Daniel Pennac : « Les dimanches ont de la grâce »

La Croix, 16/11/12

L’écrivain connaît une actualité chargée cet automne, avec une pièce de théâtre, un nouveau « Lucky Luke », un livre pour enfant… Ce qui ne l’empêche pas d’apprécier les « bruits du dimanche » qui s’élèvent de la cour de son immeuble.

«J’ai toujours adoré les dimanches. « Le septième jour », le Créateur se repose… Je prends le texte biblique au pied de la lettre. J’aime cette sensation de journée vide, libre, en apesanteur.étape métaphysique

Le dimanche, Paris ne fait pas le même bruit. La ville aussi se repose. Même le cimetière du Père- Lachaise, mon paisible voisin. Dans la cour de chez moi, les enfants jouent. C’est ma musique du dimanche. Ils piaillent, ils construisent leur monde. 

Ils ont cette capacité à être complètement dans ce qu’ils font, tout en changeant de jeu toutes les cinq minutes. Les enfants sont des métaphysiciens. À 3 ou 4 ans, ils posent des questions qui nous étonnent. Les adolescents, eux, sont à la fois des moralistes – qu’ils se révoltent contre la morale ou qu’ils la prônent – et des psychologues qui essaient d’élucider l’énigme des adultes. 

Nous, les adultes, nous sommes, par la force des choses, des épistémologues, des comptables, des logiciens. Il y a des étapes comme ça dans la vie, et j’aime bien la petite étape métaphysique.

UNE BAFFE DE MON PÈRE

J’ai assez peu de souvenirs d’enfance. Je suis né à Casablanca durant la guerre, le temps d’une escale. Pendant que ma mère accouchait, mon père, militaire, débarquait sur les côtes de Provence. Notre berceau familial est à La Colle-sur-Loup, dans les Alpes-Maritimes, mais nous avons beaucoup voyagé au gré des villes de garnison, à Savigny-sur-Orge, en Allemagne, à Djibouti, en Indochine, à Châlons-sur-Marne… 

Je me souviens, un jour que nous étions à la messe avec mes quatre frères, d’y avoir reçu une baffe de mon père parce que, malgré ses remarques, je bougeais sans cesse les pieds. Le son de la claque a résonné, s’est propagé dans l’église… Je l’entends encore. 

C’était pourtant un homme gentil, mon père. Mes dimanches d’enfance sont aussi liés au souvenir de mon frère Bernard, de cinq ans mon aîné. Ni lui, ni moi ne nous rappelons nous être disputés une seule fois. Nous étions très liés. Le dimanche, nous faisions avec notre chien de longues promenades en montagne au col de Vence, dans l’arrière-pays niçois.

LA TRADITIONNELLE PROMENADE DU DIMANCHE ÉTAIT EN FAIT UN JEU EXTRAORDINAIRE

En grandissant, je suis parti en pension chez les oratoriens, en Haute-Savoie. Le directeur en était un ancien marin, un dur à cuire. La traditionnelle promenade du dimanche était en fait un jeu extraordinaire qui durait tout le week-end. Nous étions lâchés par équipes dans la forêt. 

L’objectif était de récupérer le fanion d’une autre équipe en se lançant à sa poursuite. C’était l’aventure pour un gamin de 13 ans, avec une sensation d’espace incroyable, le silence, la pénombre… Ce ne serait plus possible maintenant de faire cela, les parents seraient furieux ! 

C’était d’ailleurs assez violent. J’ai été personnellement attaché à un arbre et abandonné en pleine forêt avant d’être découvert par des promeneurs. Je m’inspire de cette expérience assez terrifiante dans mon livre Journal d’un corps.  

Quand on est enfant, le dimanche est souvent pollué par les devoirs qu’il reste à faire. Après un quart de siècle d’enseignement, j’ai aussi le souvenir des copies surnuméraires que je devais encore corriger en fin d’après-midi. Ma fille me demandait de jouer avec elle et je devais refuser. Beaucoup d’enfants de profs ont ce souvenir de parents peu disponibles à ce moment-là.

« LE POULET DU DIMANCHE »

À présent, je trouve que les dimanches ont de la grâce. Il a quelque chose ce jour-là, pour peu qu’on ne soit pas doué pour l’ennui. Le temps n’est pas rythmé par les contraintes, il ne coule pas de la même façon. Même la pipe que je fume tous les jours n’a pas tout à fait le même goût et la même temporalité.

Ma femme a le sens des rituels et a établi « le poulet du dimanche ». Ce soir-là, la porte est ouverte à une catégorie particulière de nos amis. Ils ont aujourd’hui entre 30 et 50 ans, une vingtaine d’années de moins que nous. Nous les avons connus enfants, nous les avons vus grandir, et au fil du temps, ils nous ont « adoptés ». Voir des enfants grandir, ça console de vieillir. 

Je me demande parfois ce qui a cimenté ce lien. En y réfléchissant, je réalise qu’avec toute leur fantaisie et leur joie de vivre, ce sont des personnes scrupuleuses, sérieuses dans ce qu’elles font, ça me plaît. Ça doit tenir à mon éthique d’artisan, l’amour du travail bien fait. Finalement, je crois que je suis aussi quelqu’un de sérieux. Ennuyeux comme un dimanche… (rire)  ». 

—————————————

LE MARCHÉ DE LA PLACE DE LA RÉUNION, PARIS 20E  

« Le dimanche matin, j’accompagne ma femme au marché de la place de La Réunion, à côté de chez moi, près du Père Lachaise. À ne pas confondre avec le marché de Belleville où se déroulent certaines scènes de la Saga Malaussène (*) . C’est un temps à part. 

On y rencontre les copains à une terrasse de café. J’y retrouve parfois mon ami Thomas Fersen, le chanteur. J’aime beaucoup ce garçon, je le trouve très attachant. Il a une espèce de calme, une distance, une façon très paisible de prendre les choses comme elles viennent. 

Il est très spirituel avec une ironie qui n’est jamais agressive. C’est un sacré poète. J’aime beaucoup ses vers “Moi qui me croyais un saint, Il m’est apparu Que j’ai un côté malsain, Donnant sur la rue”. »

Laisser un commentaire