L'Elysée passe aux aveux dans l'affaire des sondages

Rue 89, 14/10/09

La commission des Finances présidée par Didier Migaud auditionnait mardi 13 octobre Christian Frémont, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, sur le projet de budget de l’Elysée pour 2010. L’occasion de tenter d’obtenir enfin quelques réponses précises suite au rapport de la Cour des comptes publié en juillet dernier sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire des sondages de l’Elysée ».

Pour mémoire, dans le chapitre intitulé « le cas particulier des études » de son rapport sur la gestion de l’Elysée, la Cour des comptes révélait :

  • que l’Élysée a passé en juin 2007 une convention avec un cabinet d’études pour un coût de près de 1,5 million d’euros, montant « exorbitant au regard des règles de l’exécution de la dépense publique », et ce sans respecter les règles des marchés publics ;
  • que ce cabinet -le cabinet Publifact de Patrick Buisson- a facturé à l’Elysée, pour 392 288 euros, des sondages Opinion Way, dont les résultats étaient publiés par Le Figaro et LCI, la Cour des comptes soulignant que « la comparaison des résultats publiés dans la presse et de ceux remis à la présidence ne faisait pas apparaître de différence » ;
  • qu’à propos de près de quinze autres études (dont les prestataires ne sont pas précisés), payées par l’Elysée, « le document remis à la Présidence était identique à celui publié par des organes de presse ».

J’avais eu l’occasion au mois de juillet de dénoncer un système de connivence entre le pouvoir, un institut de sondage (Opinion Way) et certains médias (Le Figaro et LCI). Alors que l’Elysée essayait d’étouffer l’affaire, le groupe socialiste avait déposé une demande de création d’une commission d’enquête parlementaire « sur les études commandées et financées par la présidence de la république ».

L’audition du directeur de cabinet du président de la République par la commission des Finances a largement confirmé tous les soupçons d’irrégularités que nous avions formulés.

Le contrat de Monsieur Buisson comportait une « anomalie »

Le compte-rendu de cette audition sera prochainement en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. L’essentiel du propos de Monsieur Frémont, en réponse aux questions posées par mon collègue Jean Launay et moi-même, a consisté à expliquer aux parlementaires que les pratiques dénoncées par la Cour des Comptes n’ont plus cours. « Tout cela appartient au passé, ce système n’existe plus », a-t-il dit, soulignant ainsi de facto qu’il y avait bien jusqu’en juillet 2009 un système, mis en place depuis 2007.

A la manière d’un gamin pris en faute qui veut vite ranger sa chambre, l’Elysée nous annonce donc qu’une grande opération de nettoyage et de remise en ordre des contrats de conseil et de sondages est menée tambour battant à l’Elysée depuis le mois de juillet, c’est-à-dire depuis les révélations de la Cour des comptes et la polémique qui s’en est suivie. La situation serait désormais « simple ». Depuis juillet 2009, nous dit monsieur Frémont :

  • monsieur Buisson a un contrat de conseil pour 10 000 euros mensuels ;
  • monsieur Giacometti à un contrat pour 43 500 euros mensuels ;
  • une procédure d’appel d’offre a été lancée concernant les sondages, sondages qui ne porteront désormais que sur la seule image du président de la République, contrairement au passé où ce périmètre restreint n’était pas défini. Il s’agit à présent « de ne pas faire doublon avec le travail du SIG » comme c’était le cas auparavant…

« Monsieur Buisson n’a plus les sondages depuis le mois de juillet », ajoute monsieur Frémont. Jusqu’en mars 2009, le contrat de monsieur Buisson comportait une « anomalie », dixit le directeur de cabinet, qui a poliment démenti au passage les déclarations de monsieur Buisson dans L’Express du 13 septembre selon lesquelles « la convention passée avec [sa] société n’était pas soumise au code des marchés publics à l’époque où celle-ci a été signée ». On dirait bien un lâchage en rase campagne…

Monsieur Frémont a aussi accepté de transmettre très prochainement à la commission des Finances la fameuse liste détaillée des 15 études, payées par l’Elysée et publiées dans des médias, sur laquelle la Cour des comptes attirait l’attention.

1 120 000 euros de sondages pour 2009

Mais hélas, la remise en ordre a tout de même des limites. Les députés ont ainsi été informés que l’Elysée dépensera en 2009 pour 300 000 euros de sondages Ipsos et pour 820 000 euros de sondages Opinion Way… Soit, pour 2009, plus du double de la somme payée par l’Elysée via Publifact pour les sondages Opinion Way en 2008. Cherchez l’erreur !

Quant au système de connivence mis en lumière par la Cour des comptes entre l’Elysée, Opinion Way et les médias « partenaires » de la présidence de la République, les arguments avancés pour réponse aux questions des députés ne sont tout simplement pas crédibles. Examinons-les :

  • Le choix de l’institut de sondage d’abord. Pourquoi ce choix d’Opinion Way « sans appel d’offre » comme le rappelle monsieur Frémont ? Parce que, selon lui, la technique de sondage par internet d’Opinion Way permettrait à l’Elysée d’avoir accès à des « verbatims » que les autres techniques de sondages ne permettraient pas d’obtenir… Pourtant tous les instituts peuvent fournir des verbatims à partir de questions ouvertes, sans parler des études qualitatives commandées par l’Elysée dont c’est notamment la vocation et dont on se demande bien à quoi elles servent…
  • L’effectivité de la prestation payée par l’Elysée pour 392 288 euros ensuite.Monsieur Frémont, contrairement à Claude Guéant qui lui avait affirmé que l’Elysée avait payé des sondages également payés par certains médias (on se souvient de l’explication édifiante du secrétaire général de l’Elysée prétendant « si un journal achète le même (sondage), on n’y peut rien ! »), a expliqué que cette somme correspondait à l’achat de tris détaillés et croisés du Politoscope (nom de l’enquête « omnibus » d’Opinion Way) tandis que les médias eux n’avaient « qu’une petite partie du travail ». Rappelons que la Cour des comptes n’a eu connaissance d’aucun document qui aurait été différent de ceux publiés dans les médias accréditant cette explication fumeuse. J’ajoute que si cette théorie était avérée, cela signifie qu’Opinion Way serait le seul institut à facturer les tris plus chers que les questions. Enfin et surtout l’Elysée est un financeur principal du Politoscope, puisque la dépense élyséenne pour cet omnibus est quatre à cinq fois supérieure à la somme payée par le Figaro et LCI, ce qui revient à ce
    que ces médias soient sponsorisés par l’Elysée.
  • La double-facturation ou fausse-facturation enfin. Le site Marianne2.fr avait révélé que sur les 392 288 euros dépensés par l’Elysée pour le Politoscope seuls 190 000 atterrissaient dans les poches d’Opinion Way. Autrement dit Patrick Buisson était payé deux fois pour le même travail, une fois avec le contrat de conseil de 10000 euros mensuels et une autre fois en quelque sorte « sur le dos » d’Opinion Way en ponctionnant 52% des 392 288 euros dépensés par l’Elysée. Et le véritable scoop de l’audition de ce mardi, c’est que le directeur de cabinet du président de la République a ouvertement justifié cette forme de rémunération de Monsieur Buisson devant la Commission des Finances comme « un travail de rédaction des questions et d’analyse ».

Mais si l’Elysée n’achetait à Opinion Way que des tris croisés, pourquoi donc monsieur Buisson était-il payé pour rédiger les questions… ? !

Bel et bien une affaire des sondages de l’Elysée

Depuis la publication du rapport de la Cour des comptes, plus l’Elysée tente de s’expliquer et de se justifier, plus c’est l’enlisement. L’audition du directeur de cabinet du président de la République en commission des Finances aujourd’hui, malgré les apparences, n’a pas échappé à la règle : chaque réponse apportée a confirmé non seulement les irrégularités que nous dénonçons depuis le mois de juillet, mais, pire qu’un système de connivence, le soupçon d’une vraie manipulation.

Jusqu’ici, on s’inquiétait du fait que les sondages Opinion Way payés par l’Elysée étaient publiés par Le Figaro et sur LCI pour influencer le débat politique. Aujourd’hui, on nous dit ouvertement que les questions étaient écrites par Monsieur Buisson. Plus on creuse, plus il y a bel et bien une affaire des sondages de l’Elysée. Voilà qui doit inciter les socialistes à aller jusqu’au bout de leur démarche pour obtenir la création d’une commission d’enquête.

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