Non mais oh, touche à… ton dimanche !

Décalé et ironique, ce gauchiste de Koz n’a pas fini de nous faire réfléchir intelligemment. Un article excellent qui nous avait échappé (Merci, Philippe V.).

KozToujours, 15/10/08

Sarko, t’es foutu, koztoujours est dans la rue ! “Monsieur Meubles ne meublera pas mon-dimanche !” “Mon dimanche n’est pas à vendre !” “Prends ma vie, pas mon dimanche !”Le dimanche, je fais l’amour à ma femme !” “Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi… les champignons, c’est pas con !”1 “Le-Clerc, en deux mots !”  “Ma vie n’est pas un centre commercial !” “Dimanche chez But, c’est pas mon but !”  “Free of economy !” “Faites l’amour, pas les courses !” “Touche à tes fesses ton dimanche !”

Chafouin, j’ai les banderoles, prépare les merguez, on y va ! Tous ensemble, tous ensemble, tous, tous ! On reprend les slogans qui précèdent, et on s’entraîne. On scande, on scande. En rythme. Si, si, vas-y, lève le poing, on s’expliquera plus tard.

Le prétendument servile Askolovitch avait annoncé un discours sur l’emploi pour ce mardi, dans lequel le Président se serait “engagé sur le travail dominical”. Il se sera trompé de semaine. Cela nous laisse le temps de travailler la mobilisation.

Car, enfin, procédons par ordre, d’où nous vient cette idée ? Droit du cœur des français, ou en live du centre commercial ?

Y-a-t-il une demande des français ? Le JDD titrait : “les français sont prêts à travailler le dimanche !”. Charmante, mais étonnante disposition. Gatien avait déjà souligné ici la parfaite réversibilité du sondage, le “oui, de temps en temps” pouvant aussi parfaitement s’interpréter en un “non, pas toujours”. On peut aussi souligner le caractère évasif du “de temps en temps”. Mais il semblerait encore que le JDD, et Xavier Bertrand, n’aient pas lu tout le sondage qu’ils ont a commandé, comme le souligne Libération. Car ce dernier se prévaut d’une évolution favorable des mentalités qui n’existe pas. Seuls 57% des français sont en effet favorables à l’ouverture des magasins le dimanche (voir page 14).  C’est six points de moins qu’en décembre 2007. Bref, même quand il s’agit d’envoyer les autres au turbin, il n’y a pas véritablement de demande de la part des français.

En réalité, quelle serait la demande des français ? Travailler le dimanche ? “Oh oui, oh oui, oh oui, le dimanche, le dimanche, le dimanche !” ? Je comprends que l’on ne veuille pas doucher cette ardeur laborieuse mais s’ils sont si enthousiastes, pourquoi ne pas commencer par travailler le samedi ?

Si ce n’est ça, c’est donc la fameuse question, celle du pouvoir d’achat. Mais, comme le disait mon délégué CGT du dimanche, on peut s’interroger sur le fait de se poser une telle question. Quel aveu d’échec collectif si, dans l’un des pays les plus riches du monde, il n’y ait d’autre moyen d’accroître le pouvoir d’achat qu’en travaillant un jour de plus ! Ah oui, oui, oui, je vous vois venir. Mais non, non, non, ce n’est pas tout le programme du Nicolas que je débine, car il y a, au moins, de la marge en semaine ! Mais si l’on y revient, quelle régression cela serait si, après x siècles à respecter la pause dominicale, nous en arrivions à la conclusion qu’il ne nous restait plus qu’une solution : bosser le dimanche ! Ce serait un manque certain d’imagination. Bref, ce serait à désespérer du progrès humain.

Et puis, quitte à parler de demande des français, au risque de dire une énormité, j’évoquerais peut-être davantage la demande de sens, improprement comblée par le pouvoir d’achat, pauvre dérivatif.

Cela bénéficiera-t-il au commerce ? Eh oui, parce que, bon, chaque fois que le sujet revient sur le tapis, est-ce qu’on nous montre, au JT, un pauvre hère qui a du mal à joindre les deux bouts et qui, fixant la caméra avec la dignité qui lui reste malgré tout, dans l’adversité, nous prend à témoins : “yes, we can travailler le dimanche !” ? Non, mon bon monsieur, non ma brave dame, on nous montre les grandes surfaces, les centres commerciaux, ces espaces bondés sous la lumière des néons et dans le crachat2 de la musique préformatée.

Car elle vient de là, la demande. Des grandes surfaces qui ouvrent dans l’illégalité et se désolent qu’on ne change pas la loi pour elles. Ce n’est au demeurant pas une découverte. Au passage, si elles veulent nous vendre davantage, est-on vraiment certains que ce soit bon pour notre pouvoir d’achat ? Cette fois, c’est Aristote qui nous l’a démontré : le bénéfice sera illusoire.

Et puis, tant que j’y suis, un argument de Xavier Bertrand m’a laissé derechef pantois. Aux inquiétudes des petits commerces de proximité, il répond qu’ils préfèrent que les français “fassent leurs courses le dimanche plutôt que d’aller sur Internet”. Sans même prendre la peine d’une étude de marché, on peut lui demander : pourquoi, Xavier, tu as prévu de supprimer Internet ? Parce qu’en l’occurrence, la concurrence d’Internet, elle existe déjà. L’ouverture dominicale des grandes surfaces, ce sera juste une concurrence de plus. Et puisqu’il est aussi question de convivialité, dans ce débat, pense-t-on vraiment qu’il soit opportun de dévitaliser les centre villes ?

Oui mais, la liberté ? Ah purée, nous y voilà. La liberté… Il faudrait me lire tout de même, quand j’écris. C’est vrai quoi, à force, j’ai l’impression de pisser dans un violon. La liberté, une ambition de feuille morte ! C’est
vrai elle est libre, la feuille morte, entre le moment où elle tombe de l’arbre et celui où elle pourrit au sol. Et puis, hein, la liberté, et après ? Oh, bien sûr, oui, le combat pour la liberté peut être grandiose. Mais nous ne sommes pas en train de parler de lutter contre le totalitarisme, nous parlons d’aller chez Ikea le dimanche ! Laissez-moi penser que nous ne nous situons pas précisément au même niveau.

Et voilà Lomig qui me traite de conservateur, d’immobiliste. Moi. Ouais : moi. Attention, hein. Faudrait voir, en revanche, à ce que les libéraux ne jouent pas simplement  le rôle des idiots utiles de l’opinion majoritaire. Conservatisme, Immobilisme ? Comme la liberté, le mouvement n’est pas un critère !

Par moments, le libéralisme de certains me fait penser davantage à un repackaging présomptueux de “c’est mon choix” et autres “chacun fait c’qui veut avec son…” qu’à une théorie politico-économique.

Au demeurant, je souris de voir Lomig écrire sous un titre “la réalité” que “personne n’est contraint”. C’est là la théorie. La réalité est celle d’une amicale insistance et de la pression économique. A mon tour d’évoquer mon expérience : en tant que collaborateur libéral, la suppression du lundi de Pentecôte ne devait pas me concerner. Elle me concernait d’autant moins que les honoraires encaissés (par mon boss) n’auraient aucunement servi à financer la dépendance. Mais notre boss nous a fait valoir – sur ma demande – que les entreprises travaillant, elles s’attendraient à ce que l’on travaille aussi. Je pouvais, certes, quitter mon job. Mais pourquoi faudrait-il prendre une telle décision, dans un contexte économique incertain, face à une demande à la légitimité douteuse ? Au nom de la liberté ?

Limiter la “contrainte” aux lois et aux règlements c’est se condamner à l’aveuglement.

Et la liberté, hum, on la laisse aux crèches ? Parce que le débat dépasse déjà la seule ouverture des commerces le dimanche…

Il y a enfin deux épouvantails faciles que je voudrais déplanter.

Certains poussent des cris d’orfraie quant au paternalisme de ceux qui voudraient que l’on ne précipite pas les familles dans les couloirs néontisés des centres commerciaux. Alors, à “paternalisme”, je réponds “indifférence” et “mépris de l’autre”. Indifférence, parce que derrière le respect du type qui passe son dimanche au centre commercial, y’a du rien en foutisme de sa life. Mépris, parce qu’en fin de compte, ceux qui le disent ne sont pas ceux qui passent effectivement leur dimanche à Val d’Europe ou à Créteil Soleil. Mais bon, c’est suffisamment bon pour eux, les autres…

D’autres voient dans l’opposition au travail du dimanche l’expression d’un rapport typiquement français au travail et au patronat. Et là, je dois citer René, parce que ça en vaut la peine :

“Parmi les arguments non explicités, conscients ou non, avoués ou non, il y a l’idée selon laquelle les employeurs sont des monstres buveurs de sueur et de sang, qui ne pensent qu’à leurs profits, et qui sont prêts à réduire en esclavage la “classe ouvrière” comme on disait jadis.”

Eh, les mecs, youhou, c’est moi : Koz, de koztoujours !

Allons donc, gauchiste, moi ?

Viens, Chafouin, laisse-les dire.

Nos vies valent plus que leurs profits.

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