Jérôme Vignon : « Le repos dominical est plus qu’un symbole »

La Croix, 14/10/13 – Jérôme Vignon préside depuis 2007 les Semaines sociales de France (1).

 Jérôme Vignon, président des Semaines sociales (P.Razzo/Ciric).

 » A la suite de la fronde de deux enseignes du bricolage soutenues par un collectif de salariés, les pouvoirs publics ont mandé d’urgence un sage, Jean-Paul Bailly, pour faire de nouvelles propositions concernant l’encadrement des dérogations au principe général ducode du travail selon lequel le dimanche est, pour tous les travailleurs, jour de repos.

Le conflit est ancien. Mais le contexte de chômage et de montée du travail précaire lui donne un relief nouveau. Peut-on refuser d’élargir les dérogations, particulièrement à Paris, alors que plus de souplesse accordée aux enseignes et aux grands magasins permettrait, selon certaines associations de commerçants, de créer jusqu’à 20 000 emplois ? [CE QUI EST FAUX EN CREATIONS NETTES, SAUF DEMONSTRATION CONTRAIRE, LE TRAVAIL DU DIMANCHE NE CREE PAS D’EMPLOIS – NDLR]

Peut-on rester insensible à la demande de travailleurs occasionnels qui trouvent là une source essentielle de rémunération ? Se trouverait-on donc à nouveau en présence de la résistance archaïque née d’une alliance hétéroclite de syndicalistes et d’Églises face aux préférences des salariés comme des consommateurs ?

UNE ÉVOLUTION QUI CONCERNE TOUTE L’EUROPE

On se tromperait cependant en se focalisant sur la seule question du travail le dimanche en France. Elle s’inscrit en effet dans une évolution beaucoup plus large concernant toute l’UE, et qui s’est traduite depuis une dizaine d’années par une sensible détérioration des conditions du travail, dont l’accroissement du travail le dimanche n’est qu’un aspect : développement des contrats dits atypiques, accroissement des emplois à temps très partiels non couverts par des conventions collectives, variabilité fréquente des durées hebdomadaires compensée par des récupérations irrégulières des jours de repos.

En Allemagne notamment, la proportion de travailleurs conduits à travailler régulièrement le dimanche est passée de 9 à 13 % entre 2004 et 2012, cette augmentation coïncidant avec l’application des mesures du gouvernement Schröder ayant conduit à fortement augmenter les « mini-jobs ».

UNE QUESTION DEVENUE UN SYMBOLE

Une réflexion s’est donc fait jour, au niveau européen, dans le contexte de la négociation sur les durées maximales de travail et l’organisation des repos compensateurs. Elle a conduit la Commission européenne à préciser que la protection de la santé au travail, objet des législations européennes (article 137) devait s’entendre aussi dans ses aspects psychiques, lesquels comprennent le droit à une vie familiale équilibrée, la possibilité de nouer des liens sociaux et celle de développer une vie spirituelle. 

La question du repos dominical est ainsi devenue un symbole, au-delà de la dimension religieuse qui s’y attache, d’une cohérence fondamentale du modèle social européen : comment demander d’un côté aux travailleurs de vivre plus longtemps au travail et faire comme si leur santé était négligeable, seul important l’accroissement des rémunérations ?

QUEL MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT VOULONS-NOUS ? 

Le repos dominical n’est pas qu’un symbole. Il est aussi une boussole face à la question que soulève le critère proposé par le premier rapport Bailly : les dérogations autorisant le travail le dimanche doivent être prises dans« l’intérêt manifeste des consommateurs ». Bref, le consommateur n’est-il pas en droit d’imposer ses exigences au travailleur ? 

Mais alors à quoi bon développer une pédagogie de la consommation responsable, notamment au regard des impacts environnementaux ? Tenir ferme sur le cap d’une intangibilité du principe du repos dominical, c’est aussi soutenir que la liberté du consommateur est toujours une liberté responsable. Sans cette responsabilité, on peut renoncer à tout projet de long terme, à quelque transition écologique que ce soit et se contenter de naviguer à vue, au gré des pressions du moment.

Il faut souhaiter que le nouveau rapport Bailly se situe dans une perspective large, européenne, tournée vers l’avenir, tant du point de vue de nos exigences démographiques que du modèle de développement que nous voulons promouvoir. Avec cette boussole, il pourra faire mieux que s’arc-bouter sur un principe formel, et montrer son caractère stimulant pour tous. »

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