Mme Hermange :"Le dimanche, le temps n'est plus celui de l'horizontalité mais de la profondeur"

Il faut reconnaître un mérite à Richard Mallié : son texte a été l’occasion de remarquables interventions. Jean Marc Ayrault, Christian Vanneste, Martine Billard, Véronique Besse, Dominique Souchet à l’Assemblée, André Lardeux, Mmes Le Texier et Pasquet, M Retailleau au Sénat.

Dernière intervention remarquable en date, celle de Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice UMP de l’Ile de France. 

22 juillet-matin – Discussion des articles, le 2 – Madame Marie-Thérse HERMANGE UMP- Ile de France

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engageons la discussion sur le cœur du texte, l’article 2, qui tend, d’une part, à clarifier le régime juridique applicable dans les communes et les zones touristiques et, d’autre part, à offrir un nouveau régime dérogatoire à certaines grandes agglomérations.

Je sais que M. Richard Mallié et Mme Isabelle Debré ont œuvré dans un souci de protection des travailleurs. Mais, en dépit du caractère rassurant de l’article L. 3132-3 du code du travail, selon lequel « dans l’intérêt des salariés » – termes ajoutés –, « le repos hebdomadaire est donné le dimanche », je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le champ des dérogations.

Représentante de la collectivité parisienne, comment admettre d’abord que Paris, ville touristique par excellence, ne soit pas sous le régime du droit commun et que le préfet de Paris décide à la place du maire, sans même que celui-ci ou son conseil soit consulté ?

Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre argument selon lequel c’est le préfet qui décide déjà aujourd’hui. Mais nous avons voté récemment une loi portant réforme de l’hôpital, dans laquelle il nous a été demandé de mettre l’AP-HP sous le régime du droit commun. Pourquoi, dans certain cas, Paris doit-il relever du droit commun et, dans d’autres, faire exception ?

Représentante des collectivités locales, je m’interroge sur le déséquilibre territorial que risque d’introduire cet article et ce, à double titre.

D’abord, l’ancrage des entreprises dans un territoire passe par l’implantation d’entreprises à forte valeur ajoutée. Alors qu’elles ne sont pas forcément des grandes surfaces, elles devront pourtant respecter les mêmes conditions que ces dernières.

Par exemple, si une entreprise a obtenu une dérogation, mais qu’elle n’est pas inscrite dans une zone touristique et thermale, devra-t-elle fermer ?

Le travail du dimanche, tel qu’il est conçu dans ce texte, me semble rompre le principe d’égalité des entreprises entre elles. Par conséquent, il risque de déséquilibrer, dans le temps, l’ancrage territorial de certaines entreprises.

Il risque également d’accroître la désertification de certaines communes et de contribuer à créer des villes dortoirs, supprimant ainsi cette place de rencontre qu’était l’agora. Jean-Jacques Rousseau, dans son œuvre intitulée Essai sur l’origine des langues, l’appelait la fontaine : elle permit aux communautés de se rassembler et de faire miroir en sortant ainsi les hommes de leur isolement. Pour d’autres, cet espace est la paroisse.

Pourrons-nous alors compter sur nos concitoyens pour nous aider à développer notre territoire, d’autant que, dans ces villes, l’éclatement du lien familial et social sera manifeste – il est déjà visible –, tant que l’on n’aura pas créé une cité de l’hospitalité ?

Ensuite, je m’interroge sur les conséquences pour les collectivités territoriales en matière d’offre de garde d’enfants. Désormais, à n’en pas douter, la mise en place de dispositifs de garde sera nécessaire pour accueillir les enfants dont les parents, soit par choix, soit parce qu’ils ne pourront faire autrement, devront faire prendre en charge leurs enfants par une structure adéquate ou une assistante maternelle.

Qui devra assurer cette charge ? Les collectivités locales, les parents ? Si les structures n’existent pas, pourrons-nous déplorer que des enfants soient livrés à eux-mêmes ? Nous devrions nous demander si nous faisons preuve de respect et acte de civilisation à l’égard de ces enfants.

Il revient au politique de soulever cette problématique, qui finira par se poser à plus ou moins long terme, et de la nommer. Cela n’a rien à voir avec une peur panique face au changement !

Enfin, monsieur le ministre, en faisant des dérogations le principe, c’est-à-dire autoriser le travail le dimanche, et du principe les dérogations, le travail dominical n’a plus à être justifié ! Bien au contraire, il faudra désormais justifier le repos dominical, justifier qu’il doit être un temps de relation avec l’autre. Cet autre, certains l’écrivent avec un grand A, et les catholiques savent que le Christ les appelle à ce rendez-vous, qui est le sommet de leur semaine. D’autres l’écrivent avec un petit a et le perçoivent comme un espace de détente et de gratuité pour la joie toute simple de retrouver les siens ou de vivre des rassemblements familiaux, sportifs ou associatifs.

D’ailleurs, souvenons-nous que, au XIXe siècle, lors des débats houleux sur le dimanche, le repos dominical fut défendu non seulement par le chrétien Ozanam, mais également par le socialiste athée Proudhon.

À vrai dire, le principe du repos hebdomadaire protège la vie des familles ; il doit permettre de se retrouver soi-même et de rompre la solitude. Ce temps, qui n’est pas guidé par des impératifs exclusivement économiques, est celui non pas de l’horizontalité, mais de la profondeur.

Si, dans les faits, cet article de loi n’apporte, pour l’instant, pas de grands changements – pour reprendre l’expression employée par Nicolas About, il n’est « ni panacée ni poison » – il comporte, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une modification symbolique.

Aujourd’hui, je voudrais faire part à mes collègues et au président de mon groupe de ma perplexité face à ce texte. Je n’ai dérogé que deux fois à la discipline de groupe dans cette assemblée, lors de la discussion de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie et du projet de loi transposant une directive sur le médicament. En ce qui concerne ce dernier texte, je ne suis pas certaine que nous ayons bien tous pris la mesure de notre vote, qui autorise à faire de l’embryon un médicament.

Paradoxalement, je voudrais également, monsieur le ministre, vous remercier, d’avoir amené en discussion cette proposition de loi de M. Mallié, car elle m’a fait redécouvrir le sens du dimanche. À la vérité, le nœud de la controverse ne réside pas dans tel interdit ou telle prescription ou dans le fait de se demander si nous n’allons pas contribuer à faire naître un homme-caddy. Il doit être recherché dans la vocation originelle du dimanche qui est, me semble-t-il, de mettre l’homme en relation avec autrui.

 (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

 

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