Monoprix bientôt interdit d'ouvrir la nuit à Paris?

L’Expansion, 14/02/2012

Les Parisiens pourraient bientôt ne plus trouver de supermarchés ouverts dans la capitale après 21h. Une jurisprudence en ce sens est en effet en train de se constituer. Explications.

Le 3 février dernier, le TGI de Nanterre a invalidé un accord sur le travail de nuit chez Monoprix.Flick’r

Le privilège des Parisiens de faire leurs courses dans les supermarchés après 21h pourrait bientôt disparaître. Plusieurs décisions de justice récentes ont en effet sanctionné les pratiques des grandes enseignes parisiennes consistant à ouvrir leurs portes jusqu’à parfois très tard la nuit.

Le 3 février dernier, le TGI de Nanterre a invalidé un accord sur le travail de nuit chez Monoprix. Conclu en 2006, ce texte permettait aux magasins de l’enseigne de rester ouverts jusqu’à 22 heures. Saisi par la CGT, qui a toujours refusé de le signer, le juge a déclaré l’accord nul et non avenu au motif que la direction était passée outre le droit d’opposition exercé par la CGT et FO.

Pour pouvoir faire travailler ses salariés au-delà de 21h et avant 6h du matin, un employeur doit en effet répondre à deux critères: tout d’abord, le recours doit être « exceptionnel » et « justifié par la nécessité d’assurer la continuité totale de l’activité économique, ou de service d’utilité sociale »; ensuite, il doit être encadré par un accord collectif. En l’occurrence, dans cette affaire, l’accord collectif avait bien été conclu, mais deux syndicats représentatifs s’y étaient opposés, ce qui le rendait caduque.

Le travail de nuit n’est pas justifié par les besoins de la clientèle

Cette décision ne serait donc pas si intéressante si elle ne venait pas confirmer une jurisprudence plus ancienne, elle aussi extrêmement défavorable au travail de nuit. En octobre dernier, la Cour d’Appel de Paris a en effet estimé à deux reprises que la vente de produits alimentaires ne constituait pas une activité économique d’utilité sociale susceptible de justifier le recours au travail de nuit. Dans ces affaires (cliquez-ici pour lire le premier arrêt), deux magasins Carrefour City et Franprix, étaient ouverts de 7h à plus de 22h et faisaient travailler entre deux et quatre personnes jusqu’à une heure avancée de la nuit. Devant la Cour d’appel, ces derniers invoquaient le fait que l’ouverture tardive correspondait aux attentes de la clientèle, et qu’elle était rendue nécessaire par la concurrence. Un argument rejeté par le juge qui a considéré « que l’activité de commerce alimentaire n’est pas inhérente au travail de nuit » et que « l’exercice de cette activité dans les limites des horaires de jour, entre 6h et 21h, est de nature à répondre suffisamment aux exigences élémentaires de la clientèle ».

Chez les syndicats, on se félicite donc de cette évolution jurisprudentielle, signe que la justice serait bien du côté de la santé des travailleurs, et non des profits de la grande distribution. « Nous assistons depuis plusieurs années à une dérive inquiétante concernant les horaires de travail, avec des amplitudes de plus en plus importantes dans la grande distribution, estime notamment Karl Ghazi, en charge du dossier à la CGT. Il est donc urgent de mettre un terme à cette déréglementation de fait ».

Selon une étude de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, 7,4% des salariés de la grande distribution travaillaient de nuit en 2010 en France. A Paris, ce pourcentage serait encore plus élevé. Or pour la CGT, l’extension des horaires par les grandes enseignes aurait uniquement vocation à empiéter sur la part de marché des petits commerces indépendants qui, parce qu’ils n’ont pas de salariés, ont le droit à une activité nocturne…

Le verdict de la Cour de Cassation

Reste désormais à savoir jusqu’où ira cette jurisprudence, et notamment si elle sera validée par la Cour de Cassation. Concernant l’annulation de l’accord collectif, Monoprix a d’ores et déjà indiqué qu’il allait faire appel de la décision, remettant donc à plus tard le versement d’une astreinte de 5000 euros par infraction constatée, et la renégociation dans les quatre mois de l’accord syndical. S’agissant de l’affaire Carrefour-Franprix, il semblerait que les deux enseignes condamnées à quelques milliers d’euros en appel n’aient pas voulu se pourvoir en cassation, au risque sans doute d’asseoir définitivement cette jurisprudence.

La CGT, elle, est bien décidée à aller plus loin. Une série de procédures doit être engagée fin mars, et toute une liste d’enseignes serait dans sa ligne de mire. Mais parfois même légiférer ne suffit pas à changer les pratiques. La loi sur le travail dominical n’empêche pas certaines enseignes d’ouvrir le dimanche, au mépris de la réglementation qui oblige toutes les enseignes à fermer au moins le dimanche ou le lundi…

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