Cessons de dramatiser le travail du dimanche

On ne s’étonnera pas que le Monde, copropriété d’un célèbre loueur de ventres (hé bien quoi, les ouvriers louent bien leurs bras ?), soutienne les tenants du travail 7/7.

Mais l’article ci-dessous est aussi intéressant, car il émane de Terra Nova, le think tank présidé par François Chérèque (officiellement, la CFDT est opposée au travail du dimanche…), et auquel appartient Matthieu Pigasse, également co-propriétaire du Monde, et de la fondation Jean-Jaurès, une intéressante institution politique proche du parti socialiste, mais financée par les contribuables, UMP ou pas. Deux virtuoses de la plume, deux polisseurs d’arguties, deux experts du maquillage.

Car c’est bien de maquillage qu’il s’agit, car ces deux auteurs ne peuvent ignorer de quoi ils parlent.

Nos deux compères décortiquent leur propos en trois arguments. Le premier, qui publie des chiffres incomplets. Le second, des sondages partiaux. Et le troisième, enfin, qui plaide avec vigueur pour la quadrature du cercle. Au bal des faux-culs, voilà deux nouveaux invités de choix ! Dans le texte, nos commentaires 

LE MONDE | 18.12.2014  à 10h10 • Mis à jour le 18.12.2014 à 10h19

Par Thierry Pech et Gilles Finchelstein

La question du travail dominical a pris une place prépondérante dans le débat autour de la « loi Macron ». Elle a même revêtu une dimension idéologique après la prise de position de Martine Aubry la semaine passée : à l’en croire, c’est un véritable choix de société qui serait en jeu, dont le centre serait la place de la consommation dans la vie sociale.

Au regard de ce que prévoit réellement le projet de loi, cette dramatisation paraît quelque peu disproportionnée. Il ne s’agit, en effet, que de permettre aux maires qui le souhaitent d’autoriser le travail dominical sept dimanches supplémentaires par an, et de le conditionner non seulement au volontariat, mais à un surcroît de rémunération et à un accord collectif (de branche, d’entreprise ou d’établissement). Tout cela ne mérite, à nos yeux, ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité.

Ce débat est cependant révélateur de trois problèmes qui méritent toute notre attention, car ils se trouvent, selon nous, au cœur de la nécessaire rénovation idéologique et programmatique de la gauche de gouvernement.

Le premier problème, c’est son rapport au réel. Chacun est libre de considérer que le dimanche est nécessairement « le » jour où chacun doit se reposer. Mais la réalité sociale n’est déjà plus celle-là. Près d’un tiers des salariés français travaillent déjà, habituellement ou occasionnellement, le dimanche. Faudrait-il, au nom de notre vision de la civilisation, leur demander d’arrêter ou les en blâmer ?

Chacun est également libre de considérer que le dimanche n’est pas fait pour consommer mais pour s’occuper de soi et des siens. Toutefois, là encore, la réalité sociale est différente : Internet ne fermant pas le dimanche, de nombreux Français font des achats en ligne ce jour-là. Et ce pour une raison simple : ils en ont à la fois le temps et l’envie. On peut leur en faire reproche, mais c’est ainsi. Pis, la réalité, c’est que nombre d’entre eux achètent sur les sites d’enseignes étrangères qui envoient une bonne partie de leurs profits dans des paradis fiscaux et ne créent pas que des emplois de qualité sur notre sol.

S’il n’est pas sûr qu’une autorisation plus large de travailler le dimanche créerait beaucoup d’emplois et de richesses supplémentaires, il est en revanche absolument certain que la situation actuelle crée une distorsion de concurrence au détriment du commerce physique dont les emplois et les profits sont clairement localisés au cœur de nos villes. Nous avons la conviction que, sauf à devenir une idéologie vide de sens, un projet politique doit s’appuyer sur ces réalités sociales.

NDLR : poser qu’un tiers des salariés travaille le dimanche sans dire que seulement 13% travaillent régulièrement le dimanche relève de la manipulation volontaire. D’autre part, ce n’est pas le débat, car nul ne conteste que le travail du dimanche pour les métiers nécessaire, utiles ou agréables, est justifié. Le second argument (non-création de richesse) est correct, mais pas son corollaire, la nécessité d’ouvrir le dimanche à cause de la concurrence d’Internet est une légende urbaine. En bonus, la phrase kitchissime "Nous avons la conviction que, sauf à devenir une idéologie vide de sens, un projet politique doit s’appuyer sur ces réalités sociales", waow !

Le deuxième problème soulevé par ce débat concerne le rapport au travail. Le raisonnement de nombreux opposants au travail dominical suggère qu’il faudrait protéger les Français d’une invasion de la vie par le travail. Outre que la question n’est pas de savoir en l’occurrence si l’on devrait travailler plus ou moins, mais simplement quand on a le droit de le faire, il faut observer que, là encore, les Français sont assez éloignés de cette manière de voir. Ce que montrent les grandes enquêtes internationales (World value survey, European value survey…), c’est que la spécificité de notre pays réside au contraire dans la place plus centrale qu’ailleurs qu’y occupe le travail.

Environ deux Français sur trois déclarent que le travail occupe une place « très importante » dans leur vie, loin devant les Britanniques, les Allemands et la plupart des autres Européens ! Par ailleurs, ils sont nombreux à soutenir un élargissement du travail dominical. L’enquête réalisée il y a quelques jours par BVA montre que 62 % des Français y sont favorables. Tel est notamment le cas des catégories qui ne font pas partie en général des plus privilégiées – et tel est également le cas, par ailleurs, des sympathisants socialistes !

En revanche, la gauche serait bien inspirée de s’occuper d’améliorer la vie au travail. Car, selon les mêmes enquêtes internationales, les Français font partie, avec les Polonais, les Bulgares et les Roumains, des Européens les moins satisfaits de leur travail. De plus, alors qu’ils sont parmi ceux qui valorisent le plus l’autonomie dans le travail, ils se heurtent souvent à des organisations verticales et hiérarchiques et à une culture managériale peu disposée à la discussion. De ce point de vue, la gauche devrait
peser sur les entreprises françaises pour qu’elles fassent droit davantage à la concertation, au dialogue social et à la demande d’autonomie de nombreux salariés. Il y a lieu de s’inspirer de ce point de vue de ce que font nos voisins allemands : c’est même sans doute la meilleure part de leur modèle.

NDLR : là encore, poser que 66% des français sont pour le travail dominical sans relever que 80% sont opposés à l’idée d’aller eux-même travailler le dimanche relève de la même malhonnêteté intellectuelle. Et d’éluder le fait qu’il se déduit de cette forte proportion de salariés pauvres la motivation principale soit non pas du travail du dimanche, mais d’augmentation de revenu, en est une seconde. En bonus, la phrase magique :  "la gauche devrait peser sur les entreprises françaises pour qu’elles fassent droit davantage à la concertation, au dialogue social et à la demande d’autonomie". Drôle de vision d’un parti politique qui devrait peser encore plus sur les entreprises, et intervenir dans leur management. Kollektivisme pas mort ! 

Le troisième problème que soulève ce débat concerne la conception des temps sociaux. Là encore, la société a radicalement changé. Les temps sociaux se sont peu à peu désinstitutionnalisés : leur organisation ne se conforme plus à un ordre clair et uniforme. D’une part, les frontières qui délimitaient les âges de la vie se sont brouillées : les jeunes sont amenés à mêler de plus en plus études et travail ; les adultes doivent de plus en plus retourner en formation ; les actifs partent en retraite de plus en plus tard et de nombreux retraités demeurent actifs…

A ce bouleversement des âges s’ajoute, d’autre part, un bouleversement du quotidien : les horaires atypiques se multiplient ; la frontière entre le travail et les autres temps de la vie devient de plus en plus poreuse (notamment, mais pas seulement, chez les cadres) ; les mêmes qui souhaitent légitimement protéger leur temps familial et privé sont également désireux de pouvoir accéder à un nombre croissant de services le soir ou le week-end. Une partie de ces évolutions sont subies, assurément. Mais une autre partie correspond à des choix de vie individuels et familiaux. C’est pourquoi la société française d’aujourd’hui n’est certainement pas prête à accepter que la puissance publique, comme l’Eglise hier, règle pour tous les horloges du travail et du repos.

L’enjeu est au contraire de permettre des arrangements toujours plus diversifiés tout en coordonnant au mieux la vie collective et en s’efforçant de protéger l’autonomie de chacun. Au total, ce que les Français attendent de leurs responsables, ce n’est probablement ni la défense du monde d’hier ni la diabolisation du consumérisme, mais les moyens d’organiser leur vie de façon plus autonome et plus harmonieuse..

NDLR : nos deux compères partent d’un constat, les temps se mélangent, ce qui n’est pas faux, mélange que certains subissent, et d’autre choisissent. Très bien. Mais d’enchainer immédiatement sur un propos démagogique irresponsable, selon lequel "la société française d’aujourd’hui n’est certainement pas prête à accepter que la puissance publique, comme l’Eglise hier (faut-il leur rappeler que la loi de 1906 a été votée par une chambre de gauche et anti-cléricale ?), règle pour tous les horloges du travail et du repos" négligeant le fait que l’Etat règle en permanence les temps sociaux et les temps de travaux, et qu’il est pleinement dans son rôle. M. Chérèque aurait-il oublié le rôle de l’Etat dans l’établissement des 35 heures ? Nécessairement la conclusion est abrerrante, puisqu’il reviendrait néammoins à l’Etat, malgré l’affirmation immédiatement précedente, d’assurer à la fois le modèle personnaliste, vu comme "le monde d’hier", et le modèle consumériste !  

Thierry Pech, directeur général de Terra Nova
Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès 

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