en rentrant chez soi. Ce sont les achats pratiques. Et, sur ce segment, on voit émerger de nouveaux formats. C’est un commerce qui se réinvente. Enfin, il y a le commerce de destination avec, d’un côté, les grands centres-villes, de l’autre, les grands centres commerciaux, sur lesquels nous nous concentrons. Car toutes les villes n’ont pas, comme Paris, New York ou Londres, des Champs-Elysées, une 5e Avenue ou Sloane Street. A Varsovie, à Lisbonne et dans de nombreuses villes américaines, l’essentiel de l’activité se fait dans des centres commerciaux. Des centres qui eux aussi évoluent.

Mais Internet n’est-il pas en train de vous ringardiser ?

Internet pèse et influence bien plus nos actes d’achat. L’information sur les sites, les avis sur les réseaux sociaux, les e-mails d’alerte… Tout cela est de plus en plus important mais ne représente que 10 % des achats. Il y a vingt ans, Jeff Bezos, le patron d’Amazon, prédisait la fin des dinosaures, la fin des grandes enseignes américaines. Vingt ans plus tard, son groupe a connu une croissance extraordinaire, dont le rythme se ralentit, et il n’est toujours pas rentable. Le commerce physique s’est, lui, réinventé. La moitié du commerce sur Internet est faite par des marques physiques qui ont développé une stratégie numérique. C’est cette partie du commerce qui est rentable sur Internet. Alors que la partie « pure player » continue de perdre de l’argent, à l’image d’Amazon. Ce qui se développe de façon rentable, c’est le « click & mortar », la complémentarité du site Web et du magasin physique. Les distributeurs qui investissent à la fois dans la modernisation de leur outil numérique et qui revisitent leurs magasins sont les vrais et les seuls gagnants d’aujourd’hui.

Mais pourquoi investir quand la consommation reste atone ?

Globalement, le marché français peut sembler stagnant, mais il existe des poches de dynamisme. Une chaîne comme Zara, qui investit dans le renouvellement et la croissance de ses magasins, progresse. Unibail-Rodamco, qui développe des centres commerciaux modernes, avec de nouvelles enseignes comme Apple, Forever 21 ou Uniqlo, pour lesquelles nous sommes une porte d’entrée sur le marché, permet aussi aux marques de progresser. Ceux qui souffrent, ce sont les centres de milieu de gamme qui n’évoluent pas assez.

Est-ce important pour vous d’ouvrir le dimanche ?

Le projet initial de la loi Macron, qui prévoyait de donner le choix aux commerçants d’ouvrir librement au moins 5 dimanches par an et jusqu’à 12 avec l’accord des maires, me semblait positif. Le fait de créer des zones touristiques internationales, également. Le commerce le dimanche n’a pas vocation à être généralisé. Ouvrir partout tous les dimanches n’aurait pas de sens. Mais ouvrir trois week-ends avant Noël, au début des soldes d’hiver et d’été ainsi que quelques dimanches ayant un sens au niveau local me semble justifié. Le commerce, c’est du lien social, c’est du dynamisme, c’est de l’activité économique. La France a besoin de saisir toutes les occasions de créer des emplois. Il faut bien sûr un cadre social, y compris dans les zones touristiques. Il faut du volontariat et des contre-parties salariales. Voyez ce qui s’est passé à Madrid, où les commerces sont ouverts maintenant tous les dimanches comme à Londres : ça a créé de l’emploi et attiré les touristes. A Paris, il faut par exemple ouvrir les Champs-Elysées, les grands magasins boulevard Haussmann ou encore le Forum des Halles. Je regrette que l’on soit encore si en retard.

Le chantier des Halles n’est-il pas un gigantesque casse-tête ?

Rénover le coeur de Paris, c’est forcément un projet complexe ! Il y a deux chantiers aux Halles. Celui de la Ville, qui a en charge la rénovation des réseaux souterrains, des aménagements à la surface et la canopée. En parallèle, Unibail rénove les parties commerciales et recrée des circulations et des promenades en plein coeur de la ville. On fait tomber les faux plafonds pour accroître de 30 à 40 % la hauteur des vitrines et donner de la majesté aux enseignes. On installe des prises électriques et du wi-fi gratuit partout car c’est ce qu’attendent les consommateurs. On renouvelle le portefeuille de marques en ouvrant le plus grand Muji d’Europe continentale. On accueillera le navire amiral de Lego. On modernise l’offre de restauration. Ce nouveau centre commercial sera à la fois ouvert sur la ville et relié par les
transports en commun à toute l’Ile-de-France.

Est-ce plus compliqué d’investir en France qu’ailleurs ?

Restructurer un centre-ville, c’est long et compliqué partout. Le projet Neo que nous construisons à Bruxelles autour du stade du Heysel ne sera ouvert qu’en 2021. A Hambourg, notre projet de transformation du port avec un terminal de croisières, des commerces, un hôtel, des bureaux est, là aussi, un projet à plus de dix ans. Ce qui est vrai, c’est qu’en France on a un certain talent pour accumuler les normes qui compliquent les choses. Les normes sont bien sûr nécessaires, mais il faudrait aussi prendre le temps de les toiletter.

Que vous inspire le blocage du chantier de la Samaritaine ?

Avoir ainsi un trou en plein coeur de Paris, sur une artère aussi passante, dans un quartier emblématique et depuis près de dix ans, c’est choquant ! Une ville doit accepter d’évoluer. Il faut une dose de modernité qui s’inscrive avec harmonie dans l’environnement, le respect des volumes, le plan local d’urbanisme. Mais à quoi ressemblerait Paris si nous n’avions construit que dans le style du XVIIe siècle au XVIIIe, du XVIIIe au XIXe, etc ? Dans le cas précis de la Samaritaine, une minorité tente de bloquer un projet qui a été soutenu à la quasi-unanimité par les élus. Ce n’est pas normal. Ca contribue à figer la ville là où elle devrait vivre et bouger.

Croyez-vous encore à la construction de la tour Triangle dans le sud de Paris ?

Bien sûr ! Là encore, beaucoup de mensonges ont été dits et le projet est victime de rivalités politiques. J’ai bon espoir que les élus qui se sont opposés à un moment à une version du projet seront convaincus par les modifications que nous allons proposer. Cette tour sera la plus écologique du monde, elle consommera 50 kilowattheures par mètre carré par an, ce qui constitue un exploit architectural inédit. Elle va apporter de la vie à ce quartier et relier Paris à sa proche banlieue. Enfin, il est faux de dire qu’il y a trop de bureaux dans Paris et que ce projet va aggraver le problème. C’est même tout le contraire ! Le taux de vacance des bureaux est de 4,8 %, ce qui est très faible, mais, surtout, la capitale manque de bureaux modernes : il est tellement plus rationnel de construire des bureaux modernes répondant aux meilleures exigences et de rendre aux logements des immeubles haussmanniens qui ont été convertis en bureaux et qui ne sont pas faits pour ça…

On voit des tours vides à la Défense. Est-ce le signe d’un désamour pour ce quartier d’affaires ?

De nombreuses tours ont été livrées au même moment, ce qui a contribué à augmenter l’offre. Il y a 400.000 mètres carrés disponibles actuellement contre historiquement 200.000 en moyenne. Parallèlement, il est vrai que ce quartier d’affaires a un peu souffert d’un manque d’investissements dans les transports en commun et l’accessibilité. Mais les choses vont changer. Il y a peu de nouveaux projets de tours. Et les investissements dans les infrastructures vont reprendre avec le Grand Paris. La Défense était et sera encore plus demain le quartier de bureaux le mieux connecté du monde. Et cela est essentiel pour les salariés car notre bien le plus précieux, c’est le temps. Un quartier d’affaires relié à la ville et à un centre commercial, c’est aussi un vrai plus en termes de mixité. Et arrêtons de dire que les tours n’ont pas les faveurs des salariés. Les vieilles tours étaient peut-être anxiogènes, mais on les renouvelle ou on en construit des neuves qui sont particulièrement écologiques et à échelle humaine. Dans la nouvelle tour Majunga, on peut ouvrir les fenêtres et accéder à des terrasses à tous les étages ! Certaines entreprises ont quitté la Défense essentiellement pour des raisons de coûts, mais, soyons clairs, travailler sur un campus avec des bâtiments répartis sur plus d’un kilomètre, ça n’est pas forcément efficace. On se déplace plus vite d’un étage à un autre avec un ascenseur. La circulation verticale a bien des avantages par rapport aux circulations horizontales.

Croyez-vous à la reprise ?

L’environnement est favorable : baisse du pétrole, baisse de l’euro, baisse des taux d’intérêt. En ce qui nous concerne, nous avons réduit le coût moyen de notre dette de 2,9 % en 2013 à 2,6 % l’an dernier et nous avons rallongé sa durée. Ce n’est donc pas négligeable pour un groupe qui investit beaucoup : nous avons 8 milliards d’euros d’investissements en projet. La tour Triangle et la rénovation complète du Parc des Expositions, c’est 1 milliard d’euros d’investissement. La politique de la Banque centrale européenne a permis de réinjecter des capitaux dans le circuit économique et de dynamiser le marché. C’est une bonne nouvelle pour générer la confiance nécessaire à la reprise. 

Nicolas Barré, Les Echos

David Barroux, Les Echos

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