La vie en décalage des travailleurs du dimanche


Des personnes entrent dans une boutique rue des Francs Bourgeois dans le quartier du Marais, le 16 août 2009 à Paris où certains commerces sont ouverts (AFP/Verdy).

La Croix – 10/02/10 Marine LAMOUREUX

Six mois après la promulgation de la loi Mallié sur le travail dominical, des salariés racontent leur quotidien

Pour Marie, 22 ans, travailler le dimanche est un choix. Étudiante en BTS commercial à Paris, elle passe tous ses week-ends au rayon « cuisines » de l’enseigne Leroy-Merlin, où elle conseille les clients sur les dernières tendances, les astuces pratiques et les meilleurs prix. « Ce boulot, ça me permet de vivre tous les mois », raconte la jeune femme qui habite avec son compagnon dans un petit appartement de Seine-Saint-Denis : cinq heures de travail chaque samedi, neuf heures chaque dimanche pour un salaire de près de 1 000 €, c’est, dit-elle, « une place en or ».

Le reste de la semaine, Marie peut suivre ses cours, sortir, faire du sport… Elle parvient même à mettre un peu d’argent de côté pour, espère-t-elle, « monter plus tard (sa) boîte de relations presse ». Son emploi du temps lui convient mais elle reconnaît être « un peu sur les rotules. C’est dur de se lever le matin ! » Surtout, depuis trois ans qu’elle vit à ce rythme, l’étudiante n’est jamais parvenue à voir sa famille au complet. « Les réunions familiales sont toujours le week-end, alors je n’y suis pas. J’ai trois sœurs et deux frères que je vois beaucoup moins qu’avant. On essaie de passer du temps ensemble en semaine à l’heure du déjeuner. »

Pour son collègue du rayon « déco », Geoffrey, ce décalage n’est pas un réel problème. « On n’a pas besoin d’un jour de congé fixe pour voir ceux qu’on aime. Travailler le dimanche ne m’a jamais empêché, par exemple, de rendre régulièrement visite à ma tante, qui est malade », explique ce musicien de 34 ans, «extra » chez Leroy-Merlin parce que son métier ne lui assure pas de revenus fixes. 

Un emploi du temps complètement décalé

« Grâce à mon ancienneté de neuf ans, je gagne 900 € pour quatre jours de travail par mois. J’estime que c’est une chance. » D’autant que, depuis le vote de la loi Mallié sur le travail du dimanche, en août 2009, l’enseigne d’ameublement a renégocié à la hausse les salaires des « extras » du week-end. «Désormais, le dimanche est majoré de 150 % ; avant l’accord, je ne gagnais que 650 € par mois. »

Marie et Geoffrey savent qu’ils ne sont pas très représentatifs des salariés du dimanche. « L’avantage, c’est que le reste de la semaine, on est relativement libres », concède l’étudiante, qui a peu d’heures de cours. Quant à Geoffrey, il est maître de son emploi du temps de musicien. « Le matin, je peux arriver au studio d’enregistrement à 11 heures si je veux. » En outre, ni l’un ni l’autre n’ont encore d’enfants. « Mon rythme, avec des enfants, ce serait impossible ! » doit reconnaître le jeune homme. 

Victor, lui, a passé quinze ans à jongler. Père de trois filles, dont la dernière est née juste après son embauche chez Conforama, l’employé a longtemps navigué entre renoncements et système D. « Si j’avais dit à mon recruteur que je ne voulais pas travailler le dimanche, il ne m’aurait pas pris », soupire le père de famille, sans que la prime de 70 € par dimanche ne le console vraiment. « J’avais un emploi du temps complètement décalé par rapport à celui de ma femme et de mes enfants, se souvient-il. Au magasin les lundis, mercredis, vendredis et les week-ends, en repos le mardi et le jeudi. 

«J’étais en train de louper quelque chose»

Ses jours de « récup » ? « Je faisais du sport, le ménage à la maison et je voyais les filles à la sortie de l’école, mais pas toujours ma femme… Vendeuse chez Auchan, il lui arrivait souvent de finir le soir à 22 heures. Tout cela, conclut Victor, fragilise beaucoup la vie de famille. » 

Aujourd’hui âgé de 43 ans, le vendeur a fini par renoncer à travailler le dimanche, mais « un peu trop tard. Ce système est pernicieux : sur le moment, on a le nez dans le guidon, on est content de gagner davantage, on ne se rend pas compte que ce qu’on perd n’a pas de prix. » C’est un album photo qui a provoqué le déclic. « J’étais avec ma nièce, on regardait les photos de famille ; tout d’un coup elle m’a dit : “Tu as vu ? Tu n’es sur aucune photo d’anniversaire.” Là je me suis dit que j’étais en train de louper quelque chose. »

« Il faut bien remplir le frigo ! »

En attendant, ses filles ont grandi. Et Victor est plein de regrets. « J’ai manqué les dimanches au parc, à la piscine, les repas tous ensemble… » Il dit aussi que le travail dominical a eu un impact sur sa vie sociale. « Quand on sait qu’il faut se lever le lendemain pour aller bosser, on hésite à sortir le samedi soir, ou alors on rentre tôt. » Si c’était à refaire ? « Je me débrouillerais autrement, même si le dimanche est mieux payé. »

De son côté, Monique, 56 ans, qui arrondit certaines fins de mois en travaillant le dimanche en période de soldes ou de Noël, s’estime heureuse de ne plus avoir d’enfants à charge. « L’une de mes collègues élève seule ses deux enfants de 9 et 14 ans, se désole-t-elle. Chaque dimanche travaillé, c’est la galère pour les faire garder… Mais que voulez-vous ! Il faut bien remplir le frigo ! »

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