Communiqué du CAD

En décembre 2012, Bricorama, condamné pour ouverture dominicale illégale (après l’avoir été précédemment pour présentation trompeuse de ses comptes), a assigné ceux de ses concurrents qui ouvrent aussi illégalement le dimanche, Leroy-Merlin et Castorama. Par ailleurs, et ces deux affaires sont liées, la boutique Sephora s’est vue assignée au tribunal pour travail nocturne injustifié.

Ces actions ayant été déclenchées, l’une par une organisation syndicale (Bricorama), et l’autre par une intersyndicale (Sephora), un certain nombre de voix ont cru devoir s’élever avec indignation contre ces syndicats, qui « empêcheraient les salariés de travailler ». Et tout récemment, vient de se créer un « collectif des bricoleurs du dimanche », groupant certains salariés de ces trois enseignes, qui exigent « qu’on les laisse travailler le dimanche ».

Qu’il nous soit permis de faire une remarque préalable : la motivation de ces salariés n’est pas la volonté de travailler le dimanche, mais celle de gagner plus. Cela ressort systématiquement de toutes les interviews, que ce soit celles des salariés ou de leurs cadres. Il ne s’agit pas d’un motif de travail, mais d’une raison d’argent plus prosaique.

Le seconde remarque est d’ordre sémantique : il ne s’agit pas pour ces salariés, de demander à travailler le dimanche, puisqu’ils en ont déjà le droit dès lors qu’il s’agisse d’un travail libre. Il s’agit de demander le droit pour leurs employeurs de les employer aussi le dimanche, puisque c’est bien cela, et uniquement cela, qui est interdit.

Les volontaires du dimanche sont faciles à fabriquer, même en France : il suffit de les payer peu pendant la semaine. Par exemple, rares sont les avocats, les députés, ou les notaires qui exigent de travailler le dimanche, alors même qu’ils en ont le droit. Et il est plus que probable que si les salariés de ce collectif étaient payés comme leurs cadres, leurs effectifs fondraient comme neige au soleil. De là à dire que l’existence de ce collectif ne résulte que de la faiblesse de la politique salariale de ces groupes, il n’y a qu’un pas.

S’il est bien naturel qu’une personne bénéficiant d’un avantage, en l’occurrence un privilège salarial, souhaite continuer à en bénéficier, il y a lieu de s’interroger sur la nature de cet avantage. Nous souhaiterions poser deux questions à ce sujet.

La première consisterait à demander s’il est juste que le Séphora de l’avenue des Champs-Elysées soit ouvert à des heures ou à des jours où le Marionnaud de l’avenue des Ternes – tout proche – n’est pas autorisé à ouvrir. De la même façon, est-il juste que l’Ikea de Roissy puisse ouvrir, alors que celui d’Hénin-Beaumont doit rester fermé ? Ou le Bricorama de Blois, fermé, alors qu’ouvre le Conforama de l’avenue de la Grande Armée ?

C’est la réponse du PDG de Bricorama lui-même, M. Bourrelier, qui est la bonne.

Non, cela n’est pas juste, car ces mesures dérogatoires ne sont justifiées par aucun critère de nécessité (par opposition à l’ouverture dominicale éminemment justifiée des services collectifs, ou des industries fonctionnant en 3*8, par exemple). Acheter un rouge à lèvres ou un marteau le dimanche, même si cela peut être pratique, n’a aucun critère de nécessité. Et ces dérogations, devenues illisibles, créent des conditions évidentes de concurrence déloyale. Il faut rappeler ici que l’origine de la loi Mallié a uniquement pour origine le comportement délictueux, depuis des années, de la zone de Plan de Campagne, rendu légal depuis cette loi.

M. Bourrelier oublie toutefois une chose : si, fermé, il subirait bien une concurrence déloyale de ses confrères ouverts, son ouverture illégale constitue également une concurrence déloyale réelle envers ceux de ses concurrents qui sont fermés, et leur cause un tort réel.

La seconde question est une question prospective. Imaginons que ces salariés gagnent pour leurs employeurs le droit de les faire travailler chaque dimanche, droit qui s’appliquera de facto à tous les salariés, même ceux qui ne le souhaitaient pas (actuellement, seuls 6% des salariés se déclarent volontaires pour travailler le dimanche, selon M. Sapin). 

Est-il possible d’espérer, dès lors que le travail dominical sera généralisé, que les primes actuelles dont certains bénéficient actuellement (le doublement du salaire – dans certains cas – et qui ne vient souvent que combler les frais de nounou supplémentaires), soient prorogées ? La réponse est évidente, et elle est négative.

Le combat de ce collectif de bricoleurs du dimanche consiste donc à exiger que les employeurs puissent avoir le droit de faire travailler légalement les salariés le dimanche (alors même que 94% des autres salariés ne sont pas volontaires, selon M. Sapin), afin de protéger l’avantage salarial dont il bénéficie, avantage fondé sur une injustice reconnue même par ses instigateurs, causant du tort à ceux qui ont choisi de respecter la loi, et qui, si ce combat aboutissait, enclencherait inévitablement la destruction de l’avantage en question.

La logique de ce combat échappe un peu au Collectif des Amis du Dimanche…

Etienne Neuville
Secrétaire Général du CAD

Laisser un commentaire