Travail le dimanche : Arrière toute !

Liberté Polique, 24/6/11

Qui l’aurait imaginé ? Qui aurait pensé que, dans une instance officielle de l’Union Européenne en l’occurrence l’enceinte du Conseil économique et social européen à Bruxelles, une Alliance forte de soixante-cinq ONG syndicats et Églises en faveur du dimanche chômé serait lancée ? Qui aurait parié sur l’ESA, l’European Sunday Alliance ?

« Moment favorable, début d’une aventure, résultat d’un travail de longue haleine » se félicite le Français Fabrice Warneck, secrétaire du syndicat UNI-Europa. À preuve les Autrichiens qui ont mené un combat exemplaire et qui n’en reviennent pas. Leurs radios n’ont-elles pas bruissé toute la semaine de l’annonce de ce moment exceptionnel (contrairement à la France qui n’a pas eu un mot de l’événement) ? Dix ans que le combat a commencé. Dix ans que d’abord seuls, ils sont rejoints lentement par des pays voisins peu à peu ralliés à leur cause, dix ans qu’entourés de pays aux magasins ouverts le dimanche, ils résistent héroïquement ne cédant pas un pouce aux pressions consuméristes d’une société postmoderne de plus en plus contraignante.

Deux députés européens apportaient une solide caution par leur présence. Thomas Mann (P.P.E.-C.D.U.) organisateur au Parlement européen de la première conférence internationale en faveur du dimanche chômé en mars 2010. L’événement avait été déjà couronné d’un franc succès avec ses trois cent cinquante participants. « Ça ressemble à quoi un dimanche où l’on travaille ? » lance-t-il enchanté de l’engagement suscité par l’Alliance. Insistant sur l’inouï d’une réunion où Églises siègent avec des syndicats, où syndicats ne regardent pas les Églises en chien de faïence, Thomas Mann annonce que les députés sont à la tâche. Tout cela ne se fait pas dans la confidentialité mais « au grand jour ». L’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) ? « c’est pour très bientôt ». Même contentement du député européen Martin Kastler (P.P.E.-C.D.U.) qui prévient que si la question du rythme de vie ne peut pas être protégée par le Parlement – allusion à la directive du temps de travail en discussion-, il restera en effet « la force des citoyens par la voie de l’Initiative citoyenne européenne » que l’euro député a préparée par sa pétition. Assurément, cette journée de lancement officiel aura honoré la devise de l’Europe, « l’unité dans la diversité ».

Inutile de revenir sur les bénéfices réaffirmés de ce jour « spécial » qu’est le dimanche, cohésion sociale, santé des travailleurs, qualité de vie, équilibre de la vie familiale et de la vie personnelle, protection des femmes. La valeur ajoutée d’un temps synchronisé, le grand prix du dimanche, est de mieux en mieux démontré au fil des études. Les experts se sont succédé pour conclure à la nécessité urgente d’un dimanche à protéger en Europe pour le bien de tous. Le Professeur Dr. Fredhelm Nachreiner a notamment mis en évidence les effets néfastes du travail le dimanche sur la santé : davantage de plaintes, d’accidents du travail, d’absentéisme. Quant aux problèmes cardiaques, les effets sont encore plus importants pour ceux qui travaillent le dimanche que pour ceux qui ne travaillent pas le dimanche : ajoutons à tout cela des symptômes accrus d’insomnies ou des problèmes importants de sommeil.

Renversement de vapeur

Mais à retenir évidemment, la marche arrière notable de plusieurs pays qui avaient cédé à l’appel des sirènes du capitalisme dérégulateur. Le témoignage du slovaque Peter Novovesky a marqué à ce titre les esprits. Les pays de l’Est, de l’Europe post-communiste, ont vécu à côté de l’euphorie d’une abondance retrouvée, une face négative avec des salaires bas, un travail mal payé où l’on ne donnait pas le repos dominical, « mur porteur du modèle européen », face négative encore « avec des contrats de travail rédigés de manière très douteuse ». Même écho du Polonais Alfred Bujara (NSZZ Solidarnośź) qui, stigmatisant une Europe où l’on est capable de travailler 24/24 et tous les dimanches, se félicite d’une victoire majeure, celle de la protection de quatorze jours de fermeture des boutiques par le Parlement. En trois ans, le pourcentage des Polonais voulant  que les heures d’ouverture des magasins le dimanche augmentent a considérablement baissé. Le changement des mentalités est bien là, résultat des campagnes sociales efficaces. Maciej Ptaszynsi, Directeur Général de la Chambre de commerce à Varsovie, est bien obligé d’admettre pour sa part que l’on pourrait, en effet, après avoir vécu l’ouverture des commerces le dimanche toute la journée, envisager d’en diminuer le nombre d’heures d’ouverture. Il s’étonne déjà d’une évolution remarquable des clients qui se pressent moins dans les magasins le dimanche parallèlement à l’évolution du nombre des femmes salariées nombreuses à vouloir vivre leur dimanche en famille.

Nul doute qu’une des clés du combat est là : moins il y aura de consommateurs à acheter le dimanche, moins les magasins ouvriront le dimanche. Pour le Dr Jill Ebrey de l’Université de Chester, « les heures sont toutes les mêmes pour les machines, pas pour les humains ». Il est nécessaire de retrouver la « différenciation culturelle entre les sept jours de la semaine », de vivre le « crescendo vers le jour de congé », ce temps de « retrouvailles relationnelles » et des « rites sociaux » ainsi que l’introduisait Luca Jahier Président du Groupe III du Comité économique et social européen.

Le dimanche n’est pas échangeable contre un autre jour de la semaine. Le dimanche permet de faire face à la complexité du temps vécu. Le dimanche aide à vivre. Résistant à la pulsion d’achat le dimanche, affirme Joseph Thouvenel secrétaire général adjoint de la CFTC, « je me civilise ». Les premières leçons  de l’European Sunday Alliance ont  en ce début d’été 2011 dévoilé leur horizon d’espérance.

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