Cugnaux. Le supermarché qui refuse d'ouvrir le dimanche

En septembre, la CGT avait manifesté  devant les magasins de Muret qui ouvrent le dimanche/Photo DDM, RC. () La dépèche, 24/2/13

Le personnel de l’Intermarché de Cugnaux se réunit ce matin pour manifester. En accord avec la direction. Pour refuser de travailler le dimanche. Symboliquement, ils seront plus de 80, dans leur tenue dominicale habituelle : bricoleur, pêcheur, footballeur, jardinier, randonneur, supporter de rugby, cuisinier, en pyjama ou avec leurs enfants…

Leur directeur, Franck Bastien, et leur PDG, Elisabeth Cazaux, ne veulent pas ouvrir 7 jours sur 7. Mais ils risquent d’y être obligés… En cause, la décision du tribunal administratif de Toulouse, du 10 mai 2012, confirmée par la cour d’appel de Bordeaux le 30 janvier 2013, qui a cassé un arrêté préfectoral de 2008, interdisant l’ouverture le dimanche des supermarchés de plus de 400 m2., à dominante alimentaire. «Beaucoup de magasins se sont déjà engouffrés dans la brèche et ouvrent le dimanche, tels le Leader Price de Cugnaux et le Carrefour Market de Frouzins, tout près de nous» regrette Franck Bastien.

Le plus gros Intermarché de l’agglo (3600 m2, 35 M€ de chiffre d’affaires, 115 salariés en moyenne) en mesure l’impact. «On a perdu 2 % de chiffre, 700 000 € en six mois. On peut l’absorber, on se bat sur nos points forts, mais on veut se battre à armes égales. Si ça devient la règle, si d’autres concurrents ouvrent, on devra suivre le mouvement pour ne pas trop perdre» frémit Franck Bastien.

Même s’il ne croit pas à l’efficacité de l’ouverture : «C’est un report d’achat. Le porte-monnaie du client n’est pas extensible. Quand il y a un jour férié, la recette hebdo, sur 5 jours au lieu de 6, est la même. Les clients s’organisent. Le dimanche, c’est du dépannage, avec un panier moyen inférieur».

«Un repos nécessaire»

«Nos employés ont besoin de se reposer. D’autant qu’ils travaillent le samedi. Ouvrir le dimanche, ce serait très déséquilibrant pour eux, ça désorganiserait leur planning de la semaine» résume le directeur, qui devrait trouver 25 volontaires pour faire «tourner la boutique». Résultat d’un sondage, 99 % des salariés refusent de travailler le dimanche. Et même s’ils seraient payés 20 % de plus… S’ils pensent bien sûr à leur vie familiale (lire ci-contre), ils ont aussi d’autres arguments, plus responsables : «Nous sommes ouverts 6 jours sur 7, 66 heures en tout. Le client a le temps de remplir son frigo. Les magasins qui ouvrent font appel à du personnel précaire, non qualifié. Les rayons sont à moitié vides, car il n’y a pas de livraison. Quid du service ? Des produits frais ? De la poissonnerie, de la boucherie, de la boulangerie-pâtisserie ? Et en plus les gens attendent aux caisses !». «Si tous les supermarchés ouvrent le dimanche, qu’adviendra-t-il des marchés, si populaires, des petits commerces de bouche ?» conclut Julien. Le débat est lancé.


«J’ai créé 18 emplois»

Romain Champigneulle, 35 ans, est le PDG du petit (2 000 m2) Intermarché La Salvetat-Saint-Gilles. A l’origine de la plainte contre l’arrêté préfectoral, il a rouvert le dimanche mi-2012, juste après la décision de justice.

Le dimanche, c’est rentable ?

Oui. J’ai repris un magasin en difficulté en 2008. J’avais été aussitôt obligé de fermer le dimanche. J’en ai besoin. On a 400 clients en 4 heures. Le panier moyen est de 33 € contre 27 en semaine. Plutôt qu’un arrêté, je suis partisan de laisser les entreprises faire ce qu’elles veulent.

Comment faites-vous avec votre personnel ?

Je ne suis pas stupide, c’est débile de forcer les employés à bosser le dimanche. Il faut les protéger. Seuls deux cadres travaillent un dimanche par mois. Ils ont davantage de primes. Et ils récupèrent le samedi. Ils sont contents. Aucun salarié de la semaine ne travaille le dimanche ! Depuis juin, j’ai recruté 18 personnes, pour la plupart des étudiants. J’ai reçu 30 CV en deux jours. Ils sont contents, et réclament des heures en plus. Du coup, la moitié des caissières ne travaille plus le samedi, ni le dimanche. C’est rare …

Comment faites-vous pour la poissonnerie, la boucherie, la boulangerie ?

J’ai un «petit» magasin. Je ne fabrique rien sur place. Je n’ai pas besoin de spécialistes, tout est emballé, en libre-service.

Vous faites du tort au petit commerce, aux artisans ?

Je ne suis pas sûr. Je vends des produits frais, mais basiques, industriels. Je n’ai pas la même clientèle qu’un artisan pâtissier, boucher ou qu’un fleuriste. Au contraire, je draine du monde en ville. Nous sommes complémentaires.


«ça détruit la vie de famille»

Les employés de l’Intermarché Cugnaux veulent avant tout préserver leur équilibre familial. «On travaille tous les samedis, avec des horaires variables, de larges amplitudes. On fait des sacrifices, on le sait. Mais le dimanche, non, c’est le seul moment que l’on peut partager en famille» résume Marie-Christine. «On ne déjeune qu’une fois par semaine ensemble !» ajoute François. «Mon mari fait les 3×8. On se croise toute la semaine, sauf le dimanche» renchérit Véronique. «A la fermeture de Francazal, mon mari, militaire, est parti à Bordeaux. J’ai une bonne place, nos enfants sont étudiants à Toulouse, notre vie est ici. On ne se voit que le dimanche !» s’inquiète Dany, responsable des caisses. «Comment feront les femmes seules avec un enfant ?» glisse Michèle. «Faudra-t-il cesser toute activité sociale, ne plus sortir ou recevoir le samedi soir pour être efficace le dimanche ? Et faire une croix sur les activités sportives ou culturelles ?» s’interroge Julien.

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