Des effets de la réforme du travail du dimanche sur l’emploi…

Une étude menée par des experts indépendants estime que l’effet de la réforme Macron sur le travail dominical devrait être « extrêmement positif ». Sans dire comment.

La Croix, 22/1/15

Voilà une étude qui était très attendue. Réagissant à l’avis du Conseil d’État qui, début décembre, avait critiqué « le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l’étude d’impact sur nombre de dispositions », le gouvernement avait demandé à France Stratégie de nommer une commission d’experts indépendants pour évaluer les effets possibles de son projet de loi sur la croissance et l’activité, notamment sur la controversée réforme du travail dominical.

Sans attendre le début de l’examen à l’Assemblée nationale, lundi 26 janvier, la commission, présidée par Anne Perrot, ancienne vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, a rendu mercredi 21 janvier ses deux premières notes, l’une portant sur l’ouverture de l’offre de transport par autocar, l’autre sur la réforme du travail dominical.

UNE ÉVALUATION BASÉE SUR DES ÉTUDES ACADÉMIQUES

Et, sur le volet dominical du projet de loi, ce travail conclut « de manière non ambiguë » à « des effets extrêmement positifs » sur l’emploi, affirme Anne Perrot, qui est également professeure d’économie à Paris I.

Celle-ci insiste toutefois sur le fait que, dans la plupart des pays examinés, l’« extension du travail du dimanche (avait) été massive ». En France, précise-t-elle, « si on veut que cette loi produise des effets utiles sur l’emploi, il faudrait vraiment que les maires fassent un usage assez intense de la possibilité qui leur est offerte d’ouvrir les commerces 12 dimanches par an. »

Cependant, pour parvenir à cette conclusion, la commission a choisi de s’appuyer exclusivement sur la recension d’études académiques, parfois anciennes, évaluant après coup les effets d’une libéralisation assez importante de la législation sur le repos dominical.

Ainsi au Canada, une étude datant de 2005 conclut à « une hausse de l’emploi dans le secteur du commerce de détail de l’ordre de 3,1 % de l’emploi total de ce secteur mais la hausse a pu être plus importante (jusqu’à 12 %) dans certaines provinces qui ont largement libéralisé les ouvertures ».

Même conclusion aux Pays-Bas, où la dérégulation, intervenue en 1996, « aurait fait augmenter la durée moyenne du travail hebdomadaire (..) de 30 minutes en 2000 ». Aux États-Unis, une autre étude, publiée en 2005, a cette fois estimé que dans les États qui n’ont pas libéralisé le dimanche, le manque à gagner se situerait entre 2 et 6 % de l’emploi total du secteur.

« UNE AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DE L’EMPLOI »

Plus récente, une étude menée par deux chercheurs et présentée à un comité de l’OCDE en 2014, tente une comparaison entre une trentaine de pays européens, dont une petite moitié restreint le travail le dimanche par une loi. Et, là encore, « les résultats indiquent une augmentation significative de l’emploi dans les pays qui ont connu un assouplissement de leur législation ». 

Selon un résumé en anglais de cette étude, fournie à La Croix par la commission Perrot, on aboutirait à « un impact net positif sur l’emploi pour neuf des seize secteurs examinés avec seulement 3 secteurs qui présentent un impact négatif ».

Cette augmentation s’explique à la fois par des embauches mais aussi par l’augmentation du nombre des entreprises dans la majorité des secteurs concernés par le travail dominical, ce qui, estime la commission Perrot « peut suggérer que l’effet sur le petit commerce est limité », même si, « on ne dispose pas d’éléments permettant d’évaluer spécifiquement les conséquences de l’ouverture le dimanche sur le commerce de centre-ville ». C’est justement tout le problème. En choisissant de limiter son étude à la restitution d’études universitaires « ex post », certainement fiables mais évaluant des expériences à l’étranger parfois anciennes, la commission Perrot n’entre pas assez dans les détails. Et ne permet pas de déterminer dans quelles conditions ces effets favorables pourraient, ou pas, se reproduire en France.

On aurait ainsi aimé comprendre par quel mécanisme plus de consommation le dimanche peut effectivement aboutir, à pouvoir d’achat constant, à des créations d’emplois. Faut-il pour cela que les consommateurs puisent dans leur épargne ? Et cela est-il sans conséquences ? Surtout, il serait important, avant d’entériner cette réforme, de mesurer dans quelles conditions les emplois éventuellement crées dans les commerces qui ouvrent le dimanche ne se font pas au détriment de ceux qui n’ouvrent pas le dimanche, ou d’autres secteurs.

Car certains autres travaux sèment le doute sur les perspectives d’« effets extrêmement positifs » sur l’emploi. Jusqu’ici, une seule étude indépendante des acteurs économiques, publiée au Credoc en 2008, a tenté d’évaluer ex ante les effets d’une réforme sur le commerce français. Et ses conclusions, qui aboutissent à quatre scénarios possibles (trois avec des pertes d’emplois de 1400, 12 200 et 21 600 emplois et un seul avec un gain de 8 000 emplois) laissent sceptiques. Elles auraient pour le moins mérité d’être analysées.

D’autant qu’une autre étude, tirant en 2013 le bilan de dix-huit mois de libéralisation du travail du dimanche en Italie, invite elle aussi à la plus grande prudence. Mené par le patronat italien lui-même, ce travail conclut en effet « à un solde négatif de 32 000 commerces, avec la perte estimée de 90 000 postes de travail ». 

Bref, il serait fort utile que les think tanks, de droite et de gauche, que le ministre de l’économie Emmanuel Macron a encouragés à plancher sur le sujet, complètent effectivement le travail livré par la commission Perrot.

Nathalie BIRCHEM

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