Travail du dimanche, un enjeu de société (La volonté des PME)

Travail dominical : un enjeu de société

La volonté des PME, Janvier 2009 – H de Lestapis

Sur fond de crise économique et financière, la bataille fait rage autour de la question de l’ouverture des commerces le dimanche. Et les négociations ont commencé.

La réforme était contenue dans les promesses présidentielles de Nicolas Sarkozy. En donnant leur voix au candidat, cer­tains espéraient sans doute qu’elle resterait au rang d’une déclaration de campagne. Erreur. La question de l’ouverture des commerces le dimanche est aujourd’hui au cœur des débats à l’Assemblée, comme dans les sphères socioprofessionnelles. Si les vœux présidentiels avaient été exaucés, le dossier aurait dû être bouclé avant Noël… Mais les divisions sont si franches autour de cette question que le processus a pris un retard certain.

Le projet de loi Mallié (du nom du député UMP des Bouches-du-Rhône nommé rapporteur du texte), sans doute présenté un peu rapidement comme une généralisation du travail le dimanche, concerne uniquement les commerces. Au départ, il s’agissait d’autoriser les ouvertures dans les agglomérations de plus d’un million d’habitants, c’est à dire à Paris, Lyon, Marseille et Lille. Après négociation au sein de la majorité, la dernière mouture vise à autoriser leur ouverture à Lille, où le commerce est en proie à une vive concurrence avec la Belgique, dans les zones touristiques et à l’intérieur des grandes zones commer­ciales telles que Plan-de-Campagne (13), qui bénéficient déjà d’autorisations quasi permanentes de la part des autorités préfectorales. Près de 180 dérogations légales seraient actuel­lement accordées par les préfets ! Par ailleurs, il s’agit d’étendre de cinq à huit le nombre de dimanches travaillés que les maires ont la possibilité d’octroyer à leurs ressortissants. Sont concer­nés les commerces alimentaires, les magasins de loisirs et de bricolage ainsi que certains services. Précisons qu’en outre les petits commerces n’employant aucun salarié sont libres d’ouvrir lorsqu’ils le souhaitent.


64% des actifs se disent opposés à l’idée de travailler régulièrement le dimanche

Certains considèrent néanmoins le pro­jet de loi Mallié comme un premier pas vers une généralisation du travail dominical, bien que le gouvernement s’en défende. C’est désormais sous cet angle qu’est traité ce sujet qui revêt alors une dimension sociétale. « // s’agit d’une avancée vers un changement radical de société, explique Nicolas Dupont-Aignant, député de l’Essonne, farouchement opposé au projet. Il risque d’entraîner un dérèglement du rythme de vie, du stress, une fragmen­tation de la vie de famille. Il faudra ouvrir des crèches le dimanche. Les enfants seront brinquebalés. » À ses côtés, Thierry Benoît, député d’Ille-et-Vilaine, abonde dans son sens en ajoutant que le dimanche est culturellement « un jour consacré au repos, aux relations humaines, à la famille, au sport ou à la vie spirituelle », et qu’inciter les gens à consommer ce jour-là creusera un écart entre ceux qui le peuvent et ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. Certains avancent l’argument écologique et vont jusqu’à confronter le texte Mallié au Grenelle de l’environnement. Alors que le dimanche peut être un jour de promenade, où l’on utilise peu sa voiture, les Français l’emprunteront pour se rendre dans des lieux commerciaux. Cela géné­rera un surcroît d’activité et de pollution. D’un point de vue économique et organisationnel, le travail dominical entraînerait aussi des confusions. «Il y a deux millions d’associations en France. Ne privons pas les gens, y compris les commerçants qui sont des citoyens comme tout le monde, de cette vie associative », insiste Nicolas Dupont-Aignant, tout en faisant remarquer que le dimanche est déjà réservé à certaines activités. Les cinémas, les parcs d’attraction ou encore les musées ris­queraient d’y perdre des plumes…

De concert, les syndicats salariés en appellent à une suppres­sion pure et simple du projet. « Il faut maintenir l’homme au centre de l’activité économique, et ne pas le voir comme un simple consommateur », insiste Eric Scherrer, en charge du secteur commerce à la CFTC. « Quant au volontariat… on sait ce qu’il vaut », appuie Françoise Nicoletta. La secrétaire fédérale du commerce alimentaire de Force ouvrière met par ailleurs l’accent sur le problème des majorations financières que prévoit la loi, dont bénéficieraient les salariés travaillant le dimanche en zone touristique.

Un travers également dénoncé par la CGPME: « L’application de ce texte serait un facteur d’inégalités salariales entre les métiers déjà autorisés à ouvrir le dimanche matin et ceux désormais autorisés à le faire. Pour les uns, le travail dominical continuerait sans compensation salariale; pour les autres il déboucherait sur un doublement de salaire, y déclare-t-on. Une telle situation deviendrait rapidement intenable pour les commerçants de proximité inévitablement confrontés à une revendication qu’ils seraient dans l’incapacité d’assumer. » À la fédération nationale des détaillants de chaussure, on s’interroge très concrètement sur la façon dont un chef d’entreprise sera à même de gérer, sans aucune discrimination, ses salariés qui acceptent de travailler le dimanche et ceux qui ne le souhaitent pas. Ces derniers ne risquent-ils pas d’être perçus d’un mauvais œil ? « Si ouvrir le dimanche et la nuit était rentable, on le saurait… On n’aurait pas attendu les politiques pour le faire, glisse Charles Melcer, président de la fédération nationale de l’habillement. Avec ce que va être le pouvoir d’achat en 2009, mettre ce sujet sur la table, c’est presque de la provocation! »

Du côté des citoyens, on peut là aussi s’interroger sur leurs souhaits réels. Selon un sondage OpinionWay-Le Figaro-LCI, 66 % des personnes interrogées seraient favorables à l’ouver ture. Mais, selon le Crédoc, (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), non seulement ce chiffre tombe à 52 %, mais il est même à relativiser avec le fait que trois Français sur quatre considèrent que « le temps d’ouverture des commerces est déjà suffisant ». En outre, 64 % des actifs se disent opposés à l’idée de travailler régulièrement le dimanche. Dans ces conditions, qui donc remplirait les magasins ? Les étudiants, peut-être, qui déclarent à 51 % y être disposés, ou les personnes à la recherche d’un premier emploi, qui y sont favorables à 61 %. Le Crédoc établit par ailleurs une différence entre les « pour », largement représentés dans une population de l’agglomération parisienne, jeune et inactive, et les « contre », que l’on retrouverait plutôt parmi une population active de 45-64 ans, habitant souvent dans des communes rurales. Faut-il alors comprendre que, pour être cohérent, le travail le dimanche se destinerait idéalement aux seuls étudiants parisiens en quête d’un premier emploi ?

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