La crise, prétexte idéal pour imposer le travail le dimanche

Publié aussi sur Rue89, 17/10/08

Souvenez-vous, c’était il y a un an. A cette époque, nulle crise financière, nulle chute de la bourse, et pourtant un sentiment d’urgence pousse Luc Chatel, secrétaire d’Etat à la Consommation, à devenir devin et à annoncer au JDD le dépôt prochain d’un amendement visant à permettre le travail du dimanche, mettant ainsi fin aux actions judiciaires engagées par différents syndicats.

La disposition finalement adoptée ne prévoit finalement qu’une dérogation (la 181e) au droit commun du travail pour les commerces du secteur de l’ameublement, grâce à l’entremise de la sénatrice UMP Isabelle Debré. Mais deux engagements passent à la trappe : la mesure ne devait concerner que des employés volontaires, et ces derniers devaient être payés double.

Pris en défaut, la main sur le cœur, les promoteurs du texte promettent de corriger cette erreur au printemps. C’est ce qu’annonce Xavier Bertrand, ministre du Travail et pompier de service. Pourtant, la promesse s’envole. Les médias passent à autre chose. Fermez le ban. Cela aurait pu être la fin de l’histoire…

C’est sans compter le député UMP Richard Mallié, acquis à la cause du dimanche travaillé et aux commerçants de sa circonscription. Il commet quelques mois plus tard une proposition de loi, après avoir organisé des auditions en la vendant sous la forme d’un toilettage, là où il s’agit de mettre fin à un principe fondamental. Mais elle ne trouve pas de majorité, preuve que les parlementaires sont alors plus attentifs à la réalité.

Le lobbying ne faiblit pas

Le lobbying ne faiblit pas pour autant. Il est même encouragé, comme en témoignent les échanges épistolaires entre Richard Maillé, Roger Karoutchi, Axel Poniatowski et François Fillon.

Ce n’est d’ailleurs que du fait de la pression de quelques enseignes prises de nouveau la main dans le sac que ce dossier revient aujourd’hui sur la table, et ce, à la veille des plaidoiries destinées à leur présenter l’addition de la somme de leurs infractions.

A grands renforts de moyens de communication, ces enseignes mobilisent tout ce qu’elles ont de réseaux pour obtenir les mêmes dérogations que dans le secteur de l’ameublement. Au nom de leurs salariés qu’elles ont placé dans cette situation en connaissance de cause. Au nom des étudiants qui leur doivent la vie. A les entendre. En balayant tous ceux qui ont perdu leurs emplois parce qu’ils ne pouvaient pas résister à ces géants et tous ceux qui ont trop peur pour refuser demain cette précarité supplémentaire.

Rebelote donc.

Le JDD a sorti dimanche dernier, très à propos, une interview de Luc Chatel et un sondage dont l’interprétation hasardeuse permet à l’ensemble des médias de reprendre en chœur, au moins dans un premier temps, que les français sont favorables au travail du dimanche. Le temps qu’ils se reprennent, il est déjà trop tard.

La vague sur laquelle surfent nos ministres en goguette est lancée. Luc Chatel se fait même filmer dans le centre commercial Thiais Village (Val-de-Marne) où il va à la rencontre des contrevenants. (Voir la vidéo)

 

Personne n’a prêté attention à ce que l’on voit à l’arrière-plan durant les trois premières secondes. Le député Richard Mallié fait la bise à la sénatrice Isabelle Debré. Là, je l’avoue, j’ai eu peur… J’ai eu le sentiment d’assister à un très mauvais remake.

En panne d’idées, les commentaires sur le Net des promoteurs de cette dérégulation supplémentaire accusaient de tous les maux de la terre et, tour à tour, les 35 heures, les syndicats archaïques, les vendeurs sur la Toile qui sont pourtant les mêmes enseignes, les mêmes empêcheurs de déréguler en rond.

Avec la crise financière qui a démontré l’importance d’un cadre légal, ces arguments ont d’abord fait flop. Mais, miracle de la stratégie de communication, cette même crise financière a ensuite servi de prétexte à l’idée d’aller chercher la croissance en travaillant le dimanche. Il ne s’agit plus de créer des emplois, mais d’éviter leur destruction.

La réalité est bien différente : la proposition de Richard Mallié ne contient même pas le doublement du salaire avancé comme argument. Luc Chatel se fait d’ailleurs fuyant, puisqu’il répond simplement au journaliste qu’elle prévoit des majorations, là où Xavier Bertrand semble mettre en avant le doublement du salaire.

Le droit au refus du salarié est avancé comme l’arme fatale. Il revient à prétendre qu’il suffirait d’inscrire le droit de refuser le harcèlement pour qu’il disparaisse, ou de penser que la question n’est pas un critère d’embauche. Là, le praticien rigole…

Pour évacuer le débat, Luc Chatel renvoie la patate chaude de son contenu aux partenaires sociaux. Le gouvernement pourra ainsi leur renvoyer la responsabilité en cas de difficulté d’application.

A quoi ont servi les travaux du CES et de l’OFCE ?

Cette proposition ne simplifie pas davantage la loi. Elle crée une nouvelle dérogation territoriale extensible à tout le territoire. Elle ne respecte pas non plus les engagements internationaux de la France. Elle revient surtout à concentrer les problèmes sur les départements déjà pollués par tous les maux de la société actuelle.

A quoi ont donc servi les travaux du Conseil économique et social (CES), ceux de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui ont conclu à l’absence d’impact économique de cette mesure ?

Déjà, sur le terrain, l’amendement concernant l’ameublement sert aux préfets à justifier, au nom de la concurrence, les ouvertures des enseignes du bricolage qui vendraient aussi de l’ameublement ; demain, elles justifieront les dérogations du secteur de l’électroménager et de l’équipement de la maison, puis à terme, par un effet d’entraînement, l’ensemble des commerces.

Après ce sera au tour des services. Xavier Bertrand a déjà franchi le cap en annonçant l’ouverture des crèches le dimanche, sans préciser que ce sont les mêmes salariés du dimanche qui les paieront sans doute double. Il ne restera alors qu’à obliger les fonctionnaires qui ne pourront plus faire autrement que d’accompagner « l’évolution de la société » en marche.

Le travail du dimanche sera banalisé. Les majorations seront absorbées dans la masse salariale comme lors du passage aux 35 heures. Nos gouvernants veulent revenir en arrière : au temps d’avant 1906 où le travail dominical était possible. Evolution ou régression ? C’est toute la question. Comment peut-on ouvrir un vrai débat quand
le discours est à ce point caricatural et le lobbying si intense ?

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