Les dossiers noirs du Gouvernement

Un article du Monde Diplomatique, Juin 2008

Dans cet intéressant article du Monde diplomatique, qui nous apprend au passage que, selon l’INSEE, les hauts salaires, ont grimpé plus vite que ceux du bas de l’échelle (+ 29 % pour le 0,1 % des salariés les mieux payés entre 1998 et 2005), les perspectives actuelles ne semblent pas bonnes pour le dimanche.

« A en croire M.Jacques Attali et ses trois cent seize propositions, la « libération » du pouvoir d’achat passe par une nouvelle vague de supermarchés. S’il est vrai que la réglementation (très relative) de l’implantation des grandes surfaces ne s’est pas traduite par une baisse des prix des produits alimentaires, il est tout aussi évident que la déréglementation n’entraînera pas une réduction de l’inflation. Et pour cause : les géants de la distribution continueront à tirer les ficelles, tandis que les petits commerçants des centres-villes seront un peu plus en difficulté.

En revanche, les consommateurs devront prendre leur voiture pour aller faire leurs courses (ce qui coûte cher et pollue beaucoup) ; les salariés se verront imposer le travail à temps partiel dont les supermarchés sont déjà les champions. Il y a fort à parier que les implantations sauvages de ces commerces se traduiront davantage par une course au travail du dimanche et aux horaires quotidiens tardifs que par la baisse des prix pour le consommateur. »

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Les dossiers noirs du gouvernement

Dix angles d’attaque

Pouvoir d’achat en berne

Le « président du pouvoir d’achat » est resté ferme : aucun coup de pouce pour les bas salaires. L’augmentation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic), au 1er mai, est plafonnée au niveau légal, soit 19 centimes d’euro brut de l’heure. En un an, la hausse atteint 2,30 % alors que l’inflation officiellement recensée a grimpé à 3,2 % (de mars 2007 à mars 2008). Pour faire bonne mesure, le gouvernement a réduit les allocations familiales, qui bénéficient en priorité aux bas revenus. Les familles qui recevaient 33,84 euros lorsqu’un enfant atteignait l’âge de 11 ans ne touchent plus rien ; elles auront droit à 60,16 euros quand celui-ci aura 14 ans (au lieu de 16 auparavant). Au total, 80 millions d’euros seront ainsi économisés sur une année. Le gouvernement s’engage à les redistribuer. Mais, pour l’heure, cela reste au stade des promesses…

En revanche, la « franchise de soins » est effective depuis le début de l’année. Les patients payent 50 centimes d’euro par boîte de médicaments, 1 euro par visite médicale et 2 euros pour le transport, dans la limite de 50 euros par an. Cela représente un prélèvement sur les malades de 850 millions d’euros en année pleine.

Reconnaissons à M. Nicolas Sarkozy un sens affirmé de la continuité. Entre 2000 et 2005, le revenu salarial net moyen a baissé de 0,5 %, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee, « Les salaires en France », novembre 2007). Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Les hauts salaires, eux, ont grimpé plus vite que ceux du bas de l’échelle : + 29 % pour le 0,1 % des salariés les mieux payés entre 1998 et 2005.

Les supermarchés à la rescousse

A en croire M.Jacques Attali et ses trois cent seize propositions, la « libération » du pouvoir d’achat passe par une nouvelle vague de supermarchés. S’il est vrai que la réglementation (très relative) de l’implantation des grandes surfaces ne s’est pas traduite par une baisse des prix des produits alimentaires, il est tout aussi évident que la déréglementation n’entraînera pas une réduction de l’inflation. Et pour cause : les géants de la distribution continueront à tirer les ficelles, tandis que les petits commerçants des centres-villes seront un peu plus en difficulté.

En revanche, les consommateurs devront prendre leur voiture pour aller faire leurs courses (ce qui coûte cher et pollue beaucoup) ; les salariés se verront imposer le travail à temps partiel dont les supermarchés sont déjà les champions. Il y a fort à parier que les implantations sauvages de ces commerces se traduiront davantage par une course au travail du dimanche et aux horaires quotidiens tardifs que par la baisse des prix pour le consommateur.

Chômeurs sous pression

Avant toute négociation entre le patronat et les syndicats sur l’assurance-chômage, M. Sarkozy a déjà tranché : toute personne refusant deux offres d’emploi « raisonnable » se verra pénalisée. Le « raisonnable » serait donc d’accepter, au bout de six mois, un emploi rémunéré à 85 % de son salaire antérieur, même s’il se situe à une heure, en transport en commun, de son domicile, et, après un an de chômage, un salaire égal à l’indemnité (soit 57,4 % en moyenne du salaire antérieur) — dans les deux cas, le poste de travail proposé peut être un simple contrat à durée déterminée (CDD). Une fabrique de bas salaires, puisque le demandeur d’emploi sera contraint d’accepter ce qu’on lui « offre ». Du reste, la loi du 13 février 2008 instaure la fusion entre l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic), qui gère les indemnités-chômage, et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) — ce qui devrait assurer un meilleur « contrôle » des demandeurs d’emploi.

Autre disposition censée terrasser le chômage : la suppression de la dispense de recherche d’emploi accordée aux salariés de plus de 57 ans et demi. Une mesure dans la lignée de celles décidées par M. Dominique de Villepin, telles la création des CDD pour les travailleurs âgés (avec exonération de charges) et la suppression de la disposition Delalande, qui taxait les entreprises licenciant les salariés de plus de 55 ans.

Quant à l’Unedic, elle affiche une santé florissante, avec un excédent de 3,5 milliards d’euros en 2007, qui devrait atteindre 4,6 milliards en 2008. Un surplus, reflet de la baisse officielle du chômage ? Sans doute pour partie, mais l’essentiel vient de la réforme de l’indemnisation de 2003 impulsée par la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la Confédération générale des cadres (CGC) et le Mouvement des entreprises de France (Medef), qui réduit l’accès aux assurances-chômage. Actuellement 50,4 % des chômeurs inscrits ne sont pas indemnisés (44 % en 2000). Les quatre cinquièmes des demandes rejetées le sont pour cause de cotisations insuffisantes (jeunes, femmes précaires…).

Droits sociaux contre salaire

Aux travailleurs, le président de la République conseille une recette simple : payez votre augmentation de salaire en travaillant plus. En langage technocratique, cela s’appelle la « monétisation de la réduction du temps de travail (RTT) et des congés payés ». Les salariés peuvent « racheter » les jours de RTT et être payés avec une prime de 10 % à 25 % selon les cas, jusqu’en décembre 2009. La même opération est possible avec une partie des congés payés.

Le raisonnement est identique pour l
e travail du dimanche, que les directions des grandes surfaces commerciales veulent accentuer. En 2004 (dernier chiffre connu), 26,7 % des salariés travaillaient le dimanche — et pas seulement dans le commerce (19 % dix ans plus tôt). Bien souvent, ces journées travaillées hors normes représentent un petit supplément pour des bas salaires. Difficile de s’en passer.

Dans le même esprit est instaurée, depuis le 1er octobre 2007, la défiscalisation des heures supplémentaires et le non-paiement des cotisations sociales. Mécaniquement, ceux qui faisaient déjà des heures supplémentaires (un peu plus d’un tiers des salariés à temps complet) vont bénéficier d’un petit surplus, payé par les contribuables (dont eux-mêmes).

Le gain demeure marginal. D’une part, l’annualisation du temps de travail (qui permet d’effectuer quarante-huit heures de travail certaines semaines sans rétribution supplémentaire et douze heures d’autres semaines) n’est toujours pas remise en cause. D’autre part, pour qu’il y ait heures supplémentaires, encore faut-il qu’il y ait activités supplémentaires. Cette mesure coûtera 6 milliards d’euros en année pleine, selon les estimations officielles. Sans espoir de vie meilleure. Sans relance de la croissance.

Les riches empochent

Donner plus à ceux qui en ont le moins besoin. Voilà comment peut se résumer la philosophie de l’action sarkozyste. A peine installé à l’Elysée, le président a mis ce principe en œuvre. Le fameux « paquet fiscal » a servi notamment à réduire l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ainsi que les droits de succession et de donation. Seule la mesure permettant de déduire de ses impôts une part des intérêts de l’emprunt souscrit pour acheter sa résidence principale (jusqu’à 7 000 euros pour un couple) aurait pu bénéficier aux couches moyennes (les plus pauvres ne peuvent acheter). Mais la flambée de l’immobilier en réduit l’impact.

Habilement, le pouvoir a laissé croire que les mesures sur le patrimoine concerneraient toute personne désireuse de laisser quelque chose à ses enfants. En fait, déjà avant la loi, seuls 22 % des décès donnaient lieu à une imposition sur la succession, selon le Syndicat national unifié des impôts (SNUI). Ce taux va encore chuter. Les nouvelles dispositions concernent les plus riches des plus riches : seize mille contribuables bénéficieront de 87 % des mesures : 4,7 milliards d’euros en année pleine — bien plus que ce qui était nécessaire pour mettre en place le revenu de solidarité active (RSA) proposé par M. Martin Hirsch.

Les pauvres paient

A l’initiative de M. Martin Hirsch, ancien président d’Emmaüs France et désormais haut-commissaire aux solidarités actives, est instauré un revenu de solidarité active (RSA) pour les allocataires du revenu minimum d’insertion (RMI) reprenant un emploi. Les salaires sont si bas que ces travailleurs pauvres perdent parfois de l’argent en travaillant. Voilà qui les empêcherait de retrouver un emploi, toujours selon l’idée que l’on resterait chômeur par convenance. A défaut d’inciter les entreprises à augmenter les salaires et à limiter les temps partiels non choisis, le pouvoir invente le RSA, destiné à compenser le manque à gagner.

La « bonne » idée du haut-commissaire est de le faire payer par les bénéficiaires de la prime pour l’emploi, c’est-à-dire ceux qui disposent d’un revenu fiscal de 16 251 euros (1 354 euros par mois) au maximum pour un célibataire, en redéployant l’enveloppe. Les conditions d’attribution de cette prime deviendront plus restrictives, les titulaires moins nombreux.

L’argent ainsi gagné financera le RSA. M.Hirsch aurait pu proposer de taxer les bénéfices exceptionnels liés aux placements financiers ou encore d’instaurer des cotisations sur les revenus issus de l’intéressement et des stock-options…

Code du travail « dépoussiéré »

Deux événements accélèrent le démantèlement du droit du travail : la « recodification » donnant naissance à un texte en vigueur depuis le 1er mai 2008, et la loi sur la « modernisation du marché du travail » qui devrait être adoptée au début de juin. Le texte recodifié élargit la voie de la déréglementation. Par exemple, les salariés dépendront désormais de codes différents (lire Gérard Filoche, « Tornade patronale sur le code du travail », Le Monde diplomatique, mars 2008). Quant à la nouvelle loi, fruit de l’accord entre les principaux syndicats salariés (sauf la Confédération générale du travail, CGT) et patronaux, elle prétend instaurer la « flexisécurité ». En fait, elle ressemble au pâté d’alouette : beaucoup de flexibilité, peu de sécurité. Les périodes d’essai sont allongées d’un mois. Un nouveau contrat à durée déterminée (CDD) — dit contrat de mission — est créé, qui peut aller de dix-huit à trente-six mois pour un cadre ou un ingénieur « embauché » pour un projet précis. De plus, la rupture « conventionnelle » ou « amiable » d’un contrat à durée indéterminée (CDI) devient possible, la loi considérant que l’employeur et l’employé sont sur un pied d’égalité… Seule concession : la rupture doit être validée par la direction départementale du travail. C’est maigre, même si l’on y ajoute la réduction d’un an de la durée d’ancienneté indispensable pour prétendre à des indemnités de licenciement.

Immigrés, tests ADN, quotas

M. Nicolas Sarkozy a promis à ses électeurs — et à ceux de M. Jean-Marie Le Pen — de réduire le nombre d’immigrés. Au moins, ceux liés au regroupement familial, tandis que seraient bienvenus ceux que les employeurs sélectionneront. Cela s’appelle politique de l’« immigration choisie ». Les candidats au regroupement familial doivent passer un examen évaluant « leur degré de connaissance du français », et un test ADN pourra être exigé pour que les autorités française s’assurent que l’enfant est « naturel » (non adopté, non recueilli…). Une mesure contraire à l’éthique, que le Conseil constitutionnel a néanmoins validée (avec des circonvolutions). Dans le même temps, le gouvernement a fixé des quotas d’expulsions. Le rendement minimum est porté à vingt-cinq mille par an — ce qui conduit les policiers à traquer les enfants dans les écoles, et des immigrés apeurés à se donner la mort. Conséquence inattendue de cette loi : l’arrivée sur le devant de la scène de travailleurs immigrés sans papiers, avec l’appui d’une partie des employeurs, qui ont peur d’être contrôlés car la loi contraint ces derniers à vérifier les documents d’identité auprès des préfectures. Cette grève change le climat (lire « Délocalisés de l’intérieur »).

Une justice plus loin du peuple

Le tollé des magistrats fut quasiment unanime mais, droite sur ses talons aiguilles, Mme Rachida Dati a taillé dans le vif. Elle a supprimé 178 tribunaux d’instance (sur 473), 63 conseils des prud’hommes (sur 271), 23 tribunaux de grande instance (sur 181). Dans certains endroits, ce sera le désert. Or il est avéré que les gros tribunaux ne sont pas les plus efficaces. « On se trouvait avec des juges très peu spécialisés, trop proches de la population et donc peu efficaces », assure dans la revue Challenges (n° 121, 24 avril 2008) un « haut fonctionnaire chargé de la réforme », courageusement anonyme. Une justice trop près
du peuple, voilà qui sentait la subversion. Les dispositions répressives se multiplient. La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté prévoit de garder dans des centres fermés les auteurs de crimes pédophiles, au-delà de la peine de quinze ans ou plus effectuée, s’ils présentent des risques élevés de récidive. Ainsi est créée une peine de détention arbitraire à vie, alors que les moyens de traitement et de réinsertion sont réduits à la portion congrue. Le Conseil constitutionnel, saisi par l’opposition, a accepté le principe, mais refusé que la loi soit rétroactive.

Toujours moins d’Etat

Derrière le titre ronflant de « révision générale des politiques publiques » se cache une réalité plus prosaïque : des entailles dans le statut de la fonction publique au nom de la mobilité, et le remplacement d’un départ à la retraite sur deux. En 2008, vingt-trois mille emplois seront supprimés. Près de la moitié (de dix mille à onze mille) concerneront l’enseignement, à moins que les grèves et le mouvement des élèves et des enseignants n’arrivent à modifier la donne. Si la quantité ne fait pas toujours la qualité, comme l’assure le ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos, il est toujours vérifié que la pénurie crée l’échec. Singulièrement chez ceux qui n’ont pas les moyens de se payer des cours supplémentaires. L’université suit le même chemin, en accéléré. L’autonomie, créée par la loi du 10 août 2007, sert à justifier le recrutement de gestionnaires et d’enseignants selon le bon vouloir du président, la création de fondations permettant d’introduire les capitaux privés. Ainsi, depuis le 15 janvier 2008, l’université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), a créé avec Conforama un cursus spécial intitulé DM Academy (pour de futurs directeurs de magasin)… La concurrence entre facultés est ouverte. Malheur à celles qui ne peuvent récolter des fonds privés. Dans cette course, la réforme de la recherche prônée par le rapport de M. François d’Aubert pèsera lourd, au risque de vider le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de sa substance et de dévitaliser la recherche.

Pour autant, les secteurs apparemment épargnés (sécurité ou justice) ne sont pas à l’abri : c’est le périmètre de toutes les fonctions collectives qui va se restreindre. Les autres dépenses publiques (aides dites à l’emploi — en réalité aux entreprises —, mais aussi financement des opérations extérieures, comme en Afghanistan, par exemple) continuent à filer.

Et ce n’est pas fini…

Le gouvernement a réussi à attaquer les régimes spéciaux des cheminots, des salariés de la RATP, des électriciens et gaziers — au moins dans le principe — et à imposer le service minimum dans les transports publics. Sa victoire est plus idéologique que pratique mais il espère en profiter. Dans le public comme dans le privé, le pouvoir veut porter la durée de cotisation à quarante et un ans, alors que déjà quatre salariés sur dix partent avec une pension amputée. D’autres projets sont sur le feu : la transformation de l’hôpital, qui sera géré comme une entreprise, des privatisations (fusion EDF-Suez, Areva…), la « réorganisation du service public de télévision », l’abrogation des trente-cinq heures, etc.

Martine Bulard.

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