Travail le dimanche, le revers de la médaille

Ouest-France, lundi 10 novembre 2008 Jeanne Emmanuelle Hutin

« Le travail, aujourd’hui, n’a pas seulement pour but de nous faire gagner notre pain ; il crée […] de l’énergie sociale immédiatement au service de l’entière humanité », écrivait le célèbre théologien Marie Dominique Chenu, en 1952. À ses yeux, le travail développe la conscience de participer à une oeuvre commune.

Il constatait aussi que, « dans la mesure où l’homme s’aliénait dans le travail, il perdait Dieu en même temps que lui-même ». Il se référait au début de l’ère industrielle, quand le développement du machinisme conduisit à de terribles excès : travail des enfants dans les mines… ! D’où, l’élaboration des lois sociales modernes, protégeant les femmes et les enfants, instaurant le repos dominical et les vacances.

Mais il faut bien reconnaître que la recherche du repos, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, a conduit à des excès qui fragilisent et freinent notre développement économique. Comment, par exemple, certaines professions peuvent-elles survivre en temps de crise, quand leurs membres, tous repos confondus, ne travaillent sur l’ensemble d’une année, qu’un jour sur deux ?

Pour faire face à ce temps de travail systématiquement réduit et au temps libre qu’il fallait « occuper », notre société a cru qu’il suffirait de consommer davantage pour continuer à se développer. Les investissements d’avenir, de même que l’efficacité de la recherche, ont été trop souvent mis en sourdine au profit des investissements dans les loisirs et dans les biens de consommation immédiate.

Contradictions

Aujourd’hui, on essaie de remédier à ces maux. Des lois tendent à allonger la durée du travail. Une autre se profile, dans le même sens, celle qui ouvrirait largement les portes au travail le dimanche. Est-ce la solution ? Il est permis d’en douter.

Il existe déjà en France de nombreuses exceptions qu’il serait possible d’actualiser sans, pour autant, remettre en cause le principe du repos dominical. De plus, une étude, réalisée dans des pays européens, où l’on travaille déjà le dimanche, démontre que les probabilités de maladie et d’absentéisme sont plus grandes dans les entreprises où les salariés travaillent les samedi et dimanche que dans les autres (1).

Il n’est pas sûr que le bénéfice économique espéré soit au rendez-vous. Certains petits commerces risquent de voir leurs activités asphyxiées par les plus grands (2). À cela s’ajoutent une grave menace sur le repos familial… et des dépenses supplémentaires pour les parents qui devront faire garder leurs enfants ce jour-là aussi !

On nage en pleines contradictions : vouloir soutenir les emplois de proximité et mettre en danger les petits commerces ; vouloir augmenter le pouvoir d’achat des ménages et leur causer des dépenses supplémentaires ; vouloir affermir le lien social et rendre de plus en plus difficile le rassemblement familial : pourtant, premier lien social !

Les partisans du travail le dimanche objecteront qu’il se réaliserait sur la base du volontariat et que chacun pourra choisir à sa convenance. Soit, mais n’est-il pas évident que, à l’exception des plus jeunes, ce sont les personnes les plus en difficulté qui travailleront le dimanche ?

Une loi en ce sens, au lieu de protéger les plus fragiles, risquerait, au contraire, d’instaurer une inégalité entre les foyers : ceux qui gagnent suffisamment bien leur vie pour refuser de travailler le dimanche et ceux qui n’auront pas d’autre choix que de l’accepter !

(1) La Croix, 5 novembre 2008.

(2) Jacques Le Goff, « Dimanche : ralentir ! », Ouest France, 30 octobre 2008.

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