Agoravox – Travail le Dimanche : la régression est en marche

Après plusieurs mois d’échanges virulents à l’assemblée, le texte de loi sur le travail dominical, tout juste censuré à minima par le Conseil Constitutionnel, a été publié au journal officiel (JO) le mardi 11 août.

Annoncé pour fin septembre, cette loi phare en emblématique de toute une idéologie à l’oeuvre, a été poussée vers l’avant en pleine période estivale pour une application quasi-immédiate.

Le dimanche 16 août, les modalités du texte pouvaient donc rentrer en application.

I. Un texte de régression sociale

Un bref rappel historique permettra de se remémorer qu’il fallut attendre jusqu’en 1906, après un long conflit social avant que le repos hebdomadaire du dimanche soit obligatoire. Cette journée, non ouvrée, offrait la possibilité à des millions de personnes de bénéficier d’une journée dans leur semaine à ne pas se consacrer à leur travail.

En 1936, le Front Populaire mettait en place les premières semaines de congés payés et réduit le temps hebdomadaire de travail de 49 à 40h. En 1956, la 3ème semaine, en 1969 la 4ème semaine, en 1982 la 5ème de congés payés est acquise alors que la semaine ne dure plus que 39h. En 1982, toujours, Mitterrand baisse l’âge de départ à la retraite de 65 à 60 ans.

Enfin, en 2000 la mise en oeuvre de la loi Aubry réduit le temps de travail hebdomadaire à 35h.

Ces diverses lois, souvent acquises de haute lutte, définissent un sens, une orientation de progrès sociale : l’individu tendant à moins consacrer de temps à son obligation « travail », dispose d’un temps plus large pour se consacrer à d’autres activités.

Ces avancées, couplées à l’arrivée de la femme sur le marché du travail, à l’émergence d’une société – et d’une économie – de loisirs, à la diversification des activités notamment vers des champs nouveaux comme le sport « professionnel », ont permis de bâtir un modèle « singulier », que beaucoup d’autres nations dans le monde nous envient.

Bien évidemment, tout le monde n’a pas bénéficié de ces avancées de la même façon, les professions libérales, les professions « contraintes » comme les hospitaliers ou même les chefs d’entreprises, n’ont pas forcément vécu ou perçu les mêmes conséquences.

Mais quoi que l’on puisse en dire, il y avait une logique progressiste, une logique qui tendait à améliorer la vie des individus.

Le gouvernement actuel lui, suit une toute autre piste, et ce n’est pas nouveau.

Confronté à des déficits abyssaux, souvent creusés par lui-même, il en vient à conclure que seul plus d’heures ouvrées permettront de rétablir les comptes publics et la croissance.

Profondément convaincu du dogme productiviste, consistant à penser que seul le temps de travail permet la productivité et la croissance, il explore plusieurs pistes, toutes orientées vers la réduction de ces progrès sociaux.

En 2003, la loi du 21 août (on appréciera la période) portant sur les retraites, visait déjà à élargir la durée de travail tout au long de la vie, mais, face à la contestation, s’est contentée d’une homogénéisation des régimes et de départs en pré-retraites.

En 2004, la suppression d’une journée de congés (lundi de Pentecôte) constituait, sous couvert d’un voile de solidarité (la fameuse journée solidarité pour les « personnes âgées ») un élargissement du temps de travail.

Au passage, ces 2 dernières dispositions ont démontrées leur inefficacité profonde, l’une ayant coûté beaucoup plus cher qu’elle n’a rapporté, incitant des personnes à partir avant l’heure et donc à coûter plus cher, l’autre ayant démontré qu’elle coûtait plus cher à être ouvrée qu’à ne pas l’être, le lundi de pentecôte générant des rentes touristiques plus élevées que les gains générés en entreprises à flux « courant ».

Non content de ce constat d’échec, prouvant du reste que les solutions sont ailleurs, N.Sarkozy surfant sur le « travailler plus pour gagner plus » a fait du travail dominical la mesure phare de son mandat. D’où l’obstination indéfectible du gouvernement à conduire cette « réforme » malgré une large opposition, y compris dans les rangs même de la majorité.

 

II. Travailler le dimanche : pour quoi faire ?

L’idée est simple, facile, superficielle. Si l’économie rame et qu’il reste un jour non ouvré, pourquoi ne pas l’ouvrir au travail ? D’une part il y a une demande (tourisme, achats, etc…), d’autre part il y a d’ores et déjà des fraudes qui traduisent cette demande (ouvertures exceptionnelles d’enseignes de zones commerciales et autres zones touristiques).

A partir ce constat, purement consumériste, on peut s’en convaincre : ouvrir le dimanche ce n’est pas une mauvaise idée, en plus aux USA, au Canada ou ailleurs, les magasins sont ouverts le dimanche et les gens consomment.

Néanmoins, derrière ce constat simpliste, plusieurs éléments, et non des moindres, ont été occultés.

Cette liste d’éléments, mis bout à bout, amène à reconsidérer la position, et finalement à dresser un bilan qui génère, pour un gain économique non démontré, une fragilisation notable des populations qui seront de « l’autre côté du guichet » ces jours-là.

Attention, je ne dis pas que le dimanche, tout doit être fermé, je dis qu’il faut – à mon sens – définir des usages et des limites, sinon on rentre clairement dans la régression sociale.

– Qui cela concerne ?

Première des questions à se poser : qui vise-t-on et pourquoi faire ? S’il s’agit de proposer à des secteurs touristiques, parfaitement définis et balisés, la possibilité d’ouvrir le dimanche parce que c’est une journée pleine pour cette activité, je dirais « pourquoi pas » : faut-il encore définir l’emploi « maître de ses choix » de l’emploi « salarié dépendant des choix ».

Autrement dit, en secteurs touristiques, pourquoi pas, mais avec des modalités claires.

Pour les autres secteurs d’activité, notamment les commerces, en dehors des 3 dimanche avant Noël – et même dans ces cas là- je ne vois pas l’intérêt d’ouvrir des magasins le dimanche.

Il faut donc bien définir, décideur libre de son choix et salarié, activité touristique ou activité « traditionnelle » pour ne pas générer d’excès.

– Qui décide ?

L’ouverture le dimanche sera décidée par les enseignes ou les directions. Le salarié n’aura pas le choix de savoir si l’enseigne sera ou non ouverte. Au mieux il pourra ou non travailler le dimanche. Mais dans la majorité des cas, sous la pression des collègues ou de l’entreprise, le salarié devra accepter de travailler le dimanche comme un jour « de base ».

Le volontariat devient donc « relatif », surtout si le dimanche rentre dans les modes de calcul horaires « annualisés » ou « mensualisés ». L’importance de la liberté du volontariat est primordiale : chacun doit pouvoir faire le choix, de lui même. Sinon, ce n’est plus du volontariat, mais une obligation.

On peut comprendre qu’un étudiant soit tenté par le dimanche payé double, mais une mère de famille à 40 ans y portera sans doute un autre regard…

– Quelle rémunération ?

Le travail le dimanche doit, pour tout salarié, être rémunéré double. Cela devrait être inscrit noir sur blanc, quelles que soient les zones ou les activités. Cela aurait un double voire triple avantage : une activité économique qui ne serait pas rentable, fermerait d’elle même ses portes le dimanche. Ensuite, concernant les étudiants – et tout ceux qui sont derrière le guic
het – cela aurait pour vertu d’être rémunérateur rapidement en peu de temps. Bien évidemment, le choix d’avoir en contre-partie 2 jours de récupération payés au lieu d’1 pourrait aussi être proposé.

Cette disposition devrait de plus être étendue, de droit, aux nombreux salariés qui bossent le dimanche mais n’ont actuellement aucune majoration. Cela aurait pour vertu de dire : si tu es patron, libre à toi d’ouvrir et de te rémunérer, mais si tu emplois quelqu’un, le coût c’est X2. Économiquement, ça calme.

– Quels intérêts économique ?

Si, dans certaines zones touristiques, on peut bien comprendre qu’une journée d’ouverture en plus permet de capter plus de clientèle, pour des zones commerciales, le gain est nettement plus discutable : acheter sa perceuse le dimanche plutôt que le samedi, c’est toujours une perceuse d’achetée : le gain est nul pour les enseignes concernées. En revanche, les personnes qui travailleront ce jour-là, seront autant de personnes qui ne consommeront pas le dimanche ce qui peut aussi générer des manques à gagner. Ne l’oublions pas, les salaires, eux, ne bougent pas…

– Quelles incidences pour la vie familiale ?

Travailler le dimanche, vu du patronat, cela peut paraître intéressant. Vu du salariat, c’est beaucoup plus compliqué. En effet, le travail le dimanche constitue un travail « en décalé », avec ce que cela comporte comme difficultés : peu ou pas de transports en commun, pas de nounous (sinon là aussi c’est X2 ou plus), etc… Tout devient un peu plus compliqué, avec une absence le jour où les enfants sont présents, une présence le jour où ils sont absents.

A moyen et long terme, on pourra découvrir également le délitement des vies de couples (couples TGV, couples « paliers », couples à distance) avec des horaires toujours plus « souples », mais aussi des convergences toujours plus compliquées. On pourra également se rendre compte que les enfants n’ont plus de repères, qu’ils ont du mal à suivre en classe etc… Bref, tout ce qui résulte de l’absence d’un parent un peu trop marquée, surtout s’il travaille le samedi ET le dimanche…

Bien sûr, certains me diront que travailler le dimanche, ils le font déjà depuis longtemps (restaurateurs, buralistes, hôteliers, etc…). Ce qu’ils oublient de dire, c’est qu’ils le font pour leur propre compte dans l’essentiel des cas, sous leur propre décision, et parce qu’ils sont dans un domaine d’activité où ne pas ouvrir le dimanche serait économiquement dommageable.

Si les éléments ci-dessus ne sont pas rédigés clairement en faveur du choix, en toute connaissance de cause et avec des contre-parties clairement écrites, on ne soumet plus les salariés à du volontariat mais à du chantage à l’emploi. On expose un peu plus ceux qui déjà n’ont pas grand chose à l’aléa du rythme de travail, aux difficultés d’organisation, en somme à une nouvelle forme de pression.

 

III. Le travail dominical : un facteur d’accroissement des inégalités

Le travail dominical constitue un formidable facteur de distorsion sociale : il y aura ceux qui n’auront pas le choix, et ceux qui verront la chose en étant bénéficiaires : les clients (qui ne se poseront pas la question sauf à voir leurs enfants dans cette situation) ou les patrons.

Les salariés du dimanche deviendront les serviteurs des autres, sans contre-parties garanties, exposés aux difficultés multiples de la situation le tout en se coupant d’activité socialisante comme le sport (les matchs de foot du dimanche), les repas ou les balades en famille, la vie politique parfois. Bref, ils deviendront des serviteurs broyés sous la logique du dieu dominical « consommation » au plus grand profit d’une minorité d’actionnaires heureux – sans doute trop vite – de générer plus de bénéfices.

Sans repères temporels, les gens seront mobilisables, jour et nuit, dimanche et fêtes, vivant avec des rythmes décalés sans réelle obligation de service (pompiers, infirmiers, agents de centrales nucléaires etc…) ni même significatives contre-parties.

Enfin, compte tenu des différenciations de régime, entre zones dites « PUCE » ou touristiques, et autres zones, entre les différenciations de villes (Paris, Marseille, Lille et villes d’intérêt touristique ou thermales (terme vague)), on crée immanquablement un régime inégalitaire.

Le travail le dimanche doit être bien plus limité, encadré, rémunéré, qu’il ne l’est via cette loi déstructurante. Il ne s’agit pas de tout rejeter en bloc, mais bel et bien de lire derrière le texte le sens idéologique qui anime l’écriture et d’évaluer les inévitables conséquences dévastatrices que cela va avoir sur bon nombre de Français.

Enfin, plus profondément encore, je crois que le gouvernement est incapable de se projeter intellectuellement d’un système passé, révolu et décadent fondé sur le quantitatif, vers un système progressiste, humain et d’avenir construit sur le qualitatif.

Le sens de l’histoire, c’est de travailler moins pour vivre mieux.

Que certains travaillent plus, pour que d’autres gagnent plus, cela s’appelle la féodalité, l’ancien régime.

Le vrai défi à relever, c’est de faire en sorte que chacun puisse, au travers d’un emploi, vivre décemment et espérer pouvoir évoluer : pour cela, seule la répartition des richesses, l’amélioration de ce qui existe et, il faut bien le dire, des règles du jeu collectives un peu moins déconnantes, pourront permettre d’y arriver.

Le travail dominicale est donc une mauvaise piste pour redresser la barre.

Laisser un commentaire