Les 8 questions que pose vraiment le travail du dimanche

Atlantico, 18/12/12

Lundi, Bricorama a échappé à une amende réclamée par Force ouvrière. Le syndicat réclamait environ 37 millions d’euros à l’entreprise pour n’avoir pas respecté une décision de justice lui incombant de ne pas ouvrir le dimanche. L’affaire Bricorama a relancé le débat sur le travail le dimanche en France. Atlantico a recensé les enjeux autour de la question.

Enjeux sociologiques :

Impact familial

Jean-Yves Boulin : Que le travail du dimanche ait un impact sur la famille est indéniable. Le dimanche est plébiscité dans toutes les enquêtes comme jour dédié à la vie familiale, même si chacun des membres a désormais une pratique du dimanche souvent indépendante de celle des autres. Reste que ce jour là, les membres de la famille vont préserver des temps communs. Lorsque l’on observe les personnes qui travaillent le dimanche, on constate que le peu de temps libre qu’ils ont ce jour là sera dédié à la famille au détriment des autres activités pratiquées en général le dimanche : les loisirs, les rencontres avec les amis. Il convient également d’ajouter que ceux qui travaillent le dimanche ont plus de probabilité de travailler selon des horaires atypiques ou des semaines longues. Ils ont également plus de probabilité d’être à temps partiel. En clair ils cumulent des conditions de travail plutôt négatives. Travaillant déjà plus souvent en horaires atypiques durant la semaine, ils tendent, lorsqu’ils vivent en famille, à vivre dans des familles « désarticulées » pour reprendre l’expression de Laurent Lesnard.

L’éthique du travail le dimanche

Vis-à-vis de l’éthique du travail le dimanche, comme les scrupules que pourraient avoir des employeurs à faire travailler leurs salariés le dimanche, elle ne tient guère face au processus de marchandisation de nos sociétés. On le voit bien dans la période actuelle où pas un magasin ne dérogerait à la possibilité qui lui est offerte d’ouvrir le dimanche. C’est la loi de la concurrence érigée en principe de vie en société. On assiste ainsi à une banalisation du dimanche qui d’un point de vue sociétal atteste d’une mise en continuité des temps sociaux, des différentes séquences temporelles. Cette homogénéisation des jours de la semaine reflète une perte concomitante de la dimension de repère temporel que recelait le dimanche. Le dimanche constituait – et constitue encore – le dernier bastion de la dimension cyclique du temps, celle qui recèle une symbolique qui rattache le temps à la nature.

Les loisirs

L’impact du travail du dimanche sur les loisirs est également indéniable, pour les mêmes raisons que celles mentionnées pour la vie familiale. Ceux qui travaillent ce jour là ont moins de temps libre et dédient, si ils sont en famille, ce temps libre à leur famille. Pour les autres, les dimanche ressemble à un jour de la semaine.

La dimension religieuse

La dimension religieuse du travail du dimanche, toutes les enquêtes le confirment, est désormais très réduite, tant en nombre de personnes qui s’y consacrent qu’au regard du temps passé. C’est une tendance de long terme que cet effritement des pratiques religieuses le dimanche, même si le dimanche demeure le jour où celle-ci est le plus intense. Il en va de même d’un ensemble de rituels, notamment le déjeuner (bourgeois ?) du dimanche qui lui aussi se réduit au fur et à mesure de la croissance du processus d’individualisation.

Reste pour conclure que l’on peut s’étonner que le débat ne concerne que les activités marchandes qui n’ont pas pour caractéristique d’être la représentation de ce que l’on pourrait nommer le vivre ensemble, le partage de temps communs. Compte tenu de la valeur de partage, de vivre ensemble qui est attribuée au dimanche, on pourrait imaginer que l’on chercherait à faire fonctionner des activités de nature culturelle qui favorisent les rencontres. L’association qu’ont constituée les territoires qui mènent des politiques temporelles locales, celles qui ont institué des bureaux du temps, s’est penché par exemple sur l’ouverture des bibliothèques et médiathèques le dimanche. L’on s’inspirait à ce propos de l’exemple des Pays-Bas où les bibliothèques sont ouvertes le dimanche dans tout le pays. Ce qui est frappant lorsque l’on observe le cas des Pays-Bas, c’est que les gens utilisent les bibliothèques de façon différente qu’auparavant : ils y vont en famille, en groupes d’amis, parfois par ethnies pour lire les journaux ensemble, participer à des discussions. Les fonctions des bibliothèques ont évolué, comme d’ailleurs l’architecture des lieux. Ouvertes d’octobre à avril, les bibliothèques néerlandaises sont devenus des lieux du vivre ensemble, de l’échange , du faire société. Elles organisent des débats, des événements pour tous les âges. Il y a peu de chances que les centres commerciaux puissent exercer la même fonction.

La loi devrait fixer des principes généraux au regard de la rémunération et du respect du volontariat. C’est à l’échelon local, au travers d’une large concertation sociale impliquant notamment les habitants, que devrait être décidé ce qui doit être ouvert ou non le dimanche, tant il est vrai que chaque territoire ne recèle pas les mêmes potentialités au regard du dimanche. Les dimanches ne se vivent pas de la même manière à Paris, à Lille, ou à Marseille ou Grenoble.

Enjeux économiques

Les conséquences sur l’emploi

Gilles Saint-Paul : L’ouverture des magasins le dimanche aurait un effet bénéfique sur l’emploi, et elle ne peut qu’améliorer l’économie, bien que l’impact ne serait pas très important. Toutes les entreprises ne s’en serviraient pas, ce n’est pas un enjeu considérable. Cependant, il n’existe pas d’argument « contre » qui soit valable. Le travail le dimanche n’apportera pas énormément de création d’emplois, et ne résoudra pas le problème de chômage qui est un problème structurel. Il va améliorer la situation des commerces de détail en France, et va permettre aux gens qui ont besoin de revenus de gagner de l’argent en travaillant le dimanche. Certains économistes estiment que si on libéralisait tout le commerce de détail, il y aurait énormément d’emplois qui se créeraient, car l’emploi dans le commerce de détail en France est sensiblement plus faible par rapport à certains pays, comme les États-Unis, où c’est déréglementé. Cependant, ils gardent à l’esprit que le coût du travail est quand même plus élevé dans l’Hexagone. Les commerces, même si on libéralisait tout, ne seraient pas prêts à embaucher au point où l’emploi d’un commerce de détail deviendrait aussi important que dans ces pays-là.

L’ouverture dominicale est  un enjeu limité, mais c’est une réglementation qui n’a pas de raison d’être, qui est une survivance de l’époque où on tentait de préserver le petit commerce avec une législation du type Loi Royer, ou Loi Raffarin. Ces lois n’ont bénéficié n’ont bénéficié qu’aux entreprises de grande distribution au moment où elles ont été mises en œuvre, et finalement, on n’a pas du tout réussi à sauver le p
etit commerce. Ce dernier s’est finalement déplacé en banlieue, là où sont les centres commerciaux. Finalement, les leçons qu’on a tirées de ces tentatives passées est l’échec, car finalement les gains d’efficacité à utiliser des grandes surfaces étaient tellement élevés que les gens ont préféré prendre leur voiture et aller faire leurs courses dans les grandes surfaces même si c’était à 20 kilomètres de l’endroit où ils résidaient.

Distorsions de concurrence

Il y a des distorsions de concurrence dès lors que la même règle ne s’applique pas à toutes les entreprises , ce qui est le cas pour l’ouverture le dimanche. Certaines grandes surfaces arrivent à obtenir des dérogations, d’autres non. Cette ouverture dépend d’une discrétion considérable de la part des autorités locales, qui n’en font qu’à leur tête suivant les départements. A certains endroits, les préfets ont un pouvoir discrétionnaire plus fort que  d’autres. La situation est mal définie, et pas très saine du point de vue des entreprises qui au moment de faire leur planification, ne sont pas sûres des dates auxquelles elles pourront ouvrir le dimanche.

Les entreprises ne sont pas forcées d’ouvrir le dimanche, c’est à elles de juger si elles veulent ouvrir ou non. L’essence dune économie de marché est de laisser les entreprises prendre les décisions qui sont les meilleurs pour elles. Les magasins ouvrent le dimanche dans beaucoup de pays étrangers. Il est vrai qu’il y a moins d’affluence que les autres jours mais finalement, mais il n’empêche que beaucoup de commerces restent ouverts.

La question de rentabilité

Dans un rapport rendu en 2008 au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), les auteurs Philippe Moati et Laurent Pouquet soulignent le fait que l’ouverture le dimanche pourrait être rentable au départ, mais pas à long-terme. (ils soulignent le fait que la fréquentation des commerces le dimanche n’aurait pour effet que de répartir sur 7 jours une dépense initialement réalisée sur 6 jours, ndlr.) Il y a des magasins pour lesquels il est rentable d’ouvrir le dimanche, notamment tous ceux qui sont connus pour faire du lobbying afin d’obtenir des autorisations à ouvrir. Comme dit précédemment, c’est aux entreprises de décider si elles veulent ouvrir ou non. La charge de la preuve qu’il ne faut pas ouvrir devra incomber aux partisans de l’interdiction.

La congestion des commerces

Il y a énormément de congestion dans les commerces, et l’ouverture dominicale permettrait d’alléger sensiblement la congestion du samedi. Les arguments économiques contre le travail le dimanche ne sont pas pertinents. Il faut remettre à plat ce débat qui n’a plus lieu d’être.  

Propos recueillis par Ann-laure Bourgeois

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