Ouverture dominicale : un casse-tête chinois qui suscite de nouvelles résistances

Des salariés des grands magasins parisiens manifestaient ce vendredi à l’appel d’un collectif de syndicats contre le projet de loi sur les ouvertures de commerce le dimanche et le soir. Une réforme défendue par le gouvernement et le patronat, notamment pour son potentiel d’attraction touristique, mais que certains salariés rejettent, et auquel les commerçants indépendants apportent des bémols.

"Augmentez nos salaires, pas nos horaires". Le slogan affiché par la CGT pour cette journée de protestation annonce la couleur : le projet d’élargir les autorisations d’ouverture le dimanche et le soir, porté par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron, ne passera pas sans résistances. Ce vendredi, le collectif syndical Clic-P, créé cinq ans plus tôt  à l’occasion du vote de la loi Maillé, appelle les salariés des commerces parisiens à la grève. En particulier, ceux des grands magasins du boulevard Haussmann, qui comptent parmi les premiers concernés par une éventuelle évolution de la loi. Difficile de mesurer le taux de réel participation, mais la CGT se réjouissait d’une "forte mobilisation" avec "au moins 600 participants" chez les salariés du Printemps et des Galeries Lafayette-BHV.

Aucune des deux entreprises n’a souhaité s’exprimer sur cet épineux sujet qui soulève les craintes d’une partie des salariés et la controverse sur leurs justifications. Résumé des principaux points d’achoppement.

La compensation salariale
Principale raison de ces résistances de la part d’une partie des salariés : la crainte qu’une fois votée, la loi portée par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron, n’aboutisse à l’abandon pur et simple des compensations salariales actuellement imposées aux commerçants en cas d’ouverture le dimanche. "Nous sommes  payés le double ou même le  triple le dimanche si on ne rattrapait pas la journée travaillée", pointe ainsi une employée travaillant au Printemps pour une marque y détenant une concession, qui craint la perte de cet avantage. "La majoration ne durera pas", anticipe de son côté l’une des responsables syndicales du BHV, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse deux jours avant cette grève.

Cette compensation, obligatoire jusqu’à présent, les commerçants indépendants n’en veulent pas. "Nous demandons qu’il n’y ait pas d’obligation de compensation salariale ni de jour de rattrapage pour les entreprises comptant moins de 11 salariés", explique ainsi Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants, qui juge globalement "le projet de loi équilibré".

Le volontariat
Autre crainte : que l’augmentation du nombre de dimanches travaillés et le prolongement des horaires en soirée soient, en fait, imposés aux salariés. Dans les grands magasins, les enseignes ayant signé des contrats prévoyant la présence de démonstrateur sur des périodes couvrant l’ensemble des amplitudes horaires n’auraient d’autre choix que de se plier à de nouvelles exigences. "Cela va obliger les prestataires, les restaurants d’entreprises, les hôtesses, à travailler le soir ou le dimanche", et, plus largement, "les transports devront suivre, sinon les employés, qui souvent viennent de très loin, mettront encore plus de temps pour venir travailler, sans compter les gardes d’enfants qu’il faudra trouver", plaide de son côté une responsable syndicale du Printemps-Haussmann.

Créations d’emplois
Pour justifier l’extension des horaires de travail dans le commerce, ses défenseurs pointent le potentiel de création d’emplois. Le Medef les chiffre entre 40.000 et 100.000 postes directs et indirects. Certains groupes promettent des embauches, comme par exemple  Galeries Lafayette qui dit prévoir 1.000 créations pour ses magasins du boulevard Haussmann, dont la moitié directes, selon plusieurs sources. Mais aucune indication n’est donnée sur la part de CDI ou de CDD. "Il y aura sûrement des étudiants qui vont être embauchés, mais ça a un coût", constate de son côté une démonstratrice.

Augmenter le chiffre d’affaires…
Or, justement, la grande inconnue, c’est la rentabilité réelle d’une telle opération. Certains commerçants indépendants dans le secteur alimentaire redoutent ainsi une rivalité des grandes surfaces qui leur serait fatale s’ils perdaient leur avantage compétitif. Dans ce cas, "les professionnels indépendants sont 93% à craindre de devoir fermer leurs portes", affirme Jean-Guilhem Darré. Pour les autres, autoriser l’ouverture des magasins plus de cinq fois par ans, comme le projet de loi le prévoit, serait bénéfique "dans la mesure où cela permet de créer un pôle d’attractivité, donc d’augmenter le chiffre d’affaires",
indique-t-il. Du moins, à condition que le maire et la communauté de communes puissent avoir leur mot à dire. Ce qui reste incertain.

Plus largement, les ouvertures dominicales et nocturnes sont présentées comme une nécessité pour soutenir la compétitivité. "Compte tenu du flot de touristes qui existent et qui ne vont pas attendre le jeudi pour venir consommer (…), il n’y a plus de choix", affirmait ainsi le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius en septembre.

…en attirant les touristes chinois
Ces extensions seraient décisives dans le match opposant Paris et Londres pour attirer les touristes. D’autant plus que, bientôt, la France risque de perdre un avantage. En effet, un seul visa suffisait pour visiter plusieurs capitales du continent, alors qu’il en fallait un supplémentaire pour se rendre en Grande-Bretagne. Mais ce verrou devrait sauter prochainement. Le Premier ministre David Cameron a en effet prévu d’accorder aux visiteurs chinois, indiens, mais aussi émiratis ou sud-africains un visa spécial plus rapide à obtenir pour les inciter à faire un détour par le Royaume-Uni.

Or, cette compétition débouche sur une bataille de chiffres pour tenter de démontrer laquelle des deux villes attire le plus de visiteurs ; et où les précieux touristes chinois dépensent le plus. La société Mastercard comptabilise ainsi plus de visiteurs à Londres et Bangkok qu’à Paris. Dans la Ville Lumière, les utilisateurs de cette carte ont dépensé 15,57 millions de dollars lors de leur déplacement, contre 18.69 millions de dollars pour Londres. Ce chiffre comprend le prix du voyage et de la nuit sur place.

Autre indicateur, celui du réseau de points de ventes en duty free, Global Blue. Celui-ci estime que, de toutes leurs destinations de prédilection, c’est à Paris que les Chinois dépensent le plus pour leurs emplettes, devant Londres et Singapour. Sauf que, dans le parcours de ces fameux touristes chinois, "les Grands Magasins ne font pas partie du programme des tours operators le dimanche", pointe-t-on côté syndical. Tandis que "le soir, les touristes chinois assistent à des spectacles, ou bien repartent vers une autre capitale", estime un vendeur.

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