Bertrand DELANOË : nous voulons une société qui ne perde pas ses dimanches

Le Blog de Bertrand Delanoë – 06/06/2010 14:35:00

« Du lundi jusqu’au samedi,
Pour gagner des radis,
Quand on a fait sans entrain son petit train quotidien,
Et trimballé sa vie de chien,
Le dimanche vivement, tout paraît charmant… »

Cet air familier fut créé en 1936, l’année du Front populaire, et interprété ensuite par tant de figures de la chanson française, à travers les générations. Il a la vertu de rappeler l’importance essentielle du droit à disposer, un jour par semaine, d’un véritable espace de liberté.

Bientôt, de cet acquis, ne survivra peut-être que le souvenir. Il y a neuf mois, en effet, le Parlement votait un texte intitulé, sans doute par goût de l’antiphrase : « Loi réaffirmant le principe du repos dominical ». De quoi s’agit-il ? Désormais, les commerces pourront ouvrir le dimanche dans deux types de zones. Soit les zones touristiques, dans lesquelles le travail dominical est de droit, et peut s’imposer aux salariés sans ajustement du salaire, sans négociation préalable, et sans repos compensateur. Soit les « périmètres d’usage et de consommation exceptionnels », qui prévoient un accord des partenaires sociaux et des conditions salariales réévaluées pour ouvrir le dimanche. Pour le dire clairement, en levant tous les obstacles à la création et à la coexistence de ces deux zones, le gouvernement a libéralisé, dans le commerce, le travail dominical.

A ceux qui s’inquiètent de la pression que font peser ces nouvelles dispositions sur des salariés – souvent des femmes, dont les rémunérations sont basses, et qui s’occupent de leurs enfants le week-end – le gouvernement répond, en substance : « Soyez tranquilles, tout se fera sur la base du volontariat ». Il faut être bien angélique – à moins qu’il ne s’agisse de cynisme – pour croire que, dans le secteur privé, un salarié peut dire souverainement non à son patron quand celui-ci l’invite à travailler le dimanche.

Que l’on m’entende bien : refuser de façon absolue le principe du travail dominical relèverait de l’anachronisme, voire de l’absurdité. Comme maire d’une grande ville, je mesure évidemment les contraintes de la concurrence, les exigences de la compétition économique, les conséquences de l’affluence touristique, et bien sûr les attentes des consommateurs. Précisément : à Paris, 20% des commerces sont déjà ouverts le dimanche, soit une proportion supérieure à celle de Londres, de Madrid ou de Milan.

La question est donc de savoir si le travail du dimanche doit devenir la règle.

Notre réponse est claire : non. Je proposerai donc au conseil de Paris, cette semaine, de s’exprimer en ce sens. Pour trois raisons. D’abord, protéger les salariés, qui ne doivent pas être corvéables à merci, sept jours sur sept. Ensuite, éviter l’asphyxie des commerces de proximité, qui n’auraient pas les moyens de suivre le mouvement imposé par l’offensive des grands groupes. Enfin, défendre un certain modèle de société. Car l’enjeu est là : quel monde voulons-nous ? Quand la droite propose un système de valeurs qui ne met rien au-dessus de la production et de la consommation, nous voulons une société qui laisse leur place au silence ou à la musique, à la vie spirituelle ou à la grasse matinée, au repos, à la vie privée, à la famille, à l’amour, à la solitude, bref, à la liberté. En un mot, nous voulons une société qui ne perde pas ses dimanches.

Bertrand Delanoë

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