Jean-Frédéric Poisson, député UMP : «Je m'opposerai à ce texte»

Mediapart.fr, 15/10/08 Par Mathieu Magnaudeix 

Pourquoi n’êtes-vous pas favorable à un assouplissement des règles du travail le dimanche ?

Un des grands enseignements de la crise que nous traversons au plan mondial, c’est qu’il est impératif de respecter les temps de halte et de pause dans la création de richesse. Si le message du gouvernement c’est «il faut travailler le dimanche parce qu’au nom de la liberté, ceux qui veulent produire et travailler le dimanche doivent pouvoir le faire», permettez-moi de dire que l’on se plante !

Huit millions de personnes travaillent déjà le dimanche. Bien sûr, je n’ai pas envie de les empêcher de le faire. Si ce texte de loi a pour but de régulariser des situations hors-la-loi de magasins qui ouvrent alors qu’ils n’en ont pas le droit, j’entends l’argument, mais il n’est pas satisfaisant parce que la loi n’est pas là uniquement pour prendre acte des évolutions de la société.

On me dit que l’assouplissement des règles sur le travail du dimanche sera limité à certaines zones, industrielles ou touristiques. Je veux bien regarder. Mais à certaines conditions. Comment apporter la garantie que les salariés qui ne veulent pas travailler ce jour-là n’y seront pas obligés ? Comment éviter, entre une zone qui travaillera le dimanche et une autre qui ne travaillera pas, une aspiration de la clientèle ?

Êtes vous prêt à voter contre si le texte est examiné au Parlement, comme le gouvernement l’a annoncé?

C’est un texte extrêmement sensible. Il y a eu beaucoup de réunions internes au groupe UMP au sein d’un groupe de travail. Mon collègue Maillé à beaucoup travaillé sur le sujet mais je suis désolé, il y a de fortes chances que je m’oppose à ce texte. Je n’ai pas l’habitude de changer d’avis.

«Le prix à payer est trop cher pour la société» 

La plupart de vos collègues de l’UMP prétendent pourtant que cette loi va créer de l’activité, des emplois et du pouvoir d’achat.

La question est de savoir à quel prix on va créer de l’activité. Au cours du printemps, j’ai rédigé un rapport sur la pénibilité, et j’ai été rapporteur du texte sur la démocratie sociale [le texte qui a vidé les 35 heures de leur substance, ndlr]. La conclusion évidente, manifeste de cette année de parlementaire, qui est ma première année à l’Assemblée car j’ai été élu en 2007, c’est qu’il n’y a plus aujourd’hui de moment dans la vie des gens qui leur permette de profiter, de faire une pause, alors qu’ils créent toujours plus de richesses.

Quel est le prix social, psychologique, humain, de cette décision ? Faut-il mettre en question le temps social, les associations, les clubs de sport, autant d’aspects de la vie en société qui n’ont pas de valeur marchande mais qui sont vitaux ? S’il faut perdre sa vie à gagner de l’or, je ne suis pas sûr que ça vaille le coup. On ne peut pas perdre sa vie à la gagner. D’habitude, ce slogan n’est pas porté par ma famille politique, mais en l’occurrence je le reprends volontiers à mon compte.

Je ne nie pas qu’il y a des problèmes de pouvoir d’achat ou que des étudiants aient besoin de travailler. Mais, à mon sens, il y a un prix à payer qui est trop cher pour la société, c’est un prix symbolique, le prix du lien social, le prix du lien entre les gens. C’est une espèce d’illusion de penser que toutes les richesses sont bonnes à créer. Il faut savoir renoncer à la création de richesses si le prix qu’elle coûte est trop élevé.

Du reste, il faudrait évaluer l’impact de l’assouplissement des règles du travail le dimanche. A ce jour, les bienfaits économiques ne sont pas certains. Si le texte vise à asseoir des positions qui existent déjà en régularisant la situation de commerces qui ouvrent déjà le dimanche, je ne vois pas ce que ça pourrait créér comme activité supplémentaire. Et puis franchement, des gens qui ont acheté leur paquet de nouilles le samedi vont-ils revenir en acheter un le lendemain ?

Pourquoi l’UMP semble-t-il si attaché à ce texte ?
Je crois que la majorité considère que c’est une entrave qui empêche le développement normal de l’activité économique. Il y a une volonté politique évidente. A l’Elysée, on dit «mais pourquoi ceux qui voudraient travailler le dimanche ne pourraient-ils pas le faire ?» J’estime que la réponse à cette question n’est pas forcément de l’autoriser. Le problème est quand même une question de fond, c’est savoir si on a droit, oui ou non, à une journée de repos hebdomadaire. Je crois que c’est la noblesse du politique de savoir parfois fixer des limites. D’ailleurs la réglementation, c’est quand même bien toute l’histoire du code du travail, non ? 

Vous êtes un proche de Christine Boutin, vous appartenez à son parti, le Forum des républicains sociaux. La religion joue-t-elle un rôle dans votre prise de position ?
Pour moi, ce n’est pas un motif de réflexion premier. Je pense que, de toutes façons, l’Eglise s’adaptera. Après tout, depuis Vatican II, ceux qui veulent aller à l’église le samedi le peuvent ! C’est surtout, selon moi, un problème de rythmes sociaux à respecter.

En janvier dernier, la sénatrice des Hauts-de-Seine Isabelle Debré a fait passer lors de la discussion de la loi Chatel un amendement qui autorise les magasins d’ameublement à ouvrir le dimanche. Votre réaction?

Le procédé est cavalier. Ce n’est pas sérieux. On ne met pas dans la loi des dispositions de cette importance en dehors de tout débat, alors même que le président de séance et le ministre ne sont pas au courant. Vous connaissez l’histoire de cet amendement ? Au Sénat, il a été adopté en commission mixte paritaire, par 8 voix contre six, après qu’un sénateur a changé d’avis ! Ça ne se passera pas deux fois comme cela.

A l’Assemblée, dans l’hémicycle, il n’y a pas de majorité pour voter cette affaire. D’autant que c’est un sujet qui concerne surtout les grandes villes. Je comprends bien, par exemple, que cette question semble cruciale à un député parisien. Mais tout le monde n’a pas la même approche de ces problèmes. Le pire serait que l’on généralise d’un coup le travail le dimanche, sans tenir compte des situations locales. Il faut, dans tous les cas, des solutions au cas par cas.  

Liens:
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/mathieu-magnaudeix
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/161008/enquete-sur-le-travail-le-dimanche-cette-obsession-presidentielle
[3] http://www.mediapart.fr/journal/economie/080708/requiem-pour-les-lois-aubry-la-droite-enterre-les-35-heures
[4] http://www.frs-ladroitehumaine.fr/frontoffice/le-forum-des-republicains-sociaux.l1.htm

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