Liberté Politique : Les volontaires du travail dominical : “Ça sent l’embrouille !”

Liberté Politique 10 juillet 2009 | Hélène Bodenez

Plusieurs voix se sont élevées contre les pièges de l’ultime proposition de loi Mallié, en discussion à nouveau pour cinquante heures à l’Assemblée nationale. Son vote serait très solennellement acquis le 15 juillet prochain.

Ce texte, qui n’est rien d’autre que l’habile combinaison d’une recommandation de la commission Attali, soutenue par l’Élysée, et des intérêts particuliers de tel ou tel parlementaire, comme le député Mallié (UMP, Bouches-du-Rhône), est-il une version lightet sans danger du projet initial ? Il est raisonnable d’en douter.

Députés de gauche comme de droite, personnalités syndicales très mobilisées ou personnalités religieuses moins confiantes [1] aujourd’hui, tous se demandent si, à terme, on ne se sera pas joué d’eux. L’atmosphère du débat, en tout cas, est au soupçon généralisé, les certitudes se lézardent et les journalistes qui jouent les courroies de transmission du pouvoir peinent à faire croire qu’il ne s’agit que d’une « nécessité » ou d’une simple action de « bon sens ». Le soupçon tenace persiste et grandit même. On répugne à être responsable du premier domino qui fera tomber le second. Les trois leurres du salaire double, du repos compensateur et du volontariat brillent de moins en moins fort et le poisson a du mal à mordre. 

Le piège du volontariat 

On a beaucoup parlé des deux premiers leurres mais moins du troisième. Et pour cause. On devrait pourtant se méfier : trouve-t-on beaucoup de « volontaires » dans le droit du travail ? Mais pourquoi avoir peur ? Le mot volontaire, qui n’apparaît dans la loi que pour les seuls PUCE [3], n’évoque-t-il pas un air de liberté qui flatte et endort ? Volontaire,cela n’inspire-t-il pas la rondeur de la générosité et ne va-t-il pas de pair avec un laisser-faire qui pourrait être résumé ainsi : pourquoi ne pas céder puisque le volontairedu dimanche le voudra bien, puisque ce sera « son choix » ? 

Qu’il nous soit permis malgré tout de penser ce mot parfaitement incongru dans le débat du travail du dimanche. 

Appartenant aussi au champ lexical de l’armée où volontaire renvoie à celui qui sert sans y être obligé pour une mission dangereuse, ou même au champ lexical de l’humanitaire comme dans l’expression engagé volontaire, le volontaire signifie premièrement qui agit librement, sans contrainte. Il n’y aurait donc là rien à redire.

Seulement, l’on n’empêchera pas dans ce dossier précis la contamination des autres sens sur le premier. Dans notre société, le mot peut correspondre à la notion debénévole : c’est le cas des pompiers volontaires et des personnes s’engageant dans des associations qui offrent leurs services par dévouement. Volontariat et bénévolat s’interpellent. Le bénévole est toujours volontaire. On observe d’ailleurs que dans un monde où l’on jauge facilement les gens à leur portefeuille, ces mots généreux se voilent vite d’une ombre de mépris. 

« Désigné volontaire »

De là à considérer le volontaire comme le mal-payé et donc l’exploité, le berné parce que dévoué et fragile, ne pouvant pas faire autrement, celui dont la rémunération est seconde par rapport au service à rendre, il n’y a qu’un pas. Et n’en déplaise aux promoteurs du travail le dimanche, par la force des choses et la pression du contrat de subordination qui lie tout salarié à son employeur, on passera subrepticement devolontaire, à désigné volontaire, à commis d’office notamment lorsque le nombre de volontaires ne sera pas suffisant. C’est inévitable et ce ne sera pas alors la chute d’une bonne histoire drôle. 

Loi de liberté, nous redit-on sans cesse. La ficelle est trop grosse. Ceux qui travailleront ce jour-là ne pourront pas faire autrement. Soyons très attentifs à ces étranges propositions comme celles des équipes de volontaires « par roulement ». Qui oserait encore dire qu’il y a là respect du volontariat ? Du trompeur « c’est mon choix » du salarié, on sera passé à l’offensif « puisque c’est leur choix » des promoteurs volontaristes du travail du dimanche. 

Et que dit le dictionnaire [4] de ce mot « volontariste », moins flatteur ? « Se dit d’une personne qui croit soumettre le réel à sa volonté. » De fait, le mot convient parfaitement ici pour définir l’intention des promoteurs du travail dominical. 

Incohérences

L’heure en tout cas est aux incohérences des réponses du ministre et du volontariste « auteur, interprète et rapporteur » de la proposition de loi, selon l’expression de la jeune et véhémente élue socialiste de Paris, Sandrine Mazetier. Devant une assemblée clairsemée qui a levé la séance à plus d’une heure du matin, les députés relevaient vendredi 10 juillet l’imbroglio intégral, contestaient les arguments « risibles » avancés, l’absence d’explications rationnelles… « Ça sent l’embrouille. Ça ne peut pas marcher cette histoire » disent les uns, « c’est pourtant clair, c’est biblique » disent les autres… Le spectateur ahuri ne peut que se ranger du côté des députés qui prédisent des recours juridiques en pagaille

À cinq jours du vote, espérons que les yeux des députés hésitants se dessilleront. Des zones d’ombre ne laissent pas d’interroger comme celles soulevées par les amendements (rejetés) sur le statut des commerces alimentaires ou la gravité par exemple de l’éviction du conseil municipal au motif que seul le maire ou le préfet (pour Paris) décidera du PUCE. Une chose est sûre : avec ce volontarisme incompréhensible et aberrant, cette « question politique grave et majeure » n’est pas passée inaperçue.


[1] Cf. le communiqué de Mgr Aillet, Travail dominical : un texte de loi antisocial ?
[2] Dans les seuls PUCE (et non dans les zones touristiques), – Périmètres d’usage de consommation exceptionnelle. Le Conseil constitutionnel ne censurera-t-il pas ces discriminations de salaires pour un travail identique ? 
[3] Réécouter pour plus de clarté sur radio Notre-Dame, l’émission Focus du 7 juillet animée par Louis Daufresne qui recevait 
Joseph Thouvenel secrétaire général-adjoint de la CFTC 
[4] Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Bordas, Paris, 1992.

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