Etendre le travail nocturne, un pari risqué

Après Sephora et Apple, Monoprix se voit contraint de fermer après 21 heures. Juste protection des salariés ou déraisonnable entrave à l’emploi ?

Le magasin Sephora a été contraint la semaine dernière par la justice à fermer son magasin des Ch...

KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Le magasin Sephora a été contraint la semaine dernière par la justice à fermer son magasin des Champs-Elysées à 21 heures, contre minuit en semaine et 1 heure du matin le week-end jusqu’à présent.

Les Monoprix à leur tour contraints de fermer à 21h

Faut-il assouplir la législation sur le travail nocturne ? En communiquant mardi 1er octobre, sur l’impossibilité d’ouvrir ses magasins après 21 heures – la CGT, majoritaire, ayant à nouveau fait valoir son droit d’opposition à un accord encadrant cette pratique –, Monoprix a relancé le débat

La semaine précédente, c’est le parfumeur Sephora, condamné à fermer en soirée son magasin des Champs-Élysées, qui avait mis le sujet sur la place publique. Entre les deux, le Comité Champs-Élysées, qui regroupe 180 enseignes du célèbre quartier parisien, a « regretté l’oubli du premier ministre », qui a lancé une mission sur le travail dominical, mais pas sur celui du soir.

« S’ADAPTER AU CLIENT »

De fait, alors que la loi reste imprécise, de nombreuses enseignes se sont mises, depuis une dizaine d’années, à ouvrir en soirée, notamment dans les grandes villes. Mais, depuis fin 2011, une petite dizaine de décisions de justice (Franprix, Galeries Lafayette, Uniqlo, Apple, Sephora…) ont estimé que la « continuité de l’activité économique » ne justifie pas l’ouverture au-delà de 21 heures.

De sorte qu’au sein du patronat, plusieurs voix aimeraient voir la législation évoluer. Y compris chez les Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, qui, s’ils sont attachés au « maintien de la pause dominicale », se disent« favorables aux horaires de travail plus souples » en soirée.

Premier argument mis en avant : la nécessité de s’adapter aux clients. « Le soir, il y a beaucoup de personnes sur les Champs-Élysées, notamment des touristes étrangers qui ne sont pas là à un autre moment », explique-t-on chez Sephora, dont le magasin est ouvert jusqu’à minuit en semaine et 1 heure du matin le week-end.

« Dans les grandes villes, de nombreux consommateurs sortent tard du travail et ont besoin de faire leurs courses en soirée », renchérit-on chez Monoprix, qui ouvre 91 de ses 300 magasins après 21 heures et trois après 22 heures.

« UN BILAN GLOBALEMENT NÉGATIF POUR L’EMPLOI »

Mais cette souplesse suscite-t-elle des achats supplémentaires ou ne fait-elle que déplacer les horaires de consommation ? Le Sephora des Champs-Élysées, ouvert en soirée depuis 1996, avance que 20 % de son chiffre d’affaires se fait à ce moment-là. Dans la grande distribution, le bilan d’un éventuel gain de consommation est, lui, plus compliqué à faire.

Surtout, cet éventuel gain de chiffres d’affaires est-il bénéfique pour l’emploi ? Sephora assure qu’une cinquantaine de salariés sont concernés par les horaires tardifs, dont une dizaine travaillent exclusivement de façon nocturne. À Monoprix, 1 500 salariés travaillent sur ce créneau, la plupart à temps partiel.

« Il est possible que ce créneau horaire profite aux grandes enseignes mais ce qui est sûr, c’est que, comme les petits commerces ne peuvent pas suivre, le bilan est globalement négatif sur l’emploi », affirme Jean-Pierre Crouzet, président de l’Union professionnelle artisanale, qui estime qu’« un emploi créé dans la grande distribution, c’est trois emplois détruits dans le petit commerce ».

« COMPENSER LE PRÉJUDICE SUR LA VIE PERSONNELLE »

Reste la question du pouvoir d’achat des salariés. À Sephora, une majoration de 25 % était proposée après 21 heures. À Monoprix, ce bonus variait entre 25 et 35 %. « 25 % du smic horaire, ça représente moins de 2 € en plus, calcule Éric Scherrer, membre (Seci Unsa) de l’intersyndicale Clic-P, à l’origine de nombreuses procédures, ça fait quand même pas beaucoup pour compenser le préjudice sur la vie personnelle ! »

De toute façon, conclut Karl Ghazi, son homologue de la CGT, « les intérêts particuliers ne peuvent pas se substituer à l’intérêt collectif. Si certains commerces commencent à faire travailler des salariés la nuit juste pour vendre ou mettre en rayon des produits, demain, les concurrents vont s’y mettre, puis il faudra que les transports suivent, et pourquoi pas les crèches ! C’est une brèche trop importante pour laisser faire ».

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UNE LÉGISLATION IMPRÉCISE

Est considéré comme travail de nuit tout travail entre 21 heures et 6 heures du matin, sauf accord collectif convenant d’un autre créneau horaire,  par exemple au-delà de 22 heures.

Le recours au travail de nuit est légal mais la loi considère qu’il doit rester « exceptionnel » et prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Il doit aussi être justifié par la « nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale », définition assez vague. Enfin, la mise en place du travail de nuit doit être encadrée par accord de branche ou accord d’entreprise.

Des contreparties doivent être prévues « sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, de compensation salariale », sans plus de précision.

NATHALIE BIR
CHEM

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