L'ouverture le dimanche est une menace pour les commerçants indépendants

L’Express, 20/10 – BERNARD MORVAN

Le ministre de l’Économie souhaite assouplir les conditions d’ouverture des commerces le dimanche. Mais cette mesure, si elle est décidée sans concertation, risque d’entraîner la mort des magasins indépendants de centre-ville.

Est-ce vraiment la volonté politique actuelle de faire définitivement disparaitre le commerce indépendant de centre-ville au détriment de l’emploi et du lien social qu’il sous-tend ? De ne privilégier que la périphérie au profit exclusif des grandes enseignes, uniformisant tout sur son passage et sacrifiant des centres-villes qui ne cessent de se vider ?

Et que dire des risques sociétaux d’une telle démarche ? À force de rafistoler par petits morceaux une réglementation kafkaïenne, on prend le risque de compromettre encore plus la cohésion sociale que nos commerces de proximité entretiennent en déshumanisant l’acte d’achat. Ces relations entre les générations et les cultures sont un facteur de stabilité de la société, dont nos commerces sont les garants.

Aujourd’hui, les maires ont toute possibilité d’autoriser les commerçants employant des salariés à déroger au repos dominical, mais ces possibilités sont loin d’être entièrement utilisées ! Il existe plus de 600 zones d’intérêt touristiques ou thermales, 32 PUCE (périmètre urbain de consommation exceptionnelle), situés dans trois agglomérations de plus d’un million d’habitants, des secteurs entiers tels que le bricolage, la jardinerie, l’ameublement, les commerces de détail alimentaires ouverts le dimanche jusqu’à 13h, et bien entendu, les 5 dimanches pour tous les acteurs employeurs du commerce, à discrétion du maire.

Il faut savoir par ailleurs que les salariés ne sont pas traités à la même enseigne, puisque ceux travaillant le dimanche en zones touristiques n’ont pas de majoration de salaire ni de récupération. En effet, dans les zones touristiques la notion de "dimanche" disparaît… Mais les commerçants, afin de ne pas pénaliser leurs salariés, ont ajusté les salaires en fonction de ce travail du dimanche, il y a déjà des années de cela. Qu’adviendra-t-il ce ces derniers lorsqu’on leur demandera de majorer ces salaires ?

Si le Gouvernement voit un levier de croissance dans la création de nouvelles zones touristiques, il doit fortement prendre garde aux conditions sociales qu’il inscrira en contrepartie dans sa loi, et comprendre le risque qui découlerait de cette décision venant ainsi détruire un équilibre fragile établi dans les zones touristiques actuelles, avec les pertes d’emplois qui ne manqueront pas de s’ensuivre…

De même, si la loi aboutissait à une augmentation du nombre de dérogations dominicales dans les zones non touristiques, il est certain que les commerces indépendants de centre-ville qui emploient des salariés n’auraient pas les moyens humains et financiers de suivre le rythme d’ouverture des plus gros acteurs, créant ainsi un facteur discriminant supplémentaire.

Y aurait-il une demande pressante d’élargissement de ces zones provenant des territoires ? En Haute-Garonne, un accord signé par toutes les parties prenantes concernées – syndicats de salariés et syndicats patronaux, l’Association des maires de la Haute-Garonne, et la Direction générale du Travail de Haute-Garonne – vient limiter les ouvertures des commerces les dimanches et jours fériés et tordre le cou à l’idée véhiculée par certains qu’il faudrait libéraliser encore plus les ouvertures pour les commerçants qui salarient.

Et on voudrait nous faire croire que le débat est national ? De plus, le nombre de dérogations au repos dominical n’est pas non plus une réponse. On veut donc en revenir à la définition des zones touristiques, notamment dans la capitale, pénalisée et directement concurrencée par Londres grâce à un accès facilité par le TGV. Attention : contrairement à l’idée reçue, 80 % des commerces parisiens sont des commerces indépendants de proximité. Ce nombre exceptionnel provient d’une politique assumée d’urbanisme commercial qui a favorisé la diversité, l’emploi et le lien social dans la capitale. Prenons garde à ne pas les détruire…

La revitalisation des centres-villes est une préoccupation majeure de la Fédération Nationale de l’Habillement, qui au travers de son Plan Marshall présente actuellement aux autorités compétentes 58 propositions afin d’éviter de voir disparaître les centres-villes, les uns après les autres, et la question du dimanche y figure en bonne place. Si jamais la solution passait par une redéfinition des zones touristiques, la France des régions pourrait enfin respirer et se battre pour revitaliser ses commerces de centres-villes, véritables réservoirs d’emplois, garants des liens sociaux et de proximité entre les citoyens.

Bernard Morvan est le président de la Fédération Nationale de l’Habillement

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