Compte rendu analytique officiel du 7 juillet 2009 : première séance

Pauvre Pierre Méhaignerie ! Lui qui avait émis de sérieux doutes sur la pertinence du texte, voilà que les circonstances l’obligent à le défendre, et qu’il se trouve, tel le syndicaliste de base, à défendre le travail du dimanche comme « acquis social » !

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Pierre Brard. Cela doit être un crève-cœur, pour lui, d’être obligé de dire le contraire de ce qu’il pense !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Mon cher collègue, écoutez-moi d’abord.

M. Jean-Pierre Brard. Mais je vous écoute religieusement !

M. le président. Pour cela il faut se taire, monsieur Brard.

M. Marcel Rogemont. Avez-vous lu le journal Ouest-France de lundi, monsieur le président de la commission des affaires sociales ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, j’aimerais pouvoir m’exprimer.

M. le président. Monsieur Rogemont, s’il vous plaît.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Dans un débat difficile, le premier danger est la caricature et l’exploitation de la peur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – « Oh ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Une idée simple, même fausse, a en effet toujours plus de puissance qu’une idée vraie mais complexe. Or j’ai été stupéfait des contrevérités proférées par le président du groupe SRC ce matin.

M. Pierre Cardo. Nous y sommes pourtant habitués !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Non seulement, à l’en croire, la moitié de la population française résiderait dans des zones où l’on travaille le dimanche, mais le maire n’aurait pas à donner son avis ! (« À Paris ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Or l’un des points essentiels du texte est de placer le maire au cœur du système, et le président Ayrault, mes chers collègues, a parlé de la France tout entière – je vois à vos réactions que l’argument pèse.

Je ne crois pas du tout que le texte conduira à une extension démesurée du travail le dimanche : comme l’ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, les extensions ont d’ailleurs été rares au cours des dix dernières années. Le président du groupe SRC a évoqué la ville de Vitré, dont je suis maire ; bien que celle-ci soit touristique, je n’aurai jamais l’occasion, non plus que de nombreux maires qui siègent sur ces bancs, de demander l’ouverture dominicale des commerces.

M. Jean-Pierre Brard. Et vos successeurs ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. La raison en est simple : j’écoute les salariés de ma ville, et la situation ne l’exige pas.

Je suis autant attaché que vous, chers collègues de l’opposition, au repos dominical ; mais j’estime n’avoir pas le droit d’occulter certaines réalités : dans plusieurs zones, comme à Marseille, les salariés tiennent à travailler le dimanche – des référendums locaux l’ont d’ailleurs montré.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous parlez de situations illégales !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Il est d’usage, dans notre pays, de respecter les acquis.

M. Jean-Paul Lecoq. Les acquis illégaux ? C’est nouveau !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Un référendum dans toutes les zones concernées montrerait que les salariés sont d’accord pour travailler le dimanche.

Nous savons par ailleurs que les étrangers passent souvent trente-six heures à Paris, avant de visiter Rome, Londres ou Madrid : pourquoi, si ce séjour comprend le dimanche, ne pas leur donner la possibilité de consommer ? Tels sont les deux cas d’exception qu’il convient de prendre en compte.

Je veux également répondre à Mme Billard. Nos débats n’éviteront sans doute pas la caricature, le schématisme et la confusion.

M. Frédéric Cuvillier. Décidément, vous ne parlez pas beaucoup des salariés !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. J’en parlerai, mon cher collègue.

S’agissant des concertations, je rappelle que M. le rapporteur a mené trois vagues d’auditions des partenaires sociaux.

M. Marcel Rogemont. Une audition, ce n’est pas une concertation !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Ces auditions ont permis d’élaborer des amendements qui prévoient de laisser une large place aux accords collectifs, y compris dans les zones touristiques. En outre, un amendement de M. Vercamer tend à imposer une obligation de négociation.

Vous ne cessez d’entretenir la confusion sur le nombre de communes concernées – 500 ou 5 000 – par la nouvelle dénomination de « zones touristiques d’affluence exceptionnelle » ; or cette dénomination vise précisément à distinguer les communes touristiques de celles qui resteront soumises aux dispositions générales du code du travail.

M. Jean Mallot. C’est vous qui entretenez cette confusion !

M. Frédéric Cuvillier. Que signifie juridiquement la nouvelle dénomination ?

M. Jean Mallot. À partir de combien de personnes y a-t-il affluence ?

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Troisième point : la proposition de loi protège le commerce alimentaire de proximité, puisqu’elle l’exclut du champ des dérogations, à la fois dans les communes touristiques et dans les zones exceptionnelles de consommation.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez perdu la partie !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Vous ne m’écoutez pas ! (« Si ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Paul Lecoq. C’est vraiment laborieux !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Mes collègues du groupe UMP, à quelques exceptions près, ne souhaitent pas l’extension démesurée du travail le dimanche. (« C’est faux ! » sur quelques bancs du groupe SRC.) Vous êtes vraiment, chers collègues de l’opposition, dans la caricature permanente : c’est à décourager de prendre la parole ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bruno Le Roux. Vous êtes tellement mal à l’aise que vous ne trouvez plus d’arguments !

M. Philippe Martin. Ne soyez pas méprisant !

M. le président. Mes chers collègues, s’il vous plaît.

Monsieur le président de la commission, veuillez poursuivre.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. J’ai déposé un amendement à titre personnel…

M. Christian Eckert. Et alors ? Quelle révolution !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. …afin qu’un comité, composé de trois membres de l’opposition et de trois membres de la majorité, évalue le dispositif chaque année.

M. Christophe Caresche. Il fallait le faire avant !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Les caricatures que l’on entend, monsieur le président, montrent la médiocre qualité du débat ; je le regrette personnellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. J’appelle chacun d’entre vous, mes chers collègues, à éviter les excès, les interruptions bruyantes et, car il y en a eu, les réflexions désobligeantes pour les orateurs. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Christophe Sirugue. Vos rappels à l’ordre doivent aussi s’adresser à la majorité, monsieur le président !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Martine Billard. M. Poisson va boire le calice jusqu’à la lie !

M. le président. Madame Billard, je vous en prie.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ne vous inquiétez pas pour moi, ma chère collègue.

Le sujet, hautement symbolique, occupe notre assemblée depuis presque deux ans – on se souvient en effet de la réponse du secrétaire d’État en charge de la consommation d’alors, M. Luc Chatel, à une question du groupe SRC. Il se situe, comme l’ont rappelé les précédents orateurs, au croisement des questions d’économie, de société, de qualité de vie ou encore de transports.

Il est donc très complexe. C’est pourquoi je regrette, mes chers collègues, que l’on fasse, une fois encore, comme si le débat opposait une méchante droite à une gentille gauche.

M. Jean-Pierre Brard. C’est pourtant le cas ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. La situation actuelle, monsieur Brard, tient en grande partie aux maires de toutes couleurs politiques qui, outrepassant les autorisations légales, ont laissé des commerces ouvrir le dimanche.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est faux ! Ce sont les tribunaux qui ont laissé faire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Troisièmement, la disparité des situations rendent tout à fait incompréhensibles la réglementation et les pratiques.

Je ne suis pas sûr que les arguments qui ont été avancés pour démontrer cette absurdité soient tous d’une grande portée, mais admettons qu’une telle absurdité existe.

Vous avez, ma chère collègue, parlé des enquêtes d’opinion : encore faudrait-il que, vous aussi, vous les lisiez jusqu’au bout.

Mme Martine Billard. Elles sont rares, celles qui sont en votre faveur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Car, sur ce sujet, nos concitoyens cultivent une certaine ambiguïté : ils veulent bénéficier de l’ouverture des commerces et des services le dimanche, mais ne souhaitent pas, à titre personnel, contribuer à leur fonctionnement.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est la quatrième sur le sujet.

M. Jean Glavany. En attendant la cinquième !

M. Jean-Frédéric Poisson. On ne peut que saluer votre constance…

M. Jean MallotCe n’est pas de la constance, c’est de l’entêtement !

M. Jean-Frédéric Poisson. …et votre sens de l’écoute, monsieur le rapporteur : je le dis en souriant, mais sans ironie.

Il est vrai que, entre la majorité et l’opposition, les différences philosophiques sont assez profondes.

M. Jean-Pierre Brard. Encore faudrait-il que vous en ayez, des références philosophiques !

M. Jean-Frédéric Poisson. Votre intervention, madame Billard, suscite plusieurs questions. Vous dites par exemple que l’ouverture du dimanche entraînera des augmentations de prix, des baisses de salaire et de chiffre d’affaires, que l’efficacité de cette mesure n’est pas du tout démontrée. Vous considérez que, pour cette raison, la réglementation devrait empêcher l’ouverture dominicale des commerces, mais vous ne précisez pas dans quelle proportion. On retrouve bien là une philosophie plutôt gauchère – pour parler sobrement – qui prône, en priorité, la réglementation. À l’inverse, nous considérons que le marché finira par avoir raison des augmentations de prix et des diminutions de chiffre d’affaires. En la matière, les études d’impact et les enquêtes prospectives sont extrêmement difficiles à élaborer. Il paraît tout aussi aléatoire d’assurer que cela va créer des emplois, de la richesse, et grossir les chiffres d’affaires, que de prétendre que cela va entraîner une diminution de la richesse nationale. Il est impossible de le déterminer.

M. Régis Juanico. Ce qui est certain, c’est que ça détruit de la richesse humaine !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je souhaite cependant attirer l’attention sur quelques éléments relevés dans l’intervention de Mme Billard. Le premier concerne l’« intérêt des salariés », notion introduite par un amendement dont le président Méhaignerie et moi-même sommes cosignataires et que vous interprétez comme une restriction à la force du principe. Notre volonté était au contraire de donner tout son sens à l’expression « l’intérêt des salariés », qui figure constamment dans la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation à propos des décisions portant sur l’organisation du travail et sur les contrats. Il ne s’agit donc pas de restreindre le champ d’application et la portée du principe.

D’autre part, faut-il se satisfaire d’avoir à régulariser des situations illégales ? Certainement pas. Au regard de l’organisation du travail du Parlement, c’est sans doute l’un des aspects les moins satisfaisants.

M. Régis Juanico. Faute avouée est à demi pardonnée !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais comment faire autrement, sans interdire purement et simplement l’ouverture dominicale des commerces ?

Vous nous reprochez par ailleurs en permanence de tout ignorer du monde salarial, mais vous semblez oublier, ma chère collègue, que de nombreux salariés sont déjà concernés par le travail dominical et que, dans bon nombre de ces entreprises, des accords salariaux satisfaisants ont été passés, des dispositions salariales exemplaires ont été prises. Une grande partie de ces salariés souhaitent pouvoir continuer de travailler le dimanche.

M. Marcel Rogemont. C’est faux !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il semble que la question du volontariat traverse tous les débats à caractère social qui ont lieu dans notre hémicycle. Il est vrai qu’elle est délicate : nous ne méconnaissons pas le lien de subordination qui existe entre le salarié et son employeur, mais nous savons aussi qu’il n’est pas l’alpha et l’oméga de leurs relations. D’ailleurs, la CGT elle-même, syndicat révolutionnaire entre tous et qui a votre faveur, cher Jean-Pierre Brard, signe parfois des accords interprofessionnels où figure un article portant sur le volontariat des salariés : elle ne refuse donc pas le volontar
iat en tant que tel, mais demande qu’on l’organise en prenant en compte la réalité du lien de subordination, qu’on l’aménage de la manière la plus favorable ou la moins déséquilibrée possible. Plusieurs amendements ont été déposés. La commission et le rapporteur Mallié ont accepté que le principe du volontariat soit réaffirmé, avec celui de sa réversibilité. De notre point de vue, cela est parfaitement satisfaisant.

Enfin, votre conclusion, ma chère collègue, jetait sur tout votre discours un éclairage particulier. Vous craignez la généralisation du travail dominical : nous aussi, et nous sommes nombreux, de ce côté de l’hémicycle, à avoir fait connaître notre opposition de principe. Cette généralisation aurait bien, sur les services publics, sur les transports, sur l’énergie, l’impact que vous avez décrit. Mais le texte qui nous est présenté n’aura pas cet effet, car les risques de la banalisation du travail dominical sont contenus et fort réduits.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l’UMP votera ce texte. En conséquence, j’invite la représentation nationale à ne pas adopter la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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