Les leçons de deux ans de combat contre le travail du dimanche

La Voix de l’Ain, 1/10/11 

Élise Kongo, Etelvina Fernandes et Rath Luang, trois salariés oyonnaxiens qui avaient poursuivi leur employeur, le Hard discounter ED, devant le conseil des prud’hommes de Créteil, ont obtenu gain de cause. L’enseigne a été condamnée mercredi dernier à verser 40 000 € de dommages et intérêts à chacun des trois salariés après avoir refusé de travailler le dimanche. Un procès emblématique, car premier du genre en France. « C’est un gros soulagement !  », c’est pratiquement en chœur que les deux salariées Élise et Etelvina expriment leur sentiment au lendemain de la décision prud’homale.

Etelvina dit : « C’est même euphorisant. On se dit que nous n’avons pas fait cela pour rien. Cela sert à reconnaître que l’on a eu raison, mais cela sert toute la profession des hôtesses de caisse qui veulent franchir le pas !  »

Depuis deux ans, les trois salariés, Etelvina et Élise en tête, se battaient pour faire reconnaître leur bon droit d’avoir refusé de travailler le dimanche pour des raisons familiales.

Après leurs licenciements le 12 juin 2009, le conseil des prud’hommes se réunissait le 8 juin 2011 et rendait sa décision le 21 septembre dernier.

Si elles savaient que tout cela prendrait du temps, elles savaient aussi qu’il serait difficile de retrouver du travail. Si Élise a trouvé un petit contrat pendant cinq mois dans le Pays de Gex, Etelvina est restée sans emploi et a profité de ce temps pour passer un CAP de cuisine qu’elle a réussi avec succès.

Au plan humain, « la mauvaise aventure » a laissé des traces. « Lorsque j’ai été licenciée, se souvient Etelvina, je me suis sentie humiliée, parce qu’on m’a fait passer pour une faignante. Si je ne voulais pas travailler le dimanche, c’était forcément parce que je préférais rester sur mon canapé, plutôt que d’aller travailler. Je ne me sentais pas reconnue pour les cinq années travaillées et au cours desquelles la direction ne m’a rien reproché ». Élise accuse aussi un coût humain important, « j’ai dû aller chez le médecin pendant pas mal de temps. Il a essayé de me mettre sous tranquillisants. Je ne les ai pas pris. »

Leur principal problème a été de ne pas retrouver de travail. Etelvina et Élise qui étaient des femmes discrètes et sérieuses dans leur travail passent « pour des rebelles et des grandes gueules. Nous avons juste voulu faire valoir nos droits. Et puis c’est tout. » Maintenant, elles font peur à n’importe quel employeur ! « Ils ont tort. Ils devraient se dire que nous sommes des femmes battantes. Elles savent ce qu’elles veulent. »

On est grillé

À chaque nouvelle candidature, elles ont joué la franchise. Aujourd’hui, Etelvina n’hésiterait pas à omettre cet épisode de sa vie tant celui-ci fonctionne comme une barrière. Élise a joué franco et cela ne lui a pas empêché de décrocher un job mais dans le Pays de Gex. Car dit-elle « dans ce petit bassin à Oyonnax : on est grillé !  »

Tant et si bien qu’elles cherchent d’autres solutions pour s’en sortir. Secouées dans leur rapport au travail, dépitées par « ces directeurs des ressources humaines qui n’ont rien d’humain », elles envisagent finalement l’une et l’autre de créer leur propre activité. Etelvina mûrit un projet de création d’activité autour de la restauration d’entreprise… Élise qui s’intéresse à l’esthétique, veut entamer une formation et créer son activité auprès des personnes à leur domicile.

Dans ce conflit du travail, Etelvina s’est découvert une âme de battante et un côté « féministe » qu’elle ignorait a surgi. Et Élise qui se sentait une femme discrète voire même qui passait inaperçue a voulu combattre contre une injustice : « Nous sommes de faibles personnes, mais nous pouvons nous défendre. »

Reconnues dans leurs bons droits après la décision du conseil des prud’hommes qui condamne ED à leur donner 40 000 € de dommages et intérêts, à rembourser les Assedic, Élise et Etelvina restent prudentes. Leur ex-employeur a un mois pour faire appel. En tout cas, elles sont surtout soulagées que l’on ait reconnu « l’atteinte à leur vie familiale ».

Plus que jamais mobilisées, elles sont allées à plusieurs reprises et dimanche dernier encore soutenir les grévistes de chez ED Albertville -devenu Dia comme à Oyonnax-. Six salariées y mènent un bras de fer avec leur direction pour refus de travail le dimanche. Elles ne sont pas licenciées mais se mettent en grève à chacune de leur permanence du dimanche. Le conflit dure depuis deux ans ! Etelvina a créé le site Facebook « soutien aux guerrières d’Albertville ». Deux documentaristes s’intéressent aussi à leur histoire commune. Un documentaire signé Thierry Vallino et Romain Perrier-Burry pourrait voir le jour. En attendant, dimanche dernier à Albertville, « les six guerrières » ont ouvert le champagne à l’annonce de la décision concernant les trois salariés oyonnaxiens.

Corinne Garay

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