Travail le dimanche : pourquoi Martine Aubry a raison

FIGAROVOX/TRIBUNE 10/12/14 –  Dans une tribune sur le Monde, la maire de Lille s’est opposée à l’extension du travail dominical. Etienne Neuville salue cette initiative, et voit dans la loi Macron une imposture ultra-libérale.

Etienne Neuville est le secrétaire général du Collectif des Amis du Dimanche.
 

Les débats font rage au sujet du travail du dimanche, à l’occasion de la présentation de la loi Macron, ce mercredi.
 
Terrain d’expression d’une revendication de la grande distribution – tout un chacun peut remarquer qu’elle seule demande à faire travailler le dimanche – portée dès 2008 par la commission Attali (dont Emmanuel Macron était rapporteur, juste avant son entrée dans la banque Rothschild), ces débats sont marqués par une grande malhonnêteté.
 
Les chiffres publiés par diverses organisations politiques ou patronales vont de la suppression de 225.000 emplois à la création de 300.000 postes. Ne citant jamais leurs sources, pas plus que n’explicitant leurs calculs, ils relèvent au mieux de l’imagination, au pire de la propagande.
 
En revanche, les travaux économiques (Etudes CES 1993, CREDOC 2008, OFCE 2008 et 2014) arrivent unanimement aux mêmes conclusions: dans une économie atone, le travail du dimanche ne produit ni emploi ni croissance, mais simplement un transfert d’activité de la distribution de proximité vers la grande distribution. Et des dégâts collatéraux dans le modèle social.
 
L’expérience confirme ces études: personne n’a vu les «dizaines de milliers d’emplois» promis par le député Mallié en 2009. Pas plus que Bricorama n’a vu s’envoler le nombre de perceuses vendues par ses enseignes, depuis qu’il a obtenu l’autorisation d’ouvrir le dimanche autant que Leroy-Merlin. Les expériences menées par l’Espagne et l’Allemagne vont également dans ce sens.
 
Les grandes enseignes poursuivent cependant une politique agressive de communication sur ce sujet. Après que les enseignes de bricolage ont organisé et financé des manifestations présentées outrageusement comme «spontanées», celles du boulevard Haussmann martèlent qu’une ouverture dominicale augmenterait leur CA de 5 à 7 % (bien loin des 25% évoqués par M. Macron pour le CA d’Amazon). Mais sans jamais dire que cette augmentation se traduira, mécaniquement, par une baisse de CA dans les magasins qui ne pourront, faute d’une taille suffisante, ouvrir 7/7. Pour ces grandes enseignes, une des rares voies de croissance dans un marché aux limites de la décroissance est juste cela, phagocyter les parts de marché des autres secteurs.
 
Ces grandes enseignes trouvent facilement des soutiens complaisants dans les milieux politiques. Ainsi certains, qui s’accommodent fort bien de plombiers polonais, s’inquiètent des touristes chinois, qui fuiraient notre pays pour acheter à Londres! Argument infirmé par les agences de voyage, ainsi que par le bon sens: les touristes chinois viennent essentiellement en France pour son patrimoine socioculturel, et non pas pour acheter des produits bien souvent disponibles aussi chez eux. La respiration dominicale, sachant que les musées sont fermés le mardi, ne pose pas de problème d’organisation au tourisme international, excepté peut-être, si l’on s’intéresse aux effets marginaux, pour quelques centres de transit aéroportuaires ou ferroviaires. Peanuts.
 
Avant de vouloir transformer la France en une galerie commerciale mondialisée, sous prétexte de vouloir améliorer son attractivité touristique, il semble beaucoup plus pertinent d’améliorer l’offre sur les motifs actuels qui font que la France est déjà la première destination mondiale: l’excellence de l’offre culturelle et artistique, la qualité de l’accueil, la sécurité des touristes, le caractère spécifique du pays.
 
Hier soir, Radio Classique évaluait entre 40 et 60.000 emplois le nombre total d’emplois qui pourraient, peut-être, découler de la loi Macron. Si ce chiffre est exact, le manque d’ambition de ce projet de loi, dans un pays qui produit 30.000 chômeurs par mois, serait un aveu flagrant d’impuissance économique. Mais dans ce fourre-tout de mesures disparates, des groupes de pression idéologique ou commerciaux ont glissé un paragraphe dominical, sans aucun autre intérêt que le leur, pas supplémentaire sur la voie de la dérégulation initiée par le député Mallié. Ce qui est un aveu d’impuissance politique, ou de compromission.
 
La respiration dominicale est un marqueur de notre histoire, de notre physionomie propre. Depuis Constantin, il est investi pour les activités de la sphère humaine, non consumériste, qu’elles soient familiales, sportives, associatives, culturelles ou religieuses. Et pour une homorythmie de repos. C’est ce qui contribue, en grossissant le trait, à faire que la France n’est pas la Corée du Nord, et qu’il reste un peu de temps de cerveau humain disponible qui n’a pas encore été vendu à Coca-Cola, chacun se souvenant de la phrase de M. Le Lay.
 
Céder à des mirages consuméristes pour engager la France dans un choix de société imaginée par des lobbyistes de grandes enseignes, ou des banquiers d’affaire, est une régression à tous niveaux: économique, humains, culturels, sociétaux. Il s’agit, toujours plus avant, de transformer
les hommes en machines à consommer sans cesse davantage, sans réfléchir.
 
Ces arguments sont connus: ils ont été très finement défendus par M. Ayrault, au cours de la discussion sur la loi Mallié, en 2009. Ils ont été réaffirmés par le Président de la République, en mai 2012 «Le combat de 2012, c’est de préserver le principe du repos dominical, c’est-à-dire de permettre aux travailleurs de consacrer un jour de leur semaine à leur famille, au sport, à la culture, à la liberté. Et j’y veillerai.» Un article de Mme Aubry dans le Monde d’aujourd’hui en fait une remarquable synthèse.
 
Est-ce bien le rôle d’un gouvernement de gauche que d’emprunter les pires voies du gouvernement précédent?

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