Pierre Gattaz a-t-il pété un plomb ?

Pierre Gattaz remet le couvert. Il y a quelques mois, nous l’avions défié publiquement de fournir la moindre étude démontrant que le travail du dimanche crée de l’emploi. Malgré nos relances, nous n’avons à ce jour reçu aucune réponse.

La CFTC l’a également fait en mai de cette année, avec ce courrier , qui est également resté sans réponse.

Mais rien n’effraie Pierre Gattaz : il déclare ainsi, sans rire, que supprimer deux jours fériés ferait gagner 100.000 emplois, 50 à 150.000 seraient créés par le modification des seuils sociaux, entre 90 et… 300.000 via la travail du soir et le travail du dimanche !

Les économistes n’ont pas tardé à réagir : pour Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, les pistes du patronat, "sont plutôt un Scud politique que véritablement des propositions concrètes, solides", "sortent du formol" et "les chiffrages avancés sont totalement fantaisistes". Eric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), juge "très trivial" et "surestimé" le calcul fait par le Medef. Et tout à l’avenant.

Or Pierre Gattaz, qui n’est pas idiot (bien qu’il ne soit pas douanier), sait très bien que les propositions qu’il avance sont purement imaginaires, et que leur côté provocateur rend l’ensemble de son discours parfaitement inaudible tout en décrédébilisant sa démarche.

Alors, qu’est-il arrivé à Pierre Gattaz ? Il a pété les plombs ?

 

Propositions du Medef: Un projet qui crée plus de remous que d’emplois

29 contributions

«Provocation» pour le leader de la CFDT, «outrance» pour celui de Force ouvrière: dans son document intitulé «Comment relancer la dynamique de création d’emploi en France?», le Medef avait pris soin de prévenir que «certaines propositions [apparaîtraient] certainement agressives ou caricaturales pour certains». Et assurait que l’objectif était «avant tout d’animer le débat». Il ne pensait pas si bien dire. Lundi, les syndicats ont unanimement dénoncé le projet et ses propositions les plus emblématiques, comme supprimer deux jours fériés, pouvoir déroger à la durée légale du travail ou au salaire minimum et lisser les seuils sociaux.

«Un document pas finalisé»

Face à ce tollé, le Medef a annoncé le report d’une semaine de la conférence de présentation de son plan initialement programmée ce mercredi. «Le Medef souhaite en effet soumettre au débat des propositions de nature économique et sociale et n’entend pas s’insérer dans une séquence politique», précisait lundi l’organisation dans un communiqué.

«Les vives réactions sont dues à un document qui n’est pas finalisé, qui vient troubler une semaine très chargée médiatiquement et politiquement [avec la déclaration de politique générale de Manuel Valls mardi et à la conférence de presse de François Hollande organisée vendredi]. Nous avons donc décidé de décaler la présentation d’une semaine pour présenter les choses clairement: on n’est pas dans le registre du démenti mais dans celui de la précision de taille», expliquait lundi à 20 Minutes un porte-parole du Medef.

«Lubies de lobbies»

Pas sûr toutefois que cela suffise à apaiser les tensions ou à convaincre. Sur le fond, les économistes interrogés par 20 Minutes restent dubitatifs sur l’efficacité des propositions avancées par l’organisation patronale. «Le Medef assure vouloir lever des tabous mais ce sont en réalité des débats ouverts depuis longtemps: ce sont des lubies de lobbies!», commente Gérard Cornilleau, économiste à l’OFCE. «De plus les chiffrages sont très fantaisistes: ni le travail le dimanche, ni la suppression de deux jours féries ne sont de nature à récréer significativement des emplois», estime-t-il. «La seule proposition à sauver dans ce plan serait la fusion du CICE avec des baisses de charge: elle va dans le sens d’une simplification et d’une pérennisation du dispositif à l’heure où les entreprises sont dubitatives sur un crédit d’impôt qui peut être remis en cause tout le temps et qui apporte une complication administrative». 

Dans le contexte français d’instabilité juridique, je ne pense pas que l’effet sur l’emploi [de ces mesures] serait important. Mais on pourrait expérimenter cela pour les start-up dans les nouvelles
technologies», estime pour sa part Etienne Wasmer, professeur d’économie à Sciences Po. Pour lui aussi, seule « la pérennité des réformes» permettra une «inflexion substantielle de l’emploi»: «Il faut que la direction soit claire. Presque plus important que la nature de la réforme, c’est qu’elle soit ambitieuse et ne soit pas remise en cause l’année suivante.» Et de prévenir: «On peut dépenser des milliards en allégements de charge, s’ils sont susceptibles de disparaître, les créations d’emploi ne seront pas programmées».   


 Par  , publié le 

Paris, 22 sept 2014 – Travail du dimanche, seuils sociaux, jours fériés… La tentation d’aller piocher dans les acquis sociaux pour lutter contre le chômage revient avec force, notamment du côté du Medef qui va présenter ses propositions mercredi. Quelles sont les pistes sur la table et pourraient-elles être efficaces

 

JOURS FERIES

Le Medef évoque l’idée de supprimer deux jours fériés par an sur onze pour gagner un point de croissance et créer 100.000 emplois. 

 

Pour Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, les pistes du patronat, qui "sont plutôt un Scud politique que véritablement des propositions concrètes, solides", "sortent du formol" et "les chiffrages avancés sont totalement fantaisistes".  

 

"On sait parfaitement évaluer les effets des jours fériés du fait des années bissextiles ou des années où certains jours féries tombent le dimanche", dit-il à l’AFP. "En gros, deux jours fériés rapporteraient au maximum 0,1 point de croissance. Et en terme de créations d’emplois c’est quelque chose qui se promène autour de zéro". 

 

Eric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), juge "très trivial" et "surestimé" le calcul fait par le Medef. 

 

Il explique que non seulement l’organisation patronale n’a pas retenu le bon nombre de jours travaillés par an mais n’a pas tenu compte de réalités économiques comme le fait que les entreprises anticipent les jours fériés et travaillent un peu plus avant et après. 

 

"Le calcul bien plus robuste de l’Insee de l’impact d’un jour férié tombant en semaine c’est 0,07 par jour. Donc deux cela fait 0,15 et pas un (point de croissance). C’est quasiment dix fois moins", relève l’économiste. 


SEUILS SOCIAUX

Le patronat veut assouplir les seuils créant des obligations sociales aux entreprises, le patron du Medef Pierre Gattaz faisant miroiter 50.000 à 150.000 créations d’emplois. 

 

Une négociation pour "moderniser le dialogue social" avec notamment ce sujet à l’ordre du jour doit débuter en octobre et le gouvernement est prêt à légiférer en cas d’échec. 

 

Pour M. Askenazy, "ça peut être légitime de discuter de la représentation des salariés", mais "il n’y a rien de solide" qui permette de dire qu’il y aurait de l’emploi à la clé. 

 

TRAVAIL DU DIMANCHE

Pour le Medef, autoriser les commerces à ouvrir le soir et le dimanche permettrait d’engendrer entre 50.000 et 200.000 emplois dans le tourisme, et entre 40.000 et 100.000 dans le commerce et la distribution. 

 

Les conditions d’ouverture devraient être assouplies dans le projet de loi sur la croissance. Mais les économistes ne sont pas convaincus. 

 

"Ca ne peut pas avoir un effet massif" sur l’emploi, estimait il y a peu Gérard Cornilleau (OFCE). 

 

M. Askenazy juge en outre le débat "mal positionné", arguant du fait qu’"élargir sans arrêt les horaires a un coût énergétique très important, qui va à l’encontre des objectifs de développement durable" et "au bout du compte se retrouve dans les prix des consommateurs". 

 

35 HEURES

Pour M. Gattaz, "les 35 heures appliquées de manière uniforme, ce n’est plus d’actualité". 

 

Fin août, Matignon a assuré que le gouvernement n’avait pas l’intention de revenir sur la durée légale du travail, après une interview du ministre de l’Economi
e Emmanuel Macron (réalisée avant sa nomination), dans laquelle il se disait pour des aménagements via la négociation.  

 

Les 35 heures ne sont toutefois ni le temps de travail effectif ni la durée maximale autorisée (48 heures) en France. Et "leur impact a déjà été lissé avec le temps", estimait récemment Philippe Waechter, économiste chez Natixis. 

 

SMIC

Le Medef espère de 50.000 à 100.000 emplois sur cinq ans en dérogeant au salaire minimum pour certaines catégories de demandeurs d’emploi.  

 

M. Gattaz avait suscité un tollé au printemps en suggérant de discuter d’un salaire temporaire inférieur au Smic (1.445 euros brut par mois) pour les chômeurs de longue durée et les jeunes sans formation. Le ministre du Travail François Rebsamen l’avait alors prévenu "qu’on ne touchait pas au Smic". 

 

Pour M. Cornilleau la proposition patronale porte en elle un risque d’inégalités, et il s’agit d’un "choix politique: quel degré d’inégalités accepte-t-on’" 

 

 

Laisser un commentaire