Le Code du travail en miettes

INTERVENTION DE G.FILOCHE, INSPECTEUR DU TRAVAIL, À L’UNIVERSITÉ D’ÉTÉ DU PARTI SOCIALISTE (LA ROCHELLE, 30 AOÛT 2008)

[…] « Il ne faut pas le travail le dimanche (prétendument sur la base du volontariat, mais il n’y a pas de volontariat, cela n’existe pas en droit du travail, nul n’a la liberté de ses horaires, c’est le patron qui décide seul des horaires, pas le salarié.) ; il faut deux jours de repos consécutifs pour tous, de façon à encadrer la flexibilité, de façon à contrôler les horaires, à sanctionner fraudes et dépassements, mettre fin au scandale du non-paiement d’un milliard d’heures supplémentaires au moins […]

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Texte complet 

Je vais commencer par un hommage à Alain Vidalies et au travail parlementaire qu’il a effectué pour s’opposer à la recodification du Code du travail. Car finalement, c’est grâce à lui, si in extremis le 3 décembre 2007, à la veille de la ratification parlementaire de l’ordonnance de recodification, nous avons pu, avec Martine Billard pour les Verts, Roland Muzeau pour le Parti communiste, avec tous les syndicats de l’inspection du travail, avec le Syndicat de la magistrature, faire une conférence de presse à l’Assemblée nationale pour faire éclater le scandale. Grâce à lui, toute la gauche, les Verts, le PCF, le PS ont voté contre. La droite (Larcher, Fillon, Villepin, Sarkozy…) avait mis en œuvre la réécriture du Code du travail tout entier de façon technocratique, depuis le 16 février 2005. Qui « ils » ? En étaient chargés, Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail, Jacques Barthélemy, dirigeant du principal cabinet de juristes, (400 juristes) au service du Medef, et Christophe Radé, universitaire bordelais, qui a osé écrire en préface de l’édition du nouveau Code : « Il faudra des mois voire des années pour que le nouveau code révèle tous ses secrets… ce sera un effort colossal pour les usagers »…

Là où il avait 273 subdivisions, ils en ont fait 1 850, là ou il y avait 1 150 lois, ils en ont fait 3 850, ils ont supprimé un livre sur neuf dans le Code, déclassé 500 lois en décrets, tout re-numéroté à quatre chiffres, fait s’écrouler des jurisprudences entières, enlevé l’apprentissage du contrat de travail, enlevé la durée du travail du chapitre Conditions de travail, mis sur le même pied les obligations des employeurs et celles des travailleurs, diminué les droits pour les institutions représentatives du personnel, pour les syndicats, pour les prud’hommes, pour l’inspection du travail… Vous savez que ce passage à l’acide des exigences du Medef du Code du travail a été décidé par une ordonnance de Chirac en plein conseil des ministres, le 7 mars 2007 (publiée au Journal officiel le 12 mars 2007, 994 pages format A4) en pleine campagne présidentielle, sans une « une » de télé, de radio, de presse, dans un silence médiatique général, sans qu’un seul, qu’une seule candidate de gauche n’en parle, ne le dénonce (pas faute d’être alertés…). Ils ont fait ratifier cela, 994 pages en 25 minutes au Sénat le 26 septembre 2007. Et depuis ils continuent de lois en lois… 
Pourtant rien, rien dans ce pays ne justifie qu’on attaque le Code du travail. Jamais la France n’a été aussi riche, et les richesses aussi mal partagées, 105 milliards de profits absolus pour le CAC 40, Total, Axa, etc…. Ils ont fait la culbute depuis cinq ans, 72 milliards de niches fiscales, 148 milliards siphonnés des salaires vers les profits, les 500 premières familles ont gagné 80 milliards d’euros de plus l’an passé que l’an précédent (et Mme Parisot n’est que la 273e de ces familles), et puis voilà qu’ils osent prendre 1,5 milliard aux petits épargnants pour le RSA, alors qu’ils ont donné 15 milliards de bouclier fiscal aux grandes fortunes… La France est riche, elle n’a a jamais été aussi riche, les caisses privées sont pleines, elles débordent, débordent, et les caisses publiques, ils les ont vidées pour remplir les caisses privées, du temps de la gauche, ils critiquaient « la cagnotte publique », c’est vrai les comptes avec la gauche étaient en excédent, il n’y avait pas de trou dans les caisses de sécu, la masse salariale avait augmenté, maintenant ils ont tout inversé, enrichi les riches et vidé les caisses sociales collectives, c’est la cagnotte privée qui déborde…

Pourtant, les richesses énormes sont là et il faut les redistribuer, et le Code du travail aide à cela, car si vous avez un bon Code du travail, vous vendez mieux votre force de travail, si vous avez un mauvais Code du travail, vous défendez moins bien le niveau de votre salaire.

Augmentez les salaires !

Et c’est le salaire qui compte, il faut 10 euros de l’heure, 10 euros mini, net, qu’on soit balayeur, caissière, pas moins de 10 euros pour une heure de travail, soit 1 510 euros pour le mois, pour vivre décemment… je ne parle pas de pouvoir d’achat ni de course au discount, mais augmentez massivement les salaires, tout de suite, 200 euros pour tous… Eh non, pas les usines à gaz, ni de prime pour l’emploi, ni de participation ou d’intéressement, car tout cela n’abonde pas le salaire net et brut, donc n’abonde pas les cotisations sociales et les caisses de protection sociale Et pour cela ce qu’il faut c’est un Code du travail plus protecteur et pas moins protecteur, on dit qu’il n’y a pas de différence entre gauche et droite, mais si, il y en a une énorme, nous voulons protéger beaucoup mieux les droits du salarié, le Code du travail c’est vital, c’est les lois de la république face au marché, ce n’est pas un carcan, mais un acquis de civilisation… Laurence Parisot dit « la liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail », c’est l’obscurantisme pur : vous appliquez cela au Code de la route, vous avez dix mille morts le lendemain, vous appliquez cela au travail, vous avez cent mille licenciements abusifs le mois qui suit… 
Elle dit aussi : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail ne le serait-il pas ? » Ça fait drôle hein ? C’est l’apologie de la barbarie si on y réfléchit, car depuis l’aube des temps, nos plus anciens ancêtres ont tous lutté contre la précarité, contre la précarité de la faim, de la soif, de la souffrance, du chaud, du froid. On a inventé l’agriculture pour lutter contre la précarité de la cueillette, l’élevage pour lutter contre la précarité de la chasse, cinquante siècles de lutte de l’humanité contre la précarité et voilà cette femme qui dirige le Medef qui s’écrie « erreur ! 50 siècles d’erreur, tout doit être précaire ! » 
Vive Cro-Magnon en fait. Ils ne veulent plus de droits collectifs, mais un retour à des contrats de gré à gré, individuels, des « loueurs de bras » comme au XIXe siècle… Le Medef, sortant de chez Lionel Jospin, a dit, vous vous en souvenez, « nous allons nommer des tueurs à notre tête, nous allons déclarer la guerre aux 35 h », et ils l’ont fait, ils mènent la guerre contre les 35 h depuis 10 ans…

Il faut des droits pour les salariés fragilisés et subordonnés. Ils vous disent : « – mais non, dans l’entreprise, on est tous collaborateurs, on est tous dans le même challenge, le même défi, le même bateau ». Tiens donc, jusqu’à ce que le capitaine parte avec le bateau et vous, vous restez amarrés sur
le quai à l’ANPE, et vous vous apercevez que vous n’êtes pas collaborateurs, mais subordonnés et que vous avez besoin de lois pour défendre vos droits… Laurence Parisot veut abroger le droit du licenciement pour la « séparabilité », elle dit « c’est comme un divorce », sauf que c’est toujours le même qui part avec les meubles… Non, nous sommes pour le progrès, pour la loi, contre la jungle de l’exploitation dans l’entreprise. Car le salarié est « subordonné ». Ce qui caractérise le contrat de travail, c’est un « lien de subordination juridique permanente », il faut donc des contreparties légales à cette subordination… protéger les salariés contre l’exploitation y compris parfois contre eux-mêmes pour des raisons d’ordre public social, et de santé publique… L’histoire du Code du travail, en 160 ans, c’est l’histoire de la réduction du temps de travail… Le Dr Villermé en 1840, déjà, faisant rapport sur le sort des femmes et des enfants dans les fabriques à 14 h par jour, a dit « il faut travailler moins »… Il a fallu 80 ans pour qu’on passe à la journée de 10 h. Et l’on est passé avec la gauche en 36 à la semaine de 40 h, puis avec la gauche à la semaine de 39 h en 1982, et à la semaine de 35 h avec la gauche en 2002, on a prouvé au monde entier qu’on pouvait faire trois choses en même temps : réduire la durée du travail, augmenter les salaires et augmenter la productivité ! Les trois à la fois ! Quels sont les barbares moyenâgeux qui voudraient nous faire faire machine arrière ?

Il faut défendre les 35 h comme durée légale comme la prunelle de nos yeux. Et aussi la durée du travail sur la vie, le droit à la retraite à 60 ans à taux plein. Il faut rapprocher les durées réelles du travail de la durée légale, il faut abaisser la durée maxima de 48 h hebdo à 44 h hebdo, il faut rendre les heures supplémentaires plus coûteuses que l’embauche, il faut travailler moins pour travailler tous et mieux ; il ne faut pas le travail le dimanche (prétendument sur la base du volontariat, mais il n’y a pas de volontariat, cela n’existe pas en droit du travail, nul n’a la liberté de ses horaires, c’est le patron qui décide seul des horaires, pas le salarié.) ; il faut deux jours de repos consécutifs pour tous, de façon à encadrer la flexibilité, de façon à contrôler les horaires, à sanctionner fraudes et dépassements, mettre fin au scandale du non-paiement d’un milliard d’heures supplémentaires au moins…

Car les heures supplémentaires sont massivement fraudées

L’INSEE et la DARES disent tantôt qu’il y en a 900 millions, tantôt 700 millions. Mais en 1993, du temps des 39 h, il y en avait 1,2 milliard (soit l’équivalent de 680 000 emplois temps plein). Aujourd’hui, il y a plus de salariés, et avec les 35 h, il y en a sûrement plus encore, probablement le double ! Mais l’INSEE et la DARES établissent leurs enquêtes sans tenir compte des entreprises de moins de 20 salariés (5 millions de salariés : c‘est là qu’il y a le plus d’heures supp ») et en se basant sur les « déclarations des employeurs » ! ! Ne dites pas cela à un inspecteur du travail ! L’ACOSS vient de révéler qu’en fait la durée réelle du travail moyenne serait près de 41 h hebdo… c’est sans doute plus. Alors avec un bon Code du travail, il faut se donner les moyens de faire respecter la loi, avec plus et pas moins de droits syndicaux, d’inspection du travail, de prud’hommes !

Les heures supplémentaires, 50 % qui sont dissimulées, pas payées, qui ne donnent pas lieu à cotisation sociale (Maryse Dumas a dit 6,5 milliards de fraudes de ce type) on doit les faire payer, faire respecter les salariés qui les subissent ! Et cela nuit en plus à la santé, car on ne meurt plus de coup de grisou, mais d’AVC (accidents cardio-vasculaires). Moi, je passe dans les bureaux et je dis « pas plus de 10 h par jour, pas plus de 48 h par semaine, ne dépassez pas la durée maxima c’est interdit », c’est la durée maxima du travail, la durée d’ordre public social… qui la dépasse crée un trouble manifeste à l’ordre public, c’est un délit, cela protège le salarié, cela s’impose à l’employeur sinon c’est un délit, et croyez-moi la délinquance patronale est immense…

Xavier Bertrand a signé en Europe pour les « 65 h », et ils veulent remettre en cause cette durée maxima imposée. Sarkozy a fait un tête à queue, que naturellement la grande presse n’a pas relevé, entre août 2007 et août 2008, car sa loi TEPA vient d’être quasi annulée, il avait repris la proposition de la gauche en 2007 de faire passer la majoration des heures supp « de 10 à 25 % dans les entreprises de moins de 20 salariés, et voilà qu’il permet de déroger par le bas aux 35 h, en diminuant la majoration des heures supp » à nouveau de 25 % à 10 %, voire à 0 %… car leur attaque contre les 35 h, elle vise ni plus ni moins à baisser les salaires, à enlever les majorations pour heures supp » de la 36e, 37e, 38e heure, etc. En fait, les 35 h, ce n’est pas un carcan comme le disent tant d’esprits confus, c’est uniquement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, donc le début de la majoration des salaires, c’est cela qu’ils autorisent à remettre en cause, à déroger, s’il se trouve des syndicats contraints, soumis ou serviles, pour signer de tels accords dérogatoires vers le bas.

Heureusement, les 35 h ne sont pas mortes, ils n’y arrivent pas, même Pétain n’avait pas pu remettre en cause les 40 h ! Même le Conseil constitutionnel a pris, sur notre recours, une importante décision en supprimant leur volonté d’abolir toutes les clauses des conventions collectives existantes sur les majorations d’heures supplémentaires. Elles restent donc en place, il faudra que les patrons, qui le veulent, dénoncent les conventions une par une !

C’est le salariat qui produit les richesses

Or il n’en reçoit pas la part qu’il mérite : le salariat c’est 91 % de la population active, en 1945, c’était 50 %, en 68, 70 %, aujourd’hui le salariat domine, il est plus homogène qu’il ne le sait, ne le croit, qu’on ne lui dit, les salaires sont en dessous de 3 000 euros, le salaire médian est scandaleusement bas à 1 450 euros, il y a 7 millions de travailleurs pauvres (et ils veulent en faire plus avec le RSA quasi soviétique où c’est l’État qui paie les salaires à la place des employeurs).

Mais le salariat a un point commun immense, il n’a que sa force de travail à vendre, il est soumis aux mêmes exigences de compétitivité comme ils disent, en fait d’exploitation, vous savez un patron, il ne vous « donne pas de travail », il vous prend votre travail, et en tire du profit sinon il ne vous embaucherait jamais, toute la question est de savoir combien il tire de profit pour votre travail et combien il est obligé de vous donner de salaire pour vivre, vous. Ça se saurait si le travail enrichissait. Ce qui enrichit c’est l’exploitation du travail des autres. C’est le Code du travail, le droit du travail, la lutte syndicale qui déterminent le partage.

Certains ont dit « il y a peu de syndiqués », mais il faut voir la chasse aux sorcières ! Il faut du courage pour être syndiqué, les syndicalistes sont des héros, pour résister, pour défendre les droits élémentaires, légitimes. Le salariat – 91 % de la population active – à nous socialistes, c’est notre base sociale, nous l
uttons pour lui et avec lui, à nous de faire connaître qu’il peut, qu’il doit être uni, que son statut, son Code du travail, nous le défendons pied à pied, unifier le salariat, redistribuer les richesses en sa faveur, et s’il y a un seul salariat, il faut une seule gauche.

par Gérard FILOCHE, Inspecteur du travail

Intervention à l’université d’été du Parti socialiste (La Rochelle, 30 août 2008).

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