Sondage bidonné : analyse du Post

Ça vous dit de bosser le dimanche ?

Le post, le 13/10/2008, Pierre Maura – Un article du blog Comprendre

Le Journal Du Dimanche du 12 octobre consacre une pleine page à un sondage qu’il a commandé à l’institut IFOP à propos du travail dominical, sous un titre ravageur, « Les Français veulent travailler le dimanche! ». Vous aurez remarqué la ponctuation forte. Qu’en est il vraiment ? N’est on pas confronté à une surinterprétation des résultats du sondage ?

On pourrait même se demander si l’article n’aurait pas du être signé par le ministre du travail lui-même tant l’agenda médiatique correspond au poil près à l’agenda politique. En effet, dans la matinée du 12 octobre, Xavier Bertrand annonce sur France 2 la remise sur la table du dossier « Travailler plus le dimanche ». Et Nicolas Sarkozy en personne devrait en faire l’annonce demain lors d’un discours consacré à l’emploi. L’article fait grand bruit et l’Agence France Presse publie une dépêche qui reprend le sondage publié dans le JDD. Cette fois ça y est, les Français sont prêts, ils sont « 67% à accepter de travailler le dimanche, si leur employeur le leur propose ». 67% des Français, donc plus que les seuls actifs…

Si on regarde de plus près le sondage, on s’aperçoit que ce ne sont pas 67% des Français qui ont dit oui mais 67% de l’ensemble des actifs. Or on compte 27,8 millions d’actifs en France. 67% de 27,8 millions, cela représente 18,6 millions. Rapporté à la population totale, cela représente 29,6% des Français. Un peu short pour titrer « Les Français veulent travailler le dimanche ».

La question ?
La question posée au panel était la suivante « Travailler le dimanche est payé davantage qu’en semaine. Si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous? ». On aurait pu la faire sur un autre mode : « Travailler le dimanche vous condamne à rater tous les matchs de foot de votre petit dernier, les réunions de famille, et les week-ends plage quand les beaux jours reviennent. Si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous? ». En ces temps de crise du pouvoir d’achat, il est évident que l’appât du gain est considérable.

Les réponses.
Forcément directives. Trois modalités possibles : « Oui, toujours » 17% ; « Oui de temps en temps » 50% ; « Non, jamais » 33%. Les journalistes ont fait le choix de regrouper le 17 et le 50 pour dégager leur majorité de Français favorables au travail dominical et interpréter cela comme un changement de mentalité qui donne le feu vert aux réformes gouvernementales. Je pense qu’il aurait été plus honnête d’affirmer que les actifs sont 83% à refuser la généralisation du travail le dimanche. Soyons clairs: j’ai acheté le JDD un dimanche matin, c’est donc que des magasins sont déjà ouverts et donc que certains personnels travaillent déjà le dimanche, de temps en temps. On aurait tout aussi bien pu interpréter les réponses des personnes interrogées comme un plébiscite pour le statu quo, avec une minorité d’extrémiste (17%) à vouloir à tout prix travailler le dimanche.

Un point supplémentaire : bien sûr et comme d’habitude il n’est pas fait mention des non réponses.

La journaliste Marie Nicot précise qu’en marge du sondage pour ou contre travailler le dimanche était posée la question pour ou contre l’ouverture des magasins le dimanche. La question posée était « Etes vous favorable à l’ouverture des magasins le dimanche ». On remarquera la neutralité plus grande de la question. Il n’y a pas de petite phrase précédent la question qui pourrait induire un biais dans la réponse. Mais le résultat de 2008 est comparé avec celui d’un sondage de 2004, et la question de 2004 était la suivante: Vous savez qu’aujourd’hui, la plupart des magasins n’ont pas le droit d’ouvrir le dimanche. Le gouvernement a annoncé son intention d’assouplir la législation à ce sujet. Vous personnellement, y êtes-vous favorable? (c’est moi qui souligne). Ou comment comparer l’incomparable.

A 160€/semaine, a-t-on le choix de travailler le dimanche?
Pour terminer, juste un mot sur la notion de « volontariat des salariés » pour évoquer l’ouverture des commerces et le travail le dimanche. Outre le fait que la notion de travail obligatoire renvoie à des heures sombres de notre histoire, il me semble passablement hypocrite de présenter les choses sous l’angle du volontariat du salarié. On sait parfaitement bien que le contrat de travail n’est pas un contrat commercial, ce n’est pas un contrat comme un autre qui fixe une entente entre deux parties également satisfaites des clauses du contrat. Le contrat de travail implique forcément un rapport hiérarchique entre employeur et employé. De plus, on sait très bien quel secteur d’activité est prioritairement concerné par l’ouverture dominicale : le commerce.

Cette modification du Code du travail aurait donc un impact presque unique sur les seuls vendeurs(ses) et les hôtes(ses) de caisses. Ce sont des professions fortement féminisées (plus de 60% de femmes dans le commerce de détail), mais surtout où le taux de temps partiels est impressionnant, et en particulier le temps partiel subi, avec déjà des horaires particulièrement difficiles pour une rémunération équivalente au SMIC. La durée moyenne des contrats à temps partiels s’établit autour de 23h hebdomadaire : au SMIC cela ne représente même pas 160€/semaine. Si votre patron vous dit « Si vous voulez travailler à temps plein, travaillez le dimanche », qu’est-ce que vous pouvez lui répondre ?

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