«Bricoleurs du dimanche» – Anatomie d'une manipulation

FO Hebdo 3091

Le collectif de salariés de Leroy Merlin et de Castorama spontanément mobilisés pour travailler le dimanche cache en fait une opération de propagande préparée en amont par deux enseignes de bricolage, qui y ont mis les moyens: agence de communication, sondages sur mesure, avocat et antichambres patronales s’agitent dans l’ombre.

Mercredi 2 octobre,les «Bricoleurs du dimanche» ont sorti les T-shirts. Cent cinquante salariés de Leroy Merlin et Castorama se sont donné rendez-vous à proximité de l’hôtel Matignon.Sifflets et pancartes sont de mise, le mouvement entend montrer sa détermination au mur de journalistes qui couvrent l’événement: France 2, France 3, Canal+, i>Télé, BFMTV, France Inter, France Info, RTL, Radio Classique, L’Humanité, Le Parisien et Le Figaro sont là. La presse a répondu massivement à l’appel du petit nombre de manifestants.Une banderole a été imprimée pour l’occasion, on peut y lire: «Si on attend le rapport, on est morts». Le rapport dont il est question est celui que le gouvernement a commandé deux jours plus tôt à l’ex-P-DG de La Poste, Jean-Paul Bailly, sur la question du repos dominical. L’organisation de la manifestation est impeccable… Comment un mouvement de salariés présenté comme spontané a-t-il le temps et les moyens d’être aussi efficace?

Tout simplement parce qu’une agence de communication est aux manettes pour suivre et coordonner les actions du collectif. Cette agence, Les Ateliers Corporate, a parmi ses clients les enseignes Castorama et Leroy Merlin. Le job des Ateliers: attirer le plus de journalistes possible et agir ainsi sur l’opinion publique comme moyen de pression sur le législateur. Pour cela, l’agence cherche, selon son propre site Internet, à «identifier tous ceux, journalistes, blogueurs ou prescripteurs, qui par leur capacité d’influence contribueront à exprimer la transformation de l’entreprise». En résumé, ces professionnels de la communication travaillent sur l’image des entreprises et dans le cas des «Bricoleurs du dimanche», ils cherchent à présenter les intérêts privés des actionnaires de Leroy Merlin et de Castorama en intérêt général des salariés. Et il semble que cet exercice de haut vol porte ses fruits.

Tout a commencé en décembre dernier: quelques jours après l’assignation en justice de Leroy Merlin et de Castorama par Bricorama, l’agence de communication animait une réunion de crise. Une centaine de salariés approchés par leur direction étaient présents. Un témoin, déniché par Adrien Oster, journaliste au Huffington Post, raconte: «L’après-midi, on a été divisés en sous-groupes pour travailler sur différents thèmes, comme les moyens d’action à mettre en place, le nom du collectif, etc. En présentant notre travail aux consultants, certains ont eu l’impression que le débat était orienté et qu’ils nous menaient là où ils voulaient. Ils ont d’ailleurs éliminé pas mal de nos idées et au final, les moyens d’action que nous avons arrêtés ressemblaient beaucoup à ceux qu’ils nous avaient présentés le matin.» Le témoin précise que cette journée a été organisée sur son temps de travail et que la direction a tout financé, y compris les frais de déplacement et le buffet.

«Quand nous avons manifesté entre Montparnasse et le ministère du Travail, la direction a loué un bus, nous a fourni des sandwichs et on s’est servis dans les rayons pour préparer le défilé. Tout a été financé de A à Z par les patrons.»

Au sein des Ateliers Corporate, c’est Xavier Yvon qui est chargé de mettre de l’huile dans les rouages. «On les aide pour que les médias s’en occupent», explique le communicant à une journaliste de France 5. Scène stupéfiante: c’est lui qui sert de correspondant avec le haut fonctionnaire de Matignon venu le rencontrer. C’est aussi lui qui désigne à ce même fonctionnaire le porte-parole du mouvement que le Premier ministre recevra quelques minutes plus tard.

Il s’appelle Gérald Fillon (mais oui!), est salarié de Leroy Merlin depuis 2011. Il est en relation constante avec son coach, Xavier Yvon, ainsi qu’avec un certain Stéphane Attal, directeur associé… des Ateliers Corporate. Tout à sa tâche de communicant, ce dernier a négligemment oublié de déposer les comptes 2012 de sa société au tribunal de commerce. Une obligation légale dont l’infraction est passible d’une amende de 1.500 euros. Il faut dire que le poste de directeur associé de l’agence Les Ateliers Corportate mène à tout. Une ex-Dir’A est, depuis août dernier, directrice de communication du parti socialiste. Ce qui ne l’empêche pas d’être amie, sur Facebook, avec Gérald Fillon et Stéphane Attal, porte-parole et organisateurs du rassemblement devant Matignon.

Florence Livi

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