Thibault Mortier (Agoravox) : une loi sur mesure pour la grande distribution

Nicolas Sarkozy se lance dans le prêt à porter

Agoravox, 16/12/08, Yahoo News, 16/12/08

Il fallait s’y attendre. Comme nombre de célébrités, Nicolas Sarkozy ouvre sa propre ligne de prêt à porter. De luxe. Il s’agit de la législation future de l’ouverture du dimanche.

L’année 2008 a été un cauchemar pour les tenants de l’ouverture des galeries marchandes le septième jour : l’un après l’autre, leurs arguments se sont tous effondrés. Jusqu’aux journalistes du JDD, qui ont dit que les sondages que leur journal avait publié étaient bidons. Jusqu’au très docte CREDOC, dont les idées sont tout sauf révolutionnaires, qui déclarait que l’ouverture des centres commerciaux le dimanche ne créerait pas de croissance, et détruirait probablement des emplois. On est jamais trahi que par ses amis.

Après quatre moutures, le projet Mallié (dont l’équilibre parfait avait pourtant été vanté à chaque réécriture par ce pauvre député des Bouches du Rhone grimé pour cette fois en porteur d’eau), vient d’être ré-écrit par le Président. Re-brouillonné, plutôt.

La maligne intention de départ voulait apporter une réponse législative au problème de Plan de Campagne par la légalisation en catimini des autorisations illégales accordées par les Préfets de la République. Puis, le projet s’est mué en un énorme cafouillage, pour aboutir, par des moutures successives (toutes « textes techniques » et « parfaitement équilibrées »), à une version quatre qui voulait « seulement » ouvrir le dimanche tous les commerces de détail et services, dans quatre improbables « zones d’attractivité commerciale exceptionnelle ». On en rigole encore dans les Sous-Préfectures. Avec que des « volontaires payés doubles ». On en rigole encore dans toutes les DRH.

Il a fallu toute la créativité de M Sarkozy pour arriver à cette sixième version (la cinquième étant la proposition Copé du 15/12 matin, modifiée le soir même en version cinq bis).

Que propose le Président Sarkozy ? Du sur-mesure !

Les commerces de Plan de Campagne bénéficient de dérogations illégales accordées par les Préfets ? On invente la notion d’ « usage constaté », sur-mesure. Pourquoi n’avoir pas choisi « délit habituel », ça faisait plus rebelle, non ?

Les enseignes de la grande distribution demandent « seulement » dix dimanches de dérogation par an au lieu de 5 ? Nicolas Sarkozy, après Copé qui en proposait 15, leur en donne… dix ! Bien joué !

Les Belges – mais non, Johnny, toi c’est la Suisse – énervent le Président des Français avec leur essence moins chère ? Nicolas Sarkozy invente l’ouverture en « zone frontalière ». En attendant peut-être qu’un député ardennais invente l’ouverture en « zone frontalière de zone frontalière ». 

Mais le plus joli coup est celui joué par la grande distribution. Décryptage.

Pour la grande distrib’, le problème est simple : il s’agit, à moindre coût, d’augmenter ses parts de marché. Cette logique, précisons-le tout de suite, est dans l’ordre des choses et n’a rien de répréhensible.

Le travail du dimanche représente pour cela une excellente opportunité, les structures des grandes enseignes leur permettant de fonctionner 7/7, ce que ne peuvent pas les établissements plus petits contre qui elles sont aussi en concurrence.

Mais ce fonctionnement dominical a un coût : si en général, les salariés de la grande distribution perçoivent des salaires très bas, les primes pour travail le dimanche sont en moyenne de 25 à 50%. C’est ainsi que certains experts ont pu chiffrer l’effet inflationniste de l’ouverture dominicale entre 3 et 4%. (1)

Mais la libéralisation complète de l’ouverture des commerces et services le dimanche poserait un problème aux grandes surfaces : elle les obligerait, pour des raisons de concurrence, être ouvertes TOUS les dimanches. Or les habitudes actuelles de consommation font que – pour le moment – la fréquentation trop faible du dimanche ne génèrerait pas suffisamment de marge pour que le retour sur coût soit véritablement intéressant.

D’où la demande de la grande distribution : n’ouvrir qu’un nombre limité de dimanches. C’est ce qu’expliquait Jérôme Bédier le 23 novembre (2). Le président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (3) demandait « En outre, nous souhaitons que le nombre d’autorisations annuelles d’ouverture passe de cinq à dix dimanches et que les enseignes aient la possibilité de choisir les dates qui les intéressent ».

Cela permettra une optimisation. L’Etat posant une règle réduisant la concurrence sauvage entre les crocodiles, ceux-ci pourront grignoter aillleurs et à bon compte, les parts de marché qui les intéressent, spécialement aux périodes de consommation importante comme celles de fin d’année. En attendant que l’évolution des modes de consommation ne les conduisent à demander de nouveaux dimanches. Jean-François Copé lui même, a prévenu : « Lorsque cette loi sera votée, on pourra travailler plus aisément le dimanche. Mais ce n’est qu’une étape, il faudra continuer. »(4)

Grands perdants, les PME et les commerces indépendants. Mais aussi les salariés, soumis aux rythmes industriels et aux contrats précaires de la grande distribution. Mais aussi les consommateurs, qui vont y perdre la diversité dans l’offre, la proximité et la qualité du service. Vous êtes contribuable ? Vous êtes aussi concerné, à double titre. Tout d’abord parce que les contribuables subventionnent largement les grandes entreprises : grossissant encore, vous les paierez davantage (5). Ensuite, parce que les emplois créés dans la grande distribution ne compenseront pas les pertes d’emploi dans le commerce traditionnel, et qu’il faudra bien payer les chômeurs créés par la redistribution des cartes en faveur de la grande distribution, dont quelques uns des patrons hantent régulièrement les allées du pouvoir. On en retrouvera les noms, plus tard, dans les listes des généreux bienfaiteurs de tel ou tel parti, de tel ou tel député, car, même en politique, les cadeaux sont rarement gratuits…

Bienvenue dans le monde du prêt-à-porter. Vous aviez cru voter UMP ? Vous aviez voté ConfoKea. La prochaine fois, ne vous trompez pas, votez CarrChan.

Thibault Mortier

(Membre du CAD, www.travail-dimanche.com)

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Le site du CAD www.travail-dimanche.com a lancé une pétition sur ce sujet : déjà 35.000 signatures. N’hésitez pas, joignez-y la votre.
 1) Le prix du dimanche, Philipe Askenazy, Le Monde 20/11/08
http://www.lemonde.fr/web/article/reactions/0,1-0@2-3232,36-1120070,0.html2) Bédier : « Nous ne demandons pas l’ouverture généralisée des commerces le dimanche » La Croix 23/11/08 http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2356870&rubId=40763) La FCD représente les enseignes à prédominance alimentaire (Auchan, Carrefour, Casino, Cora, Système U…) et des enseignes spécialisées (Darty, Décathlon…)
4) Copé : le compromis du dimanche n’est qu’une étape – L’express 16/12/08
http://www.lepoint.fr/actualites/cope-le-compromis-sur-le-travail-le-dimanche-n-est-qu-une-etape/917/0/300155
5) en France, 6000 dispositifs divers – les 180 dérogations qui offusquaient tant M. Mallié font vraiment minable à côté ! – permettent d’attribuer aux entreprises des aides publiques à hauteur de 65 milliards, soit un montant supérieur au déficit annuel de l’Etat, bénéficiant essentiellement aux grandes entreprises.
 

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