L'agonie de la démocratie parlementaire

Dans l’affaire du dimanche, il a été possible de constater une carence parlementaire assez nette : au départ, un député douteux du sud, toujours prêt à s’investir au profit de différent lobbys, qui pose une  proposition de loi sur le travail du dimanche, pour régler par une voie assez lâche un problème local réel. Un président qui profite de la conjonction thématique de la dite proposition Mallié avec une de ses nombreuses « promesses de campagne », en conjonction avec les dogmes énoncés par Jacques Attali et les intérêts de la grande distribution. Puis une rédaction à nouveau de la proposition, et à quatre reprises, par les services du Château, au mépris du fonctionnement législatif normal (la proposition de loi aurait du se transformer en projet de loi), et un travail au canon sur les deux assemblées. Devant la fronde des électeurs : faux-sondages, fausses pétitions, fausses informations. Devans les deux assemblées : réunions musclées, pressions, intimidations, et… vote final en pleine période estivale par des parlementaires à genoux.

Cela aboutit à ce pourcentage sidérant de presque 70% de citoyens qui n’ont plus confiance en la politique, proportion qui devrait inciter messieurs les représentants du Peuple à un peu plus d’humilité.

Si la France n’est pas encore l’Union Soviétique des années 50, le fonctionnement de la démocratie laisse de plus en plus à désirer. L’analyse de Terra Nova nous semble à cet égard intéressante.

democratie dimancheFondation Terra Nova, notes – Jean-Jacques Urvoas – 19 janvier 2010

Un premier bilan de la réforme constitutionnelle vue sous l’angle du travail parlementaire

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a modifié en profondeur la procédure parlementaire. Un an après son entrée en vigueur, et malgré les références à « l’hyper-parlement », l’usage systématique par la majorité gouvernementale de procédures permettant d’enrayer le travail parlementaire signale une dérive dangereuse pour la démocratie. Selon Jean-Jacques Urvoas, Député du Finistère et maître de conférences en droit public, c’est désormais aux élus de l’opposition de montrer l’exemple.  

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Synthèse

Un an après la mise en œuvre de la révision de la Constitution, le « vrai renouveau » des droits du Parlement, promis par le Président de la République et espéré par ceux qui, y compris à gauche trouvaient des éléments positifs dans la réforme, est-il au rendez-vous ? S’il est encore trop tôt pour se livrer à un bilan définitif, qui devrait prendre en compte d’autres nouveautés comme les droits de l’opposition ou le contrôle par le Parlement de l’exécutif, par exemple sur les nominations, la tendance générale se dégage nettement. Elle est négative. L’utilisation, inédite par son caractère massif, des dispositifs constitutionnels du « parlementarisme rationnalisé », couplée aux nouvelles ressources issues de la réforme des règlements intérieurs des deux assemblées, aboutit à une dévitalisation sans précédent de l’action parlementaire. 
 
La procédure accélérée, motivée en principe par l’urgence, limite le débat parlementaire à une seule lecture (au lieu de deux). Elle est censée rester un outil exceptionnel. Or, elle est devenue la norme lors de la législature actuelle : 60% des textes y sont soumis, contre 25% sous la précédente législature. Dont les textes principaux : l’autonomie des universités, la loi de programmation militaire et le travail dominical, par exemple, n’ont pas bénéficié du temps de débat démocratique nécessaire. 
 
Le temps législatif programmé est l’arme nouvelle mise en place par la majorité pour juguler l’obstruction. Il permet de globaliser le temps des débats. A l’usage, la nocivité du dispositif est réelle. La majorité patiente jusqu’à épuisement du temps imparti pour l’opposition. La parole est alors refusée à l’opposition, le débat démocratique s’arrête et les amendements sont mis aux voix sans débat…
 
Le « vote solennel » permet de regrouper des votes importants au même moment, en les dissociant du débat sur les articles. Cette procédure est régulièrement détournée pour permettre aux députés de la majorité de se dispenser des débats, et n’être présents que lors du vote. Le débat est vidé de sens faute de débatteurs.
 
Le vote bloqué date de 1958. Il permet de passer au vote sur un seul texte global, tel que retenu par le gouvernement, et non pas amendement par amendement. Il neutralise ainsi le rôle de contre-proposition du Parlement. Il était utilisé avec parcimonie, et quasi-exclusivement pour les lois de finances. Son usage se généralise (20 fois depuis le début de la mandature), et sur tous types de textes. 
 
Limitation et désaffection des débats, tour de vis supplémentaire sur la capacité de contre-proposition du Parlement… Au-delà, le gouvernement assure aussi le verrouillage à travers des instruments destinés à garantir que le Parlement « vote bien ». Ainsi, lorsqu’un ministre est en difficulté, parce que les députés de la majorité sont en nombre insuffisant, ou qu’ils  rechignent à suivre ses consignes, l’éventualité d’un vote négatif peut être écartée par la réserve de vote, qui permet de reporter à des jours meilleurs l’examen ou le vote du texte. Autre arme anti-« mauvais vote » : la seconde délibération, à laquelle le gouvernement peut faire appel en cas de vote négatif. Enfin, la délégation de vote permet à un député de voter « par correspondance », offrant au gouvernement une garantie supplémentaire contre le rejet de ses textes. Toutes procédures dont le gouvernement fait un usage immodéré.
 
En définitive, loin des références à « l’hyper-parlement », on assiste à un véritable musellement du Parlement à la faveur d’un exécutif méfiant à son égard, et d’un Président dont la culture de l’action peine à intégrer le temps de la démocratie et du débat. La perte de vitalité de l’Assemblée nationale signale une dérive dangereuse. L’opposition elle-même se déploie plus dans les médias qu’au Parlement. Un regain démocratique est urgent. Au Parlement, c’est aux élus de l’opposition de montrer l’exemple.

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La Note

Nicolas Sarkozy n’aime pas le Parlement. C’est affaire de culture politique mais aussi de tempérament. Depuis mai 2007, il concentre le pouvoir entre ses mains pour tenter de ressusciter une capacité d’impulsion. Il se veut homme de rupture et dans son esprit, la communication n’est qu’un raccourci vers l’action. L’Assemblée avec ses procédures solennelles ne trouve donc pas de place dans sa conception institutionnelle, elle n’est, à ses yeux, qu’un mal nécessaire.

 

Son histoire personnelle renseigne d’ailleurs sur le peu d’estime qu’il porte à cette institution. René Dosière  a, en effet, démontré qu’il n’y a jamais participé à un débat, n’y a déposé aucun amendement et que sa présence s’y est révélée quasi-fantomatique : deux questions au gouvernement et huit interventions, pour au total moins d’une heure de parole. Et cette période compte si peu pour lui qu’il en oublie même sa durée, ne cessant de répéter qu’il fut « élu 20 ans »  alors qu’en tout et pour tout, il n’a été parlementaire que douze ans et deux mois !
Las, la responsabilité de Chef de l’Etat impose certaines figures de style dont la proclamation d’attachement au respect de l’équilibre des pouvoirs. Nicolas Sarkozy ne s’y est pas soustrait, engageant même pour faire bon poids une révision de la Constitution. Ses thuriféraires la défendirent avec détermination, déclarant, certains de bonne foi, y voir l’instrument d’un encadrement accru des pouvoirs présidentiels au profit d’un « vrai renouveau »  des droits du Parlement.

 

Plus de dix-huit mois après son adoption par le Congrès à Versailles, un an après le vote de la loi organique nécessaire à son application et de la réforme des règlements des deux chambres qui en déclinaient les modalités pratiques, quel premier bilan en tirer ?

 

S’il est sans doute un peu tôt pour dresser un état des lieux exhaustif des modifications engendrées par la révision de juillet 2008 (il faudrait pour ce faire évoquer les nouveaux droits accord
és à l’opposition ou encore certains outils de contrôle du Parlement, par exemple sur les nominations), un constat pourtant s’impose dès aujourd’hui : le Palais Bourbon s’étiole. Loin d’avoir débouché sur une rénovation de la procédure législative et une revalorisation de la fonction parlementaire, l’application de la réforme en question se  traduit par la perte de l’une de ses fonctions les plus importantes, celle de cœur battant du débat politique.

 

Pour nos gouvernants, les studios des médias sont devenus les seules arènes utiles de la démocratie, d’autant plus prisées que la contradiction y est rare. Consentir à débattre à l’Assemblée avec l’opposition ? Une perte de temps ! Justifier ses choix en s’efforçant de présenter une argumentation raisonnée ? Quel intérêt ? Confronter les analyses pour éclairer l’avenir ? Les sondages suffisent bien ! Accepter que soit contrôlée l’efficacité des lois votées ? Quelle plaisanterie !

 

C’est donc sans vergogne qu’aussi discrètement que patiemment, le gouvernement, avec la complicité active du groupe UMP, dévitalise l’Assemblée nationale en multipliant de manière totalement inusitée l’usage des diverses possibilités offertes par la Constitution et en les conjuguant aux ressources étonnantes du Règlement réformé.

 

1ER OUTIL : LA PROCEDURE ACCELEREE (ART. 45 AL. 2 DE LA CONSTITUTION, ART. 86 AL. 4, 91, 102 ET 127  DU RAN)

 

Le mécanisme est si souvent appliqué depuis le début de la XIIIe législature qu’on en viendrait presque à le considérer comme un outil de droit commun.

 

Il prévoit de limiter la discussion dans les deux chambres à une seule lecture, laquelle est suivie de la réunion de la Commission mixte paritaire. 

 

Parce qu’elle bride la capacité du Parlement à organiser en son sein la navette, une telle faculté, dans l’esprit du Constituant, ne devait être qu’exceptionnelle. Elle est devenue une commodité dont le gouvernement abuse.

 

Elle entraîne en effet un raccourcissement de tous les délais, ce qui rend plus aisé la programmation des travaux. Ainsi, par exemple, alors qu’en principe – depuis la révision constitutionnelle – la discussion d’un texte dans l’hémicyle, en première lecture, ne peut survenir que six semaines après son dépôt ou quatre semaines après sa transmission, ces délais ne s’appliquent plus dès lors que la procédure accélérée a été engagée.


Si sous la précédente législature, seuls 25 % des textes étaient examinés suivant cette procédure (hors les conventions internationales), depuis 2007, 60 % d’entre eux s’y trouvent soumis, dont évidemment les principales lois (« travail, emploi, pouvoir d’achat », autonomie des universités, service minimum dans les écoles, programmation militaire, loi sur les OGM, loi pénitentiaire, travail le dimanche, modernisation de l’économie…).

 

La boulimie législative de ce gouvernement explique une telle dérive. Au 1er janvier 2010,  pas moins de 117 textes avaient d’ores et déjà été adoptés (28 propositions de loi et 89 projets de loi), sans naturellement tenir compte des conventions internationales ! On comprend qu’au vu des exigences induites par cette frénésie confinant à l’intempérance, il faille prendre ses aises avec les vertus de la délibération dans un parlement bicaméral…

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2EME OUTIL : LE TEMPS LEGISLATIF PROGRAMME (ART. 49 ET 55 DU RAN)

 

Bien que le Parlement soit étymologiquement le lieu de la parole, celle de l’opposition y est  dorénavant contingentée.

 

L’instrument imaginé à cette fin a constitué la principale innovation du règlement de l’Assemblée réformé le 27 mai 2009. Il s’agit d’un dispositif intitulé « temps législatif programmé », qui permet à la Conférence des présidents, naturellement entre les mains de la majorité parlementaire, de fixer non seulement la durée de la discussion générale mais aussi de l’examen de l’ensemble d’un texte, celui des articles compris.

 

Au sein de ce dispositif conçu comme une arme contre l’obstruction, le temps des débats est donc globalisé, toutes les interventions des députés étant décomptées sur le volume des groupes, sauf celles du président de la commission et du rapporteur (qui appartiennent le plus souvent à la majorité parlementaire). Bien sûr, les ministres échappent aussi à la règle. Seul accommodement, un président de groupe, au regard de l’importance qu’il accorde à un texte, peut – de droit – obtenir que le temps programmé soit « exceptionnel », c’est-à-dire que 50 heures soient consacrées aux débats .


Par hypothèse, lorsqu’un groupe politique a épuisé le temps qui lui a été attribué, la parole est refusée à ses membres. Et comme personne ne peut plus s’exprimer, les amendements déposés par ce même groupe sont simplement mis aux voix sans débat… une fois que le président de séance a interrogé le gouvernement et le rapporteur pour « éclairer » le vote des présents.

 

L’Assemblée découvre à peine les conséquences d’un tel dispositif puisqu’il n’a été appliqué que sept fois depuis juillet 2009. Reste qu’à cinq reprises, il a été conjugué avec la procédure accélérée , ce qui limite considérablement la marge d’autonomie des parlementaires et donc l’intérêt des échanges.

 

On retrouve bien sûr ici le fil rouge de la volonté du Président  de la République : réduire les débats à leur plus simple expression. De fait, l’observation du déroulement de l’examen des premiers textes encadrés révèle que la confrontation dans l’hémicycle est moins dynamique qu’auparavant, car les députés de la majorité se contentent de subir le temps qui passe, attendant patiemment le terme préalablement fixé. L’opposition est donc bien souvent seule à s’exprimer, ce qui a pour seule conséquence d’allonger la discussion générale préalable à l’étude des amendements.

 

Relevons enfin la tentation qui est celle de la Conférence des présidents de réduire les temps fixés. Ainsi, alors que la loi sur la légalisation des jeux en ligne s’est vu affectée en octobre 2009 un crédit global de 30 h, la durée des textes sur le risque de récidive criminelle et sur le Grand Paris, tous deux débattus en novembre dernier, a été réduite à 25 h… Lentement le licol se resserrerait-il déjà ? 

 

3EME OUTIL : LE VOTE BLOQUE (ART. 44 AL. 3 DE LA CONSTITUTION ET ART. 96 DU RAN) ALLIE AU VOTE SOLENNEL (ART. 65-1 DU RAN)

 

Voulue par les Constituants de 1958, cette procédure n’a pas été modifiée par la révision, le comité Balladur ne le suggérait d’ailleurs pas. D’une mise en œuvre particulièrement aisée, elle permet, en écartant tout amendement ou en n’
intégrant que ceux auxquels le gouvernement souscrit, de ne mettre aux voix que le texte exact voulu ou accepté par le ministre.

 

L’Assemblée ne se prononce alors que par un seul vote sur tout ou partie du texte. Si cette procédure n’a pas pour objectif d’écourter le débat, le fait qu’elle génère un moindre dynamisme dans la discussion conduit cependant à un effet identique. 

 

Depuis 1958, un tel dispositif est surtout employé dans le cadre de la procédure budgétaire. Ainsi par exemple, sous la XIe législature (1997-2002), sur les 20 recours à celui-ci, treize concernaient la matière financière (lois de finances, loi de financement de la sécurité sociale, collectif budgétaire).

 

On peut cependant observer un net changement de braquet sous la XIIIe législature, puisque depuis son ouverture, il en a déjà été fait usage à vingt occasions : le projet de loi de ratification d’ordonnance sur le redécoupage des circonscriptions, une proposition de résolution européenne, quatre projets de loi de finances (dont celui pour 2010 ) et quinze propositions de loi dont neuf étaient des textes présentés par l’opposition lors des journées d’initiative parlementaire !

 

Ce n’est d’ailleurs pas là la seule originalité, le gouvernement innovant aussi par la  conjugaison de ce « vote bloqué » avec une demande de scrutin public appelé « vote solennel ».

 

Ce dernier permet, à la discrétion de la conférence des présidents, de reporter le suffrage à un autre jour que celui où sont débattus les articles. Cette procédure permet ainsi aux députés de l’UMP et du Nouveau Centre de se dispenser de rester en séance lors des discussions, leur présence étant seulement requise lorsqu’est organisé le vote solennel .

 

Il s’ensuit des scènes assez tristes – récemment encore lors du suffrage sur l’évolution du statut de la poste –, où un parlementaire qui assurait l’explication de vote de son groupe n’avait pas participé une seule minute au débat de fond…

 

Là encore, la cadence du recours à ce vote solennel est soutenue puisqu’il a déjà été appliqué 65 fois depuis juin 2007, c’est-à-dire plus que durant la totalité de la législature 1997-2002 (62 usages). Insidieusement s’installe ainsi l’habitude de ne plus faire voter les députés que le mardi. Il est vrai que c’est l’un des rares jours où les bancs de l’hémicycle sont correctement garnis…

 

Naturellement l’intérêt du cumul des deux mécanismes réside dans la garantie pour le gouvernement d’éviter toute mauvaise surprise quant à l’issue du vote. En fixant le scrutin un mardi en fin d’après midi juste après les questions au gouvernement, et en opérant des coupes claires parmi les amendements, notamment issus de l’opposition, un texte a toute les chances d’être adopté sous la forme décidée.

 

4EME OUTIL : LA RESERVE DE VOTE (ART. 95 AL. 4 ET 5 DU RAN)

 

Quand le gouvernement se trouve en difficulté, soit parce que les députés de sa majorité sont en nombre insuff
isant, soit parce que les présents rechignent à suivre les consignes fixées par le ministre, celui-ci dispose d’une arme temporaire mais terriblement efficace : il peut différer l’examen ou le vote d’un article ou d’un amendement.

 

En pratique, ce n’est naturellement qu’une solution provisoire et imparfaite, dont la vocation initiale était de permettre la clarification de l’ordre de discussion de différents points d’un texte. Mais à l’usage, elle s’avère constituer une procédure très utile dans un hémicycle où les rangs de la partie droite sont régulièrement clairsemés.

 

Aucune statistique n’est disponible sur le site de l’Assemblée, mais les exemples d’un tel usage foisonnent, lors notamment de l’examen des projets de loi de finances ou des récents débats sur les réformes constitutionnelles attestant d’un usage détourné de la réserve de vote.

 

5EME OUTIL : LA SECONDE DELIBERATION (ART. 101 DU RAN)

 

Même si la durée des débats est encadrée (temps programmé), même si les amendements ont été triés par le gouvernement (vote bloqué annoncé), même si la majorité s’est assurée de sa domination mathématique (scrutin public), même si le ministre a différé le suffrage (réserve), l’éventualité toute théorique d’un vote négatif peut encore être parée par un autre dispositif : l’exécutif peut demander une nouvelle délibération.

 

Pour éviter toute déconvenue, le règlement prévoit, en sus, que cette demande est de droit pour les ministres et organise des procédures adaptées pour les projets de loi de finances (art. 119 al. 4 du RAN) et de financement de la sécurité sociale (art. 121-3 al. 1 du RAN).

 

Depuis 2007, le recours à cet instrument est massif puisqu’il en a été fait usage à pas moins de 24 occasions, en dépit des protestations de l’opposition formulées bien souvent au cœur de la nuit et en l’absence d’observateurs. Seuls les rares citoyens assistant aux débats découvrent ainsi avec surprise l’un des outils les plus méconnus du parlementarisme rationalisé.

 

6EME OUTIL : LA DELEGATION DE VOTE (ART. 62 DU RAN)

 

Bien que le vote des parlementaires soit personnel, ils peuvent le déléguer. Certes, la délégation est toujours personnelle, rédigée au nom d’un seul député en théorie nommément désigné, et ne peut excéder huit jours.

 

Pourtant, en pratique, ces dispositions du règlement restent très virtuelles. D’abord aucun député absent le jour du vote et ayant donné délégation de vote ne connait l’identité du parlementaire qui votera en ses lieux et places. Ensuite, les délégations étant quasi-permanentes, il revient seulement à l’élu d’avertir d’une absence son groupe, qui gèrera directement celle-ci avec les services de l’Assemblée. Enfin, comme elles ne sont aucunement liées à un texte en particulier, il est courant que ces mêmes groupes prennent l’initiative de faire jouer des délégations sans information particulière de leurs membres sur leur présence.

 

C’est ainsi que devant des b
ancs clairsemés, le Président de séance peut annoncer des résultats témoignant d’une participation massive, ce qui ne manque pas, là encore, de surprendre le public présent.

 

Cette faculté de délégation est intéressante pour le gouvernement mais aussi pour les députés. Le premier peut par ce truchement s’assurer de l’adoption sans risque de ses textes et les seconds masquer leur absence ponctuelle ou… régulière.

 

Illustrons enfin le poids de ces usages au moyen d’un récent cas emblématique observé par le signataire de ces lignes. Le vote solennel du texte sur la Poste est intervenu le mardi 22 décembre 2009. En dépit du caractère très populaire du sujet, de la mobilisation revendiquée des uns pour engager « une mutation salutaire du statut de l’entreprise » et des autres pour s’opposer à « une privatisation », 45 % environ des députés étaient absents, dont 50 % des membres du groupe UMP et … 40 % de ceux du groupe SRC. Mais pour les électeurs, tous en revanche étaient présents, le vote final en faisant foi !

 

Ainsi donc va l’Assemblée nationale sous Nicolas Sarkozy. Chaque jour le quinquennat consolide encore le lien atypique, exclusif et dangereux entre le Chef de l’Etat et les citoyens. S’appuyant sur le développement sans précédent des moyens de communication, le pouvoir invite quotidiennement les téléspectateurs à le contempler dans ses pompes et dans ses œuvres, dans ses prouesses et dans ses échecs.

 

En parallèle, au Palais Bourbon, le seul moment d’une vitalité qui perdure semble être la retransmission télévisée des questions d’actualité. Chaque mardi et mercredi de 15 h à 16 h, les députés, se sachant regardés, multiplient les incidents, les polémiques, les apostrophes, tant et si bien que l’Assemblée ressemble alors au théâtre d’un psychodrame aussi artificiel que dérisoire. Et dans la salle des Quatre Colonnes qui jouxte presque l’hémicycle, les couronnes de micros entourent quelques vedettes du bon mot pour qui le commentaire constitue l’essentiel de leur travail parlementaire. Si ce constat n’est certes pas nouveau , son actualité ne le rend que plus navrant. Au Sénat, le diagnostic est quelque peu différent, les « questions cribles thématiques » introduites dans le Règlement du Sénat (art. 75 ter) permettant sans doute des échanges substantiels.

 

Ainsi s’instaure une répartition des rôles dans laquelle le Parlement distrait ou apitoie tandis que l’exécutif intéresse ou insupporte : le premier joue la comédie, le second agit. La majorité a tout à y gagner, l’opposition tout à y perdre. Ce n’est pas parce que la révision de l’an passé lui a accordé un double ancrage constitutionnel  qu’elle y a acquis un statut. C’est donc à elle qu’il appartient d’abord de réagir en utilisant – enfin – toutes les potentialités que recèle sa seule véritable arme : la présence de la totalité de ses députés en séance. 


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