L'ouverture du dimanche va-t-elle "casser le petit commerce" ?

Nouvel Obs le 20-10-2014 à 20h16
 

En avril dernier, avec d’autres commerçants de la région, Philippe Dauberte manifestait en Haute-Garonne contre l’ouverture d’un supermarché le dimanche à Martres-Tolosane. Perché sur son escabeau, il s’emparait du porte-voix pour dénoncer la fin programmée des petits commerces : "J’avais l’air un peu ridicule mais le ridicule ne tue pas, la preuve, je suis toujours là pour me battre". Lundi 20 octobre, sur France Inter, Martine Aubry est à son tour montée au créneau contre le travail dominical. La maire de Lille prévient : "On va casser le petit commerce". Vraiment ?
Dans le petit bourg de Boussens, à quelques kilomètres de Martres-Tolosane, Philippe Dauberte en fait chaque semaine l’expérience. Car depuis que le Super U a obtenu l’autorisation d’ouvrir le dimanche, le chiffre d’affaires de son épicerie indépendante, qui s’élevait à 2.000 euros ce journée-là, est tombé à 300 euros. Un résultat qui n’évolue plus depuis : "Ce n’est pas intéressant d’ouvrir le dimanche pour une si petite somme mais je le fais pour que la proximité ne disparaisse pas", explique ce quinquagénaire qui a "l’épicerie dans la peau."
Un écart de prix peu significatif
Le choc est d’autant plus rude que son Urssaf est calculé sur l’année précédente. Son chiffre d’affaires a chuté mais ses charges sont pour l’instant restées les mêmes.
Cela fait 28 ans que je fais ce métier et, aujourd’hui, je ne peux même plus me rémunérer."
Philippe Dauberte en est convaincu :
Les clients ont remplacé le jour de leurs achats mais ils ne consomment pas plus".
Le dimanche était un jour important pour son commerce. Son incompréhension est d’autant plus grande qu’il juge cette concurrence injuste. La grande surface a les moyens de faire du matraquage publicitaire alors que l’écart de prix avec son épicerie n’est pas si élevé. "C’est inscrit dans l’esprit des gens mais ils ne voient pas qu’on arrive pourtant à être compétitifs" : il a fait l’expérience de comparer deux paniers identiques, avec 12 produits, achetés chez lui et au supermarché : 25,69 euros dans son épicerie, 25 euros au supermarché.
Pour s’en sortir, l’épicier de Boussens, 1.000 habitants, vient de trouver un nouvel investisseur pour cinq ans : "C’est un gros risque que je prends. Mais qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Devenir chef de rayon dans une grande surface ?" Philippe Dauberte ne pourrait pas se passer du contact avec ses clients, des discussions sur la politique, le foot, les gamins… Pour le moment, il tient parce que sa femme a un travail en dehors de l’épicerie :
On vit avec son salaire. Je ne suis pas fier. Humainement parlant, c’est très difficile. Je ne peux même plus m’acheter une paire de chaussures."
En avril, les commerçants de la région avaient créé une association, Articom 31, elle a été dissoute depuis, sous la pression des grandes enseignes. "Le problème des commerçants, c’est qu’ils sont très indépendants. C’est chacun de son côté". L’expérience lui a pourtant permis de réaliser qu’il n’était pas seul à subir l’impact de l’ouverture dominicale du supermarché.
Contraint d’ouvrir sept jours sur sept
Avant ce bouleversement, l’épicerie de Boussens était fermée le lundi. L’occasion pour son patron de voir les fournisseurs, de choisir :
Je veux connaître le gars qui fait mon saucisson. "Cochonou", je ne sais pas qui c’est !"
Ce ne sera désormais plus possible : pour tenter de compenser ses pertes le dimanche, il sera ouvert sept jours sur sept. Il reste à voir si les clients répondront présents. Il reste persuadé que l’épicier reste un besoin : "ça évite la voiture, on peut y envoyer son gamin sans crainte!"
L’argument de la création d’emplois avec l’ouverture du dimanche ne le convainc pas : "Cette histoire dure depuis plus d’un an et la courbe du chômage ne baisse pas, elle s’aggrave."
A Boussens, la pharmacie se bat aussi, le tabac se bat aussi… "Ici, on a tout pour être bien mais ce petit monde ne vit pas comme il faut. Alors, on va tous devoir fermer ? On perd notre vie de village, il faut nous laisser un peu de place !" L’épicier en appelle à la population:
Ce sont les clients et pas les politiques qui font la société. La proximité, on a tous besoin de ça."
Il fait tout pour tenir car ce n’est pas dans sa nature de se laisser aller. Mais se sent abandonné. "J’ai écrit à tout le monde, même à Carole Delga, la secrétaire d’Etat chargée du Commerce. Elle habite à quatre kilomètres d’ici mais elle n’est jamais venue. Il n’y a rien qui bouge."

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