Travail dominical : la patate chaude va bientôt passer à la casserole

A la Réunion comme en métropole, le travail du dimanche suscite débats et polémiques.

Un point important est relevé par cet article : c’est le laxisme VOLONTAIRE de l’Etat qui est la cause de l’ouverture illégale des magasins.

Clicanoo, le journal de la Réunion, 10/11/08

Thème de débat récurrent, le travail dominical est aujourd’hui présenté par le gouvernement comme une arme pour soutenir l’emploi face à la crise. Pour la première fois, une proposition de loi doit être étudiée par l’Assemblée nationale avant la fin de l’année afin d’autoriser le travail du dimanche. Localement, la question glisse vite vers celle de la concurrence entre la grande distribution et les petits commerces. La CFDT est entrée en chasse contre certains abus constatés mais la direction du Travail espère bien pouvoir se débarrasser de cette « patate chaude » grâce aux évolutions législatives qui se dessinent au plan national.

Le sujet revient régulièrement sur le tapis depuis de longues années. Mais ces dernières semaines, il ne se passe pas un week-end ou presque sans qu’un membre du gouvernement ne revienne à la charge sur le travail du dimanche. « Le commerce du dimanche, c’est des emplois et de la croissance ! », ne cesse de marteler le secrétaire d’État à la consommation, Luc Chatel, affirmant que partout où les magasins ouvrent le septième jour de la semaine, l’activité a été favorisée. Et de taxer d’ »absurdité » la législation en vigueur. Jusqu’ici, le travail dominical faisait office de promesse présidentielle sur le mode du « travailler plus pour gagner plus » en réponse à la baisse du pouvoir d’achat des Français. Mais aujourd’hui, argument de poids, le gouvernement le présente comme une arme pour soutenir l’emploi face à la crise. Pour étayer sa thèse, il a saisi au vol en octobre un sondage Ifop selon lequel 67 % des Français accepteraient de travailler le dimanche si leur employeur le leur proposait, à condition que cela soit mieux payé que le reste de la semaine (contre 51 % de réponse positive à la même question en octobre 2007). En métropole, de nombreuses enseignes du commerce en particulier ouvrent le dimanche sans autorisation, ce qui a entraîné ces dernières années de multiples conflits avec les organisations syndicales. Pour adapter la loi à cette réalité, le gouvernement veut reprendre les termes du projet de loi du député Richard Maillet (UMP, Bouches-du-Rhône) qui préconise de faciliter l’ouverture dominicale des commerces sur la base du volontariat, à condition que le travail soit payé double. Nicolas Sarkozy a demandé mi-octobre que les parlementaires se saisissent « maintenant » et « sans tabou » de cette proposition. Elle doit être débattue avant la fin de l’année au Parlement « si le calendrier le permet ». Elle promet des débats animés, tant elle partage déjà les rangs mêmes de l’UMP. Jusqu’ici, le travail dominical est interdit par une loi de 1906 (voir encadré). De nombreuses dérogations concernent des secteurs où la fermeture se révélerait préjudiciable au public ou au fonctionnement normal (ambulanciers, hôteliers, industriels traitant des matières périssables, etc). Les commerces peuvent également ouvrir cinq dimanches par an au moment des fêtes.

RÈGLES LOCALES ET NATIONALES INCOHÉRENTES

A cette réglementation nationale s’ajoutent à la Réunion deux arrêtés préfectoraux du 19 octobre 1966. Ceux-ci régissent l’ouverture des commerces de détail alimentaire et de produits non alimentaires. Ils prévoient notamment que ces derniers doivent rester fermés au public le dimanche toute la journée à Saint-Denis et du dimanche 12 h au lundi 12 h dans toutes les autres communes exceptées Salazie, Cilaos et le Tampon. Malgré les évolutions économiques et sociales intervenues au cours des quarante dernières années, les règles locales n’ont pas changé. À tel point qu’elles sont dorénavant en contradiction et donc en parties rendues caduques par des dispositions du Code du travail plus récentes. Un flou juridique qui tend à favoriser les transgressions. La CFDT en a d’ailleurs fait son cheval de bataille. Après qu’une table ronde organisée par la direction du Travail avec les syndicats d’employeurs s’est terminée par une fin de non-recevoir, elle est passée à l’offensive. Depuis plusieurs semaines, la CFDT organise une traque aux hors-la-loi qui donne du fil à retordre à l’inspection du Travail. Elle s’intéresse particulièrement aux galeries commerciales des Jumbo Score où elle a convié des huissiers de justice à effectuer des constats. Des salariés d’entreprises de télécommunication par exemple ont été pris en « flagrant délit » de travail dominical alors que leur convention collective l’interdit. Mais l’affaire est restée sans suite. « La direction du Travail met sur le compte des évolutions législatives probables au plan national son refus d’intervenir et de verbaliser », affirme Christine Nicol, secrétaire générale adjointe de la CFDT. L’administration confirme.

« LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES EN JEU SONT IMPORTANTS »

« Les contradictions sont extrêmement difficiles à gérer, répond Gilbert David pour la direction départementale du Travail. Quand les grandes surfaces louent des boxes à des commerçants indépendants dans des galeries commerciales, elles leur imposent dans le cahier des charges de travailler le dimanche. Du coup, certains ouvrent alors qu’ils devraient être fermés ou alors que leur personnel n’est pas autorisé à travailler le dimanche. Si nous ne partons pas en guerre là-dessus, poursuit-il, c’est parce que les contraventions dressées risqueraient d’être classées sans suite par le parquet. Il ne faut pas se voiler la face, les intérêts économiques en jeu sont importants et le débat dépasse la simple application du droit du Travail. Et puis si l’on voulait vraiment s’attaquer au problème, il faudrait que les fonctionnaires de l’inspection travaillent tous les dimanches et ça, c’est un autre problème ! » Ne pouvant toutefois se satisfaire de cette situation folklorique, Gilbert David admet la nécessité de mettre en cohérence les textes et les faits. Mais il croise les doigts pour que le national s’en charge au plus vite, ce qui le débarrasserait d’un énorme boulet. « Il faut une harmonisation des textes qui permettent au moins que les jours d’ouverture au public d’un commerce correspondent aux jours de travail autorisés pour ses salariés. Localement, nous sommes soumis aux pressions du lobby patronal, des associations de consommateurs, des syndicats de salariés et du ministère du Travail. Or, on ne voit pas trop l’intérêt de faire évoluer les règles dans un contexte aussi difficile alors que dans les prochains mois, une nouvelle législation nationale a toutes les chances de faire exploser en vol la négociation. » Même s’ils restent peu nombreux à s’y être engouffrés, la brèche de la transgression est donc ouverte. Finalement, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, de nouvelles lois plus libérales sur le travail dominical devraient justement permettre de remettre un peu d’ordre dans certains secteurs le septième jour de la semaine à la Réunion.

Dossier réalisé par Séverine Dargent

Le dimanche, repos laïc depuis un siècle

La loi sur le repos laïc a été promulguée le 13 juillet 1906. Elle accorde aux salariés de l’industrie et du commerce un repos de 24 heures après 6 jours de travail, fixé au dimanche. Dès lors, le congé dominical, même s’il permet d’aller à la messe, n’a légalement plus rien de religieux. Une loi pour la « sanctification du dimanche » avait bien été promulguée en 1814 mais elle a définitivement été abolie en 1880. En 1906, on réinvente donc le dimanche dans une perspective laïque. La loi repose sur deux valeurs nouvelles inventées au XIXe siècle, que sont le repos et la famille. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les ouvriers qui ont porté la loi de 1906. À cette époque, ils avaient déjà bien souvent obtenu le congé hebdomadaire dans les usines et les ateliers. En réalité, c’est le mouvement des employés du commerce, né dans les années 1890 avec les grands magasins métropolitains, qui s’est mobilisé. Et c’est sous cette pression de la rue que le Sénat a voté en 1906 la première victoire des employés.

50/50 chez les métropolitains

Dans un sondage Le parisien / Aujourd’hui publié le 19 octobre, 50 % des Français se déclarent « prêts à travailler le dimanche », à la condition d’être payés double quand 49 % déclarent qu’ils refuseraient de le faire. 31 % des sondés sont « tout à fait prêts » à travailler ce jour d’ordinaire chômé contre 48 % qui ne le sont « pas du tout ». D’autres demeurent partagés, ainsi les 7 % qui sont « plutôt contre » et le pour cent qui ne se prononce pas. En ce qui concerne l’ouverture des magasins le dimanche, 52 % des sondés y sont favorables (dont 21 % « tout à fait  » et 31 % « plutôt favorables »), tandis que 45 % s’y opposent (dont 33 % « fermement » et 12 % qui sont « plutôt contre »). 3 % des sondés ne se prononcent pas.

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