Ouvrir le dimanche, mais à quel prix ?

Les bibliothèques fournissent un bel exemple d’un désordre que la loi Mallié – qui-devait-régler-tous-les-problèmes-de-travail-dominical – ne règle pas : chaque bibliothèque est un cas particulier, et adopte les règles qu’elle décide au cas par cas, causant inégalités ou injustices selon les politiques locales.

La loi de 1908 prévoyait l’utilité, ou la nécessité de travail dominical de certains secteurs : la loi Mallié ne fait que lui ajouter une verrue scandaleusement soumise aux intérêts privés, comme l’illustre l’action de lobbying des commerces du boulevard Haussmann, qui sollicitent non seulement le droit d’ouverture du dimanche, mais également le droit de contraindre leurs salariés à ce travail dominical, sans aucune compensation de salaire.

Si le législateur avait respecté les promesses du candidat Sarkozy, il aurait écrit dans la loi le principe de la double rémunération du travail dominical pour tous : il n’y aucune raison pour qu’un salarié d’un commerce situé en zone d’illégalité dite PUCE ne béneficie d’aucune compensation, alors que son collègue de zone touristique est censé être volontaire et payé double. Plus loin, il peut également s’interroger : est-il normal que le travail des infirmières, des techniciens des transports en commun, ou des agents de police soit rémunéré à l’identique en semaine et le dimanche ?

LIVRES HEBDO Date de parution: 10.09.2010

Dans les trois bibliothèques de Paris qui ouvrent le dimanche, les personnels ont décidé de
faire grève pour demander une meilleure rémunération. D’accord sur le principe, ils refusent la banalisation du septième jour. Comme l’ensemble de leurs collègues en France.

Dimanche 5 septembre: déception pour les fans de la toute nouvelle bibliothèque Marguerite Duras, dans le 20° arrondissement de Paris. Voilà que leur médiathèque préférée, où ils espéraient aller flâner ou emprunter disques et livres, affiche porte close et piquet de grève. Pour l’équipe, très soudée autour de sa directrice Christine Péclard, c’est aussi une déception, car cela fait deux ans qu’elle négocie avec la mairie pour trouver un compromis sur la rémunération du dimanche, sans succès.

Personnels et syndicats avaient demandé avant l’été à l’adjoint à la culture Christophe Girard que la prime de 75 euros pour un dimanche travaillé passe à 100 euros: «Nous sommes prêts, et même désireux de travailler le dimanche, car nous savons que c’est une manière de toucher un nouveau public qui ne peut pas venir en semaine, mais nous voulons être reconnus et rémunérés à la hauteur de nos efforts. » Les personnels des deux autres bibliothèques (Marguerite-Yourcenar, 15e, et François-Truffaut, 1er) s’étaient associés à cette revendication.

Une centaine de bibliothèques. Mais Christophe Girard, soucieux que ce type de revendication ne fasse pas tâche d’huile chez les autres catégories de personnels municipaux, n’a consenti qu’à passer de 75 euros brut à 75 euros net, « ce qui équivaut, écrit-il dans une lettre à l’intersyndicale datée du 24 août, à une progression d’environ 16 %, effort budgétaire très important dans le contexte que nous connaissons ».

Du coup, personnel et syndicats ont décidé de  faire grève le dimanche à partir du 5 septembre. Et les dimanches suivants, si aucune réponse favorable n’est apportée par la municipalité.

L’ouverture le dimanche, qui concerne aujourd’hui une centaine de bibliothèques en France contre une trentaine il y a trois ans, semble pourtant inéluctable, en tout cas pour les établissements de grande taille ou implantés en centre-ville. Le débat idéologique recule devant l’évolution des usages et le succès de fréquentation ce jour-là, observable partout sans exception. Si de nombreuses villes ou communautés d’agglomération reculent, c’est le plus souvent parce qu’elles craignent la confrontation avec syndicats et personnels.

La formule la plus adaptée. Cependant, plusieurs municipalités parviennent très bien à s’en sortir, chacune trouvant la formule la plus adaptée au contexte local. A Rennes, la directrice des Champs libres, Marine Bedel, explique: « Depuis l’ouverture en 2006, les dimanches sont travaillés en heures supplémentaires payées ou récupérées (1 h = 2 h 05). En outre, les agents perçoivent une prime annuelle pour contrainte horaire de 250 euros. Mais des négociations sont en cours pour une évolution de ce système au 1er janvier 2011, les élus ayant souhaité étendre l’ouverture dominicale aux dimanches de mai, juin et septembre [actuellement, l’ensemble de la bibliothèque est ouvert les dimanches d’octobre à avril, seul l’espace « Vie du citoyen » est ouvert tous les dimanches de l’année, NDLR) . Dans cette nouvelle organisation, les dimanches seraient intégrés au cycle de travail, mais avec une bonification (payée ou récupérée) de 40 minutes par heure travaillée et une prime annuelle passant à 600 euros. » A Montpellier aussi, après quelques mouvements de grève, un compromis semble avoir été trouvé depuis janvier 2009 « Tout le personnel du réseau peut venir travailler le dimanche à José-Cabanis et à Fellini, explique le directeur Gilles Gudin de Vallerin, ce qui fait que chaque agent ne fait pas plus de cinq dimanches par saison. Cela se fait sur la base du volontariat. Pour cette deuxième année, tout le monde est volontaire. Etant donné que le travail du dimanche n’est pas intégré au cycle de travail dans le régime de l’agglomération, les catégories B et C (la majorité du personnel) perçoivent des heures supplémentaires qui sont environ le double du traitement ordinaire et défîscalisées. Les catégories A ont une prime forfaitaire de 120 euros par dimanche travaillé »

Reims fait un peu figure d’exception: la bibliothèque est ouverte chaque premier dimanche du mois (en même temps que le jour de gratuité des musées). Les agents, tous volontaires, sont rémunérés avec une majoration de 70 %, ou récupèrent 7 heures pour 4 heures travaillées (14 h-18 h).

Si tous les cas de figure existent, la tendance est au doublement ou presque de l’heure travaillée, soit par heure supplémentaire si le dimanche n’est pas intégré dans le cycle du travail, soit par prime forfaitaire si ce n’est pas le cas. A la Bibliothèque nationale de France (BNF) et à la Bibliothèque publique d’information (BPI), les personnels se disent plutôt satisfaits de pouvait récupérer les heures du dimanche qui comptent double ou de se faire rémunérer en heures supplémentaires majorées.

On est loin du compte dans les BM de Paris on l’est encore moins à Toulouse où la révolte gronde également. La bibliothèque José-Cabanis est restée fermée les dimanches de juin pour cause de grève du personnel protestant contre les nouvelles propositions de la ville. « Le personnel avait le choix jusque-là entre une prime liée à l’indice de l’agent (de 30 à 75 euros selon les catégories) et la récupération horaire des heures effectuées ce jour-là, explique un des membres de l’équipe. La mairie souhaite supprimer ce choix et imposer une rémunération forfaitaire unique de 70 euros brut, mais sur la base de 7 heures de travail. La médiathèque étant ouverte de 14 h à 18 h, cela représente environ 35 euros net et constitue à notre avis une totale banalisation
 du travail du dimanche. »
La grève est de nouveau envisagée pour le mois de septembre. Prudente, Lidwine Harivel, la nouvelle directrice de la lecture publique et des bibliothèques de Toulouse, précise que cette prime de 70 euros a été décidée pour « l’harmonisation des régimes du temps de travail à l’échelle de la communauté urbaine et de laville de Toulouse » et qu’il «s’agit de rechercher l’équité devant une sujétion qui est identique quelles que soient les fonctions exercées ».

Des étudiants recrutés. Dans tous les cas, des vacataires, le plus souvent des étudiants, sont recrutés pour aider les équipes pendant le week-end.

L’autre sujet qui fâche, et qui n’est pas sans lien avec la rémunération, c’est la proportion de ces derniers par rapport aux titulaires. Si les étudiants sont trop nombreux et pas assez encadrés, estime-t-on, le risque est de donner une mauvaise image de l’institution et d’écorner la spécificité du métier. De plus, les bibliothécaires pensent que, contrairement aux bibliothèques universitaires qui peuvent se permettre d’ouvrir en service réduit le soir ou le dimanche, les BM doivent proposer tous leurs services, voire des animations culturelles en plus le dimanche.

Une tentative de banalisation du dimanche.

On le voit, les professionnels ne sont pas prêts à brader ni leur travail ni leur dimanche. «Je suis contre une banalisation du dimanche, déclare Gilles Gudin de Vallerin, c’est un jour différent, -je le sais moi-même pour venir comme mes collègues cinq dimanches par saison -et qui doit entraîner une compensation. » Jean-François Jacques, aujourd’hui bibliothécaire-consultant, hier responsable au bureau des bibliothèques parisien après avoir été directeur de la médiathèque d’Issy-les-moulineaux, constate: « Il y a de la part des politiques de tous bords une tentative de banalisation du dimanche sans réelle compensation financière. Tant que ces derniers ne prendront pas la décision de rémunérer le dimanche au double comme journée d’exception, en accord avec leurs intentions d’ouvrir les services culturels le dimanche au niveau national, on risque de ne pas en sortir. »

Ce qui exige la présence des forces vives. Dans les faits, il y a en général plus de titulaires que d’étudiants (60/40 à Montpellier ou à Toulouse par exemple), mais il semble que cette proportion est en train d’évoluer, comme aux Champs libres de Rennes (11 titulaires et 17 vacataires) ou encore à Duras, à Paris (10 titulaires et 12 vacataires).

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