Hervé Kempf (le Monde) : les choix décalés de Xavier Bertrand.

Le dimanche de M. Bertrand, par Hervé Kempf

Le Monde, Hervé Kempf, 31/01/09

Xavier Bertrand est un homme important, responsable, décideur. Pas le genre de personne à perdre son temps. Ex-ministre du travail, le voilà responsable de l’UMP.

En décembre 2008, à l’Assemblée nationale, il défendait le travail du dimanche : « Les amendements que défendra le groupe socialiste tendront tout simplement à invoquer la sauvegarde du droit au bonheur des tournois de belote, des tournois de fléchettes, des concours de majorettes ou de la pratique de la musculation ! » Et de continuer : « Les amendements que vous défendrez viseront à soumettre les dérogations à l’avis du club d’échecs local, du club de natation ou d’arts martiaux ! »

Ah, Monsieur Bertrand ! Dans votre mépris pour les joueurs de belote et les majorettes, vous oubliez un nombre considérable d’activistes du dimanche qui revendiquent, comme vous le dites, le droit au bonheur : tous ceux qui font l’amour le matin, qui se prélassent au lit, qui lisent le journal en pantoufles, qui vont à la messe, qui prennent longuement un bain, qui courent dans les bois, qui cuvent la fête de la veille, qui causent avec leurs enfants, qui jouent du trombone, qui ne font rien, qui rêvent, qui vont distribuer des tracts sur le marché, qui…

Vous avez raison, où irions-nous si on prenait garde au droit au bonheur de tous ces gens-là ? Si, en démocratie, on prêtait attention aux « gens ordinaires », selon la formule de George Orwell ? Les gens ordinaires ne rêvent pas d’être président de la République.

Imaginons un dimanche idéal selon M. Bertrand. Lever 8 heures. Café, chemise, rasage, baiser aux enfants, on se dépêche, il faut aller à la zone commerciale dès l’ouverture pour bénéficier de la super-promotion sur les nouveaux dézingueurs à roulettes qui font fureur au bureau.

On s’enfourne dans le break avec les gamins, on galope dans les allées de l’hypermarché , on achète. Joie. Midi. La fête continue : on va au fast-food de la zone, avant de foncer chez Eurodisney.

Les mots manquent pour dire l’extase qui saisit alors la famille. Retour dans les embouteillages. Pas grave : derrière, les gamins jouent sur les jeux vidéo achetés le matin (il y avait une super-promo).

Le soir arrive. Monsieur étudie un dossier, couche les enfants, regarde la télé, pour se détendre. Demain c’est lundi : on n’aura pas le temps d’aller au magasin.

Monsieur Bertrand, si on travaille toujours plus, on fabriquera et on vendra toujours plus, et on polluera toujours plus. Cela s’appelle la crise écologique.

Depuis vingt ans, en France, la productivité du travail a augmenté en moyenne de 2 % par an. Cela signifie qu’avec la même quantité de travail, on produit toujours plus.

Donc, si l’on veut limiter notre impact écologique, on doit travailler moins. Travailler moins pour gagner autant, et faire autre chose de son temps : parler, échanger, discuter, rêver, donner. Non seulement, il ne faut pas travailler le dimanche, mais il faut partager le travail. Partager ? Ah oui, un gros mot.

kempf@lemonde.fr

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