Ouverture dominicale des magasins de bricolage : les consommateurs solidaires des salariés

Voilà encore un excellent article de propagande, dû à l’excellente plume de M. Frédéric Pelouze, avocat chez Bredin et président d’OpenConso, une sorte de 50 millions de consommateurs liftée. 

L’analyse de son discours est une mine d’enseignements pour les petits docteurs Carabistouille.

En rouge dans le texte, nos commentaires.

Les Echos, 13/2/13 LE CERCLE. par Frédéric Pelouze

Ouverture dominicale des magasins de bricolage : les consommateurs solidaires des salariés

On commence très fort, avec une épaisse contre-vérité en guise de titre : en effet, Frédéric Pelouze sous-entend que puisque les consommateurs ET les salariés veulent travailler le dimanche, c’est que tout le monde veut que tous les magasins de bricolages soient ouverts le dimanche. Il en oublie juste les conséquences et les impacts : combien de personnes voulant acheter un marteau sont-elles volontaires pour travailler elles-même le dimanche ?

Depuis plusieurs mois les consommateurs franciliens ne peuvent plus se rendre dans certains magasins de bricolage le dimanche, le jour pourtant dédié par excellence au bricolage. Pourquoi ? Le syndicat Force ouvrière (FO) a obtenu en justice de Bricorama qu’il ferme désormais le dimanche ses points de vente en région parisienne.

Et on poursuit dans la même veine. Selon l’auteur, les consommateurs « ne pourraient plus », comme si c’était la guerre ! Il pourrait aussi dire que les automoblistes ne « peuvent plus » stationner sans ticket de stationnement, ou que les dealers ne peuvent plus dealer sans risques. Il affirme ensuite que le dimanche est le jour par excellence dédié au bricolage. Et le samedi ? Et le soir ? Et les vacances ? Et le foot ? Et la famille ? Puis « Le syndicat FO a obtenu en justice que« . Là, il sous-entend que FO, tout puissant, ferait sa propre loi, à laquelle le syndicat aurait soumis la justice. Entendre cela de la part d’un avocat de profession est effarant, mais atteint son objectif : présenter FO comme un perturbateur du confort des bricoleurs du dimanche.

 

En dépit de la lourde astreinte de 30 000 euros par magasin et par dimanche travaillé, Bricorama avait fait le choix de conserver ses magasins ouverts. FO réclamait 37 millions d’euros à Bricorama comme prix de cet entêtement, soit plus de deux fois son bénéfice annuel. Si l’enseigne de bricolage a finalement échappé à la sanction pour vice de preuve, les fermetures continuent de menacer : les Castorama de Villemomble et Villetaneuse, risquent de fermer à partir du 15 mars si aucune dérogation ne leur est accordée d’ici-là.

Allez hop, un petit coup de victimisation. L’astreinte serait « lourde« , de « deux fois le bénéfice« , et les fermetures « continuent de menacer« . Bientôt la fin du monde. Il faut rappeler que le montant des astreintes était connu de Bricorama, qui a choisi délibérément d’ouvrir, en toute connaissance de cause, pariant sur le laxisme de la Justice. Que Bricorama, tellement sûr de son pari, n’avait même pas provisionné les amendes dans ses comptes ! Et le résultat net 2011 de Bricorama est de 24,1 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 951 millions d’euros, le montant d’amende étant susceptible d’atteindre 18,145 millions d’euros, le résultat aurait été ramené de 24 millions à 8 millions d’euro, toujours bénéficiaire, avec en plus une diminution de l’impôt à payer sur le résultat et des dividendes aux actionnaires. Et qu’au final, Bricorama n’a rien payé, pour un « vice de forme » de circonstance. Rangez vos larmes de crocodile, M Pelouze, et veuillez plutôt donner de vrais chiffres.

Comment en est-on arrivé là ? Le consommateur n’y comprend rien. Et pour cause, les règles en vigueur sont complexes, illisibles, extraordinairement inéquitables et souvent contreproductives.

Là, nous sommes d’accord : la règlementation est illisible. Solution proposée par M. Pelouze au paragraphe précédent : encore plus de dérogations. La logique de M Pelouze est décidément bien surprenante…

Pas moins de 180 dérogations de toutes sortes en France

L’interdiction de principe de travail le dimanche est assortie de pas moins de 180 dérogations de toutes sortes en France.

« L’interdiction de principe du travail le dimanche » : l’avocat choisit bien ses mots, présentant comme une perte de liberté ce principe d’un jour de repos hebdomadaire commun à toute la société. Mais M. Pelouze, dans un élan libertaire dont la logique nous échappe, veut encore augmenter ces dérogations. Sans doute pour pouvoir rendre la loi encore plus lisible, et que les citoyens aient moins besoin de ses services si peu onéreux ?

Attribuées dans de nombreux cas par le préfet ou le maire, ces dérogations comportent une dose considérable d’arbitraire. Chacun connaît le fameux exemple des « zones touristiques » : un magasin situé immédiatement à côté de la zone sera interdit d’ouverture le dimanche alors même que le magasin d’à côté, situé lui en zone touristique, sera ouvert !  C’est ainsi que les magasins du Carrousel du Louvre peuvent ouvrir, mais pas les Galeries Lafayette et le Printemps, dont pourtant 50% des clients sont des touristes !

Depuis la loi Mallié de 2009, de nouvelles zones ont certes été créées, mais ces périmètres d’usage de consommation exceptionnelle (« PUCE ») posent exactement le même problème.

Ici, M. Pelouze découvre l’eau tiède ! Quel scandale, que ces limites ! Quelle horreur ! Pensez donc, une limite a été arbitrairement définie pour délimiter les zones touristiques, alors probablement qu’un gradient logarithmique aurait été tellement juste, plus équitable, et plus simple ! Il paraîtrait même que du côté droit des Champs c’est ouvert, et de l’autre, c’est fermé ! Aux armes, citoyens !

Mais même pour les heureux bénéficiaires de ces dérogations la situation est problématique : outre le fait que l’attribution de ces dérogations est souvent tardive, elles doivent être renouvelées périodiquement, ce qui crée une climat d’insécurité juridique difficilement conciliable avec le monde du commerce qui réclame prévisibilité et stabilité. Résultat, ce cadre règlementaire freine les investissements, les embauches et donc les opportunités pour tous les consommateurs de pouvoir se procurer des biens et services, partout, tout le temps.

Là, M. Pelouze nous révèle son idéal sociétal : il faut que le consommateur puisse se procurer des biens et des services partout et tout le temps. Cet idéal n’est pas le nôtre. Mais cet idéal n’est même pas l’idéal de M. Pelouze, dont le cabinet d’avocat, Bredin Prat, est fermé le dimanche. Que M. Pelouze veuille bien donner l’exemple donnerait plus de crédibilité à ses sermons ultra-libéraux.

Au passage, il jongle encore avec des vérités « un climat d’insécurité juridique » effectivement existant, mais dont le renouvellement de l’autorisation PUCE, tous les 5 ans, et qui sera probablement automatique n’est responsable en rien. C’est toujours de la propagande, mais la ficelle est un peu grosse.

Le cas des magasins de bricolage constitue le paroxysme de l’absurdit
é du système. Qui peut comprendre que les enseignes des magasins de bricolage soient traitées différemment des jardineries et des magasins d’ameublement ? Comment expliquer une telle différence de traitement alors même que les magasins de bricolage réalisent entre 40 et 50% de leur chiffre d’affaires en vendant les mêmes types de produit que les jardineries et les magasins d’ameublement ? Rien ne justifie une telle rupture d’égalité qui crée un préjudice au consommateur, au-delà de l’atteinte à la liberté du commerce et à la liberté du travail. 

Retour à la découverte de l’eau tiède. M. Pelouze découvre l’effet domino, que nous dénonçons depuis des années : de fil en aiguille, il faudra ouvrir tous les commerces le dimanche, et c’est bien le mouvement qui se dessine, les uns réclamant légitimement d’être ouverts puisque les autres le sont.

Cela dit, il s’agit bien de la logique de M Pelouze : que le consommateurs puisse consommer 7/7 et 24/24 (hors cabinets d’avocat, bien sûr, ce qui réduirait à 1 les 180 dérogations précédemment dénoncées). Je doute fort que les consommateurs, qui se retrouveront au boulot le dimanche du fait du choix de M Pelouze, soient très solidaires des avocats !

Au contraire de M Pelouze, nous demandons que les fondamentaux ne soient plus pollués par les intérêts commerciaux des uns ou des autres : que soit ouvert le dimanche ce qui est nécessaire, techniquement ou socialement, rien de plus. Que les trains fonctionnent le dimanche est une évidence, les boulangers aussi, mais l’ouverture d’IKEA le dimanche n’a aucune critère de nécessité.

Yes Week-end » : laissez-nous travailler le dimanche !

Cet épisode bien triste témoigne du fossé indéniable qui existe désormais entre les syndicats et les salariés : d’un côté FO s’acharne à faire fermer les magasins de bricolage le dimanche (empochant au passage les très substantielles amendes versées par les enseignes condamnées) et de l’autre le collectif de salariés des magasins Castorama et Leroy Merlin réclame de pouvoir librement travailler à travers une vidéo postée le 29 janvier sur Daily motion au slogan « Yes Week-end » : laissez-nous travailler le dimanche !

Là, c’est plutôt l’inspiration MEDEF : l’avocat laisse entendre que FO « s’acharnerait », alors que le syndicat ne vient que pallier les manques de l’inspection du travail. Puis qu’il empocherait de substancielles amendes, sans doute avec la complicité de la justice, alors qu’il s’agit d’une sanction normale d’une conduite délictueuse. Il en conclut à l’existence d’un « fossé indéniable » entre syndicats et salariés. La réalité est beaucoup moins simpliste, mais encore faut-il, pour connaître la réalité de la vie des salariés, sortir un peu de son bureau d’avocat aux moquettes épaisses…

Si leur revendication est présentée de manière plaisante, elle est en réalité très sérieuse. Pour eux, la fermeture du dimanche, jour payé double, représenterait une amputation de 30% de leur rémunération, voire pour ceux d’entre eux qui sont étudiants les empêcheraient tout simplement de financer leurs études. Si les magasins de bricolage ferment le dimanche, ce sont 1200 emplois qui seront supprimés. Or, un référendum organisé chez Bricorama a montré que les personnels étaient favorables à 93% à l’ouverture dominicale (étant entendu encore une fois que le fait de travailler ce jour-là est volontaire).

Retour à la victimisation. Certains salariés perdraient « 30% de leur salaire ». Ici, l’avocat ne présente la partie de la réalité qui sert son discours. Il est évident qu’aucun salarié n’est payé 30% plus cher s’il travaille le dimanche, même si certaines primes existent … pour le moment, et compte tenu des distortions de concurrence qui permettent de les servir. M. Pelouze se garde bien d’avertir les salariés que les primes en question seront vouées à disparition, si le travail du dimanche devenait général. Il tente ensuite de nous tirer des larmes en appelant à la barre certains étudiants pauvres (mais qui ont tous leur iphone), qui ne pourraient tout simplement plus étudier. Bientôt sur vos écrans, le retour de la petite Cosette et du bon Pelouze, dans le rôle de Jean Valjean. M. Pelouze serait-il également favorable à la prostitution d’étudiantes, qui payent aussi leurs études de cette façon ? Aurait-il oublié, n’en ayant pas eu besoin lui même, la multitude de bourses et d’aides spécifiquement réservées aux étudiants ? Il vaut mieux qu’un étudiant étudie, au lieu de faire le caissier chez Leader-Price. Il en aura le temps plus tard… s’il trouve du boulot, et si un étudiant moins bien payé que lui ne lui pique pas son job.

On passe ensuite aux chiffres de fantaisie : si les magasins de bricolage ferment, ce sont 1200 emplois qui disparaîtraient. Allons donc ! Le Dr Maillié avait bien promis la création de 50.000 emplois quand sa loi serait passée, et on est pas près de les voir ! Il est lassant de voir présenter des logiques aussi simplistes aux lecteurs. M. Pelouze semble oublier que l’économie n’est pas un tableau figé : la création d’un emploi chez l’enseigne X s’accompagne de la disparition d’un emploi chez l’enseigne Z, à volume constant. Et de 4 emplois si X est la grande distribution et Z le secteur traditionnel. Et que ce n’est pas en ouvrant tous les dimanches qu’il réussira à doubler les ventes de marteaux. Aucune étude n’a fait la démonstration de la création d’emploi par le travail du dimanche. En revanche elles en concluent quasiment toutes à l’augmentation des prix, tandis que certaines concluent à des suppressions d’emploi lié aux transferts inter-secteurs.

L’appel des salariés relaye celui, silencieux mais bien réel, des consommateurs franciliens. Dans des grandes agglomérations telles que celle de l’Ile-de-France, les temps de déplacement quotidiens ne permettent pas de faire les courses en semaine. Le week-end, en particulier le dimanche, est donc plébiscité par les familles comme temps où chacun peut se livrer à des loisirs, parmi lesquels l’amélioration de son habitat tient une place essentielle.

Ce paragraphe passe à la vitesse supérieure dans la carabistouillitude : l’avocat nous demande ici d’entendre un vaste appel, cependant très silencieux, des consommateurs franciliens ! Et du fond de ce silence, que réclament-ils ? Si, si, écoutez-bien : de travailler chaque dimanche ! Il imagine ensuite que ces mêmes consommateurs sont peu adaptables, au point que les habitants des centre-ville choisissent volontairement d’aller tous le week end s’entasser chez ces Ikea ou Leroy Merlin qui décorent si magnifiquement les zones périurbaines, alors qu’ils ont des magasins de proximité, ou qu’ils peuvent y aller en semaine, ou encore qu’ils peuvent commander et se faire livrer par Internet…

Au nom de quelle rhétorique malthusienne la France continue-t-elle d’empêcher les salariés qui le souhaitent (car le travail du dimanche est volontaire de par la loi) de travailler le dimanche, et les consommateurs d’en profiter ? Comment comprendre que l’on bride l’activité économique au moment même où les pouvoirs publics prétendent placer le retour de la croissance et l’emploi au cœur de leurs préoccupations ?

Pour conclure, M Pelouze continue à faire la démonstration de son ignorance de la vie salariale, en s’imaginant que les travailleurs du dimanche sont « volontaires de par la loi » (jolie expression !), oubliant le contrat de sujétion qui les lie à leur employeur. Très fort, pour un avocat.

Posez vous une question,
M Pelouze, vous qui ne travaillez pas le dimanche : quel salarié, s’il touchait votre salaire, dans le confort de votre bureau, serait « volontaire » pour travailler le dimanche ?

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