PREMIÈRE CONFÉRENCE EUROPÉENNE POUR LA PROTECTION DU REPOS DOMINICAL

Extrait du Journal des employés et cadres FO n°22 – avril 2010

Thomas Mann (EPP/CDU) est Vice-président du Comité pour l’emploi et les affaires sociales au Parlement Européen (P.E.), porte-parole pour les affaires sociopolitiques du CDU au P.E., membre du Comité spécial pour la crise financière, économique et sociale, membre du Comité pour les problèmes économiques et monétaires. Ce dernier présida cette réunion, travail préliminaire à la Commission Européenne chargée de définir les futures orientations légales du monde du travail des 27. Cette réunion -la première en son genre- se veut le fer de lance d’une alliance syndicale, civile et civique pour le repos dominical. Soutenu par 72 organisations syndicales, civiles et religieuses, cet appel entend peser sur la future directive européenne sur le temps de travail incluant le travail dominical, prévue pour septembre 2010.

Ce projet fait suite aux directives de 2003, 2007 et 2008 relatives au temps de travail et à son organisation qui s’intègrent pour M. Mann dans un « débat clé pour le travail et l’économie qui nous affectera directement ». Dans le cadre d’une révision globale avec les partenaires sociaux, M. Mann a également mandé une étude économique et sociale sur l’impact du travail dominical. Cette dernière sera achevée en novembre 2010.

L’objectif principal est d’obtenir des preuves scientifiques sur la santé et la sécurité des travailleurs à défaut d’une réflexion globale sur les enjeux des débouchés intérieurs et extérieurs, particulièrement des PME, dans une économie mondialisée au temps aussi relatif que chaotique.  Le débat portera sur les enjeux de santé publique, de droit à la spiritualité, de la protection de la famille (dans sa conception abrahamique) ainsi que du poids de cette dénormalisation sociale et légale dans le secteur du commerce, premier impacté. Les autres secteurs seront ignorés, hormis par la FEC FO soucieuse de tous les travailleurs.

Ce processus de révision du droit du travail a pleinement débuté en 1993 par l’adoption de la directive «  temps de repos de 24 heures hebdomadaires au minimum » qui devait inclure également le samedi, et qui laisse le soin à chaque état membre de l’appliquer ou non au dimanche. Les citoyens seront heureux d’apprendre qu’encore une fois le manque de transparence et d’information de nos institutions européennes a permis la non application d’un texte de plus. En 1993 toujours, la Commission Européenne de Justice tranche : le jour de repos ne sera pas nécessairement le dimanche au vu de l’absence de preuve scientifique révélant un impact sanitaire sur les travailleurs. Néanmoins seize états membres conservent le dimanche comme jour chômé. S’ensuivirent les différentes directives de 2003, 2007, 2008 ainsi que l’article 54 mais les pressions libérales ne parvinrent pas à faire plier les revendications sociales, citoyennes et syndicales.

Placée sous le patronnage de M. Lazlo Andor, Commissaire pour l’Emploi, des Affaires sociales et de l’Intégration, anciennement membre de la banque européenne pour la reconstruction et le développement ainsi que professeur d’économie à Budapest, la réunion pu débuter.

Ingrid Sehrbrock (DGB et aussi CDU) première intervenante, illustra la situation allemande.

Depuis 2006 les Länder deviennent responsables de l’ouverture des entreprises concernées. La marge de manœuvre est large, possibilité d’ouvrir du lundi au lundi 24/24. En tout c’est un million de travailleurs concernés de l’autre côté du Rhin, par exemple dans le Brandebourg ou le Bade-Wurtemberg (ce dernier interdisant néanmoins de travailler à Noel,  Pâques etc. ).  Mais aujourd’hui en Allemagne, on réaffirme le respect du repos dominical. Le mardi 1er décembre 2009, les juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ont interdit l’ouverture des commerces Berlinois quatre dimanches d’affilée, pendant la période de l’Avent et autorisé l’ouverture huit dimanches par an.

Cette victoire a reposé sur l’alliance des syndicats et des églises. Notre membre de la DGB mais aussi de la CDU, reprend les arguments suivants :

Lors de l’ouverture de ces entreprises, ni une diminution du chômage ni une hausse du chiffre d’affaires n’ont été constatées. Au contraire, les frais d’exploitation s’accroissaient, impactant consommateurs, salariés, et contribuables. A défaut d’une régression, c’est au mieux  une stagnation économique et sociale à laquelle nos cousins germains ont assisté.

Force fut de remarquer que la liberté individuelle de travailler n’est pas réelle face aux contraintes économiques de notre époque.

La liberté religieuse, le respect du cercle familial et le rythme biologique furent de lourds arguments dans une partie du pays encore marqué par le rêve stalinien de la semaine de 10 jours !

Le Docteur F. Nachreiner (GAWO) fut l’expert auprès de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, au sujet des répercussions biologiques et psychologiques du travail dominical.

Sa présentation s’articula autour de trois grandes questions : Est-ce qu’un jour commun de repos est nécessaire aussi bien au niveau individuel que sociétal ? Si oui, pourquoi le dimanche comme jour commun chômé et non un autre ? Le travail dominical a-t-il un impact négatif plus important sur la santé des travailleurs que tout autre jour travaillé ?

Son argumentaire débute par la définition du jour commun de repos comme norme sociale. Cette norme sociale permet aussi bien le contrôle de la population que la synchronisation de cette population en société. Le week-end correspondrait en effet à un rythme biologique aussi bien individuel que sociétal où la récupération (physique et mentale) et les interactions sociales sont prépondérantes. Le samedi soir est statistiquement défini avec une majorité écrasante comme le moment des interactions sociales. Quant au dimanche, avec la même homogénéité, dans différents pays, il est défini comme temps de récupération. Ces règles sociales, qui norment notre vie collective,  permettent la confiance individuelle en cette société. Le spécialiste s’inquiète donc du viol des normes sociales qui se multiplient dans l’économie libérale et qui affaiblissent la structure grégaire de notre organisation.

Après ces réflexions sociologiques, le Pr. Nachreiner présente différentes séries statistiques comparant les accidents du travail, le moral psychologique des salariés, les symptômes somatiques, type insomnie, ou encore les accidents cardiovasculaires ainsi que le nombre de plaintes déposées par les salariés sur un temps hebdomadaire, dans le cadre d’un travail en équipe ou individuel.

Les résultats parlèrent d’eux-mêmes. SYSTEMATIQUEMENT le nombre d’accidents, de problèmes de santé, de troubles psychiques augmentent lors des dimanches ouvrés. En outre, la multiplication des dimanches ouvrés et du nombre d’heures travaillées ne font qu’accroître ces pathologies et particulièrement en équipe !

L’espérance de vie est impactée et tellement affectée que, selon ces calculs, les salariés travaillant le dimanche devraient travailler 15 heures de moins qu’un salarié de repos le dimanche !

La vie privée est elle aussi durement impactée. Les angoisses des salariés dans ce domaine suivent la courbe du nombre de dimanches travaillés
 !

Tout cela étant dit, il suffit de le citer simplement « ces inconvénients ne peuvent être compensés par un autre jour de repos même commun ».

M. J. Hoppe, membre de VERDI et représentant UNI europa commerce, représentant 7 millions de travailleurs à travers 320 organisations affiliées dans 50 pays différents, insiste encore sur l’absence de manque à gagner par ces ouvertures, leurs coûts sociaux et individuels alors que 30 millions de travailleurs européens sont dans le commerce, en faisant le secteur clef de l’Union Européenne. Il rappelle également que 70% de ces salariés sont des femmes et qu’elles sont de surcroît soumises aux bas salaires et aux discriminations. Il défendit encore les PME et ce comme tous les intervenants bien que nous ne le répéterons pas pour chacun. Entre une population vieillissante et un problème de chômage endémique, les TPE et PME, dans le cadre d’un commerce de proximité, restent les plus grands employeurs et notamment en terme de travailleurs qualifiés.

M. E.B. Brok (MEP, EPP/CDU), président du Syndicat Européen des Travailleurs Chrétiens et porte-parole pour la politique étrangère de la CDU au parlement, reste, quant à lui, fidèle à ses valeurs, qui ne sont pas les nôtres, en s’appuyant sur le Traité de Lisbonne qui mentionne « les racines chrétiennes de l’Europe ».

Sur la composante chrétienne de cette réunion, précisons que sur une quinzaine d’intervenants, l’argument biblique fut brandi par plus d’une dizaine d’entre eux. Le lobby chrétien fut ici au grand complet. Nous précisons que si dans le refus du travail du dimanche, nous faisons campagne commune, la FEC FO revendique farouchement et avec honneur le principe de laïcité. Néanmoins, nous exposerons brièvement les arguments religieux afin de retranscrire avec impartialité cette séance : le troisième commandement, la liberté spirituelle, la possibilité d’assister à l’office du dimanche, le tout saupoudré de bons sentiments paternalistes construits autour de l’éducation religieuse et culturelle des masses. Rien de nouveau sous le soleil christique.

Pour en revenir à M. Brok, ce dernier dénonça pêle-mêle le terme de « ressources humaines et de capital humain » dénotant pour lui, dans le système libéral actuel, le manque d’humanité (le terme allemand couvrait à la fois la notion chrétienne de conception de l’individu comme sacré et aussi la conception de l’individu moral naturel de l’Aufklärung, mouvement allemand des lumières), ainsi que le développement individualiste et l’atomisation d’une société niant ses réseaux de dépendance. En bon politique, il défendit également le principe de réduction des coûts sociaux et ce en refusant le travail du dimanche puisque ce dernier entraîne des surcoûts médicaux et sociaux.

L’intervenant suivant était M. M. Trend, ancien membre du parlement anglais, membre du parti conservateur et qui est depuis 2008 le chef de file du think-thank « relationships foundation » lié à l’Eglise Réformée. Il est également le président de « Keep Sunday Special » une association soutenue par différentes entreprises, partis politiques conservateurs et syndicats chrétiens sous la houlette de l’Eglise anglicane. Malgré ce lourd passif, nous ne pouvons que compatir à la situation douloureuse des salariés anglais que ce dernier dépeint : 1 parent sur 2 travaille le dimanche et 60% des travailleurs du dimanche considèrent y avoir été forcés ! Son association, KSS, a bataillé légalement depuis 1984 et ce n’est qu’en 1994 qu’elle obtient 6 heures de libre par dimanche pour chaque salarié. En 2006, un projet de loi visant l’augmentation de ces heures sera rejeté.

Quittons cette Angleterre au droit du travail anarchique pour une bonne nouvelle : M. F.G. Brantner, président de l’Alliance Autrichienne pour le Dimanche Chômé, nous apprend qu’en Autriche le travail conjoint des syndicats, des associations de préservation de la famille, des politiques et des églises a permis l’interdiction du travail le dimanche ! Sauf pour la sécurité, le transport et le tourisme. Ce dernier après moult arguments de centre droit chrétien, nous en donna tout de même un plus qu’intéressant : selon la commission européenne, les traditions doivent être respectées dans chaque pays de l’union. Alors que penser des multinationales violant le peu de droits acquis à travers l’union européenne ?

L’intervenant suivant rappellera que les salariés travaillant le dimanche sont à la fois les moins payés, les moins formés ce qui leur interdit toute progression au sein des entreprises, les plus exposés aux accidents du travail puisqu’ils n’ont que peu de formation à la sécurité. Qu’il fallait veiller à ne pas en faire des salariés a minima qui n’auraient pas droit à une vie privée sans entrave socioéconomique. Elle souligna que la nouvelle loi française incluait également les services, crèches, banques et que le Président Sarkozy avait même souhaité voir les écoles ouvrir le dimanche. Tous les citoyens de l’Europe devaient également se poser la question : Quelle Europe voulons-nous ? Quel choix de société ? Une Europe humaine ou une Europe consumériste ? Surprenant, elle fut plus applaudie qu’en France, la Secrétaire Fédérale du Commerce Force Ouvrière.

Lui succédèrent -encore- les leaders de deux mouvements chrétiens allemands, une représentante des salariés catholiques allemands et un représentant des salariés luthériens. Ils défendirent, eux aussi,  les principes chrétiens cités précédemment, les problèmes de liens sociaux et de celui d’un choix de société qui ne se baserait pas que sur la rentabilité et l’individu esseulé. Ils défendirent tous le dimanche comme bien culturel et spirituel.

M. P. Lambert clôtura la séance en tant que représentant des Verts belges. Il insista lourdement sur les résolutions écologiques prises par l’UE qui pour lui sont incompatibles avec la volonté d’orienter une société dans son ensemble, 7 jours sur 7 vers la consommation de masse qui s’accompagne inexorablement d’une hausse des dépenses énergétiques.

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