Réponse à Yves Thrérard par Vincent Lecourt

Autre réponse à l’éditorial scandaleux d’Yves Thérard, celle de Maître Lecourt, l’avocat de FO dans le combat sur le dimanche.

1 – Serpent de mer du débat social, la question de l’ouverture dominicale des magasins va encore faire couler beaucoup d’encre avant d’être tranchée. Si elle l’est un jour. 1 – Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, pire imposture que celui qui, au nom d’une prétendue liberté, préfère ignorer ce qui sous tend la contrainte et la nécessité pour les membres les plus faibles de la société : payer ses factures.

2 – Le projet de loi sur la modernisation de l’économie, examiné d’ici à l’été par le Parlement, n’en fera finalement pas état. Et, pour la énième fois, la constitution d’un groupe de travail vient d’être confiée à un député sur ce sujet. La suite donnée à ce genre d’exercice demeure, c’est connu, très aléatoire…

2 – Les médias ont été prompts à commenter la dernière réforme. Ils ont pour la plupart passé sous silence, non pas les conditions dans lesquelles la nouvelle dérogation de la Loi Chatel a été accordée au lobby de l’ameublement, mais ses conséquences sociales désastreuses : l’absence de volontariat et de majoration salariale malgré les promesses de ses partisans.

Le gouvernement et le parlement avaient alors travaillé vite. Et mal… Monsieur le Ministre Chatel, en séance au Sénat, a confirmé les fausses informations données par Madame la sénatrice Debré sur les garanties offertes aux salariés qui ne sont plus que du vent.

Il est depuis devenu porte-parole du gouvernement.

3 – Pourtant, on ne saurait trop encourager le gouvernement à mettre un terme à cette anomalie du septième jour. Et vite. Libérer le travail le dimanche, c’est faciliter la consommation, créer des emplois, donner du pouvoir d’achat. Donc soutenir la croissance. Or la France en a bien besoin en ces temps de disette budgétaire et de maussade conjoncture.

3 – Libérer le travail du dimanche ne soutiendra pas plus la croissance qu’il ne permettra de créer des emplois et de donner du pouvoir d’achat aux français. Il s’agit ici d’imprécations qui ignorent les avis donnés à ce sujet par nombre d’économistes et notamment par l’OFCE qui indique que le nombre d’emplois créés par cette mesure sera inférieur aux emplois détruits. J’ajoute aussi que la qualité des emplois ne sera pas la même et que certains secteurs vont souffrir. Il suffit pour s’en convaincre de constater que certaines enseignes se réjouissent de n’avoir « que » 30% de temps partiel contraint.

Reporter la consommation sur le 7ème jour n’a pas d’incidence sur le contenu du porte monnaie des français dont on ne voit pas par quel miracle il sera soudainement plus fourni parce que les grandes enseignes ouvriront leurs portes le 7ème jour. Il n’est pas difficile de comprendre qu’il est impossible de s’asseoir en même temps sur deux canapés pour prétendre que les français achèteront du coup deux fois plus. Il n’est que de constater les niveaux de consommation des habitants des grandes villes françaises dans les secteurs où l’Etat ferme les yeux et ceux où l’Etat fait respecter la Loi.

Quant à la disette budgétaire, poursuivre les infractions (7.500 Euros d’amende par salarié et par dimanche en infraction avec une prescription d’une année), voilà de quoi y remédier à peu de frais.

4 – Nicolas Sarkozy l’avait promis lors de la campagne présidentielle : «Je veux que tous les salariés volontaires puissent le faire, et qu’ils soient payés le double.» La commission Attali évoque, quant à elle, une nécessité pour des «raisons économiques et des motifs liés aux transformations sociales et culturelles de la société».

4 – Une promesse non tenue. La Loi Chatel ne prévoit ni majoration, ni volontariat. Aucun système de contrôle n’a été même proposé pour s’assurer du volontariat des salariés par les partisans de cette mesure.

Pire, ce système est intenable dans le temps puisque, pour amortir le coût des primes du dimanche et des charges induites par une ouverture supplémentaire, il faudra à ces enseignes augmenter les prix et ne pas augmenter les salaires de base pour s’y retrouver.

Cela se fera au détriment des salariés qui ne veulent pas travailler le dimanche mais qui y seront vite contraints par le poids des dépenses nécessaires pour assurer leurs besoins courants.

Le rapport de la Commission Attali évoque certes quant à lui la possibilité d’une ouverture plus large (cf. décision 137)

Il l’entend cependant comme une forme de discrimination positive pour renforcer les commerces de centre ville, peu à peu contraints de fermer devant la concurrence effrénée des grandes enseignes situées en périphérie qui n’ont pas les mêmes charges et qui violent, sans même être inquiétées, la Loi.

« La possibilité de travailler le dimanche doit être proposée prioritairement à certains métiers, certaines régions, certaines catégories de salariés à temps partiel qui souhaiteraient pouvoir augmenter leur nombre d’heures de travail.

Elle doit être proposée en priorité aux petits commerces de centre-ville avant de l’être aux grandes surfaces.

Les entreprises qui voudront recourir au travail du dimanche devront, obligatoirement, consulter les instances représentatives du personnel pour expliquer les raisons économiques, sociales et éventuellement culturelles d’un tel choix. Elles devront se concerter avec ces instances sur les modalités d’organisation. Les salariés qui accepteront de travailler le dimanche devront pouvoir bénéficier de réelles contreparties : salaires, formation, couverture sociale complémentaire, points de retraite, etc. »

La citation parcellaire du contenu en dehors du contexte lui donne un tout autre sens. Difficile également de lever les ambiguïtés de cette décision quant aux catégories de salariés visés…

5 – À l’heure du commerce sur Internet ouvert sept jours sur sept, 24 heures sur 24 , dont le chiffre d’affaires devrait dépasser vingt milliards d’euros cette année, notre Code du travail paraît bien archaïque. Et le système des dérogations accordées par les préfets, pour le moins arbitraire. Comment justifier que, sur les Champs-Élysées, une marque de sport soit autorisée à travailler, mais pas une autre ?

5 – Le commerce par internet permet déjà à ces mêmes enseignes qui violent dans le même temps la Loi, de vendre leurs produits tous les jours 24H sur 24 dans l’ensemble des pays du globe. C’est déjà une concurrence contre laquelle peu de petits commerçants peuvent résister.

L’e-commerce est en outre pourvoyeur d’emploi, il permet également de consommer différemment sans polluer par le bruit ou les encombrements du trafic routier et en évitant de le faire sur le dos des salariés.

Consommer le dimanche ne pourra fonctionner si chacun doit travailler le dimanche. On ne peut pousser son chariot en étant derrière son bureau ou au boulot.

Rien n’interdit davantage de prévoir de manière claire ce qu’est une zone touristique et d’en définir les contours mais il ne faut plus que cela soit prétexte à admettre des zones touristiques de complaisance.

6 – Pire : les contrevenants s’exposent à de lourdes peines. C’est le cas aujourd’hui de vingt enseignes d’un centre commercial de Thiais, dans le Val-de-Marne. Ont été requis contre elles des amendes de 6 000 à 60 000 euros pour emploi de salariés le
dimanche, en septembre et octobre 2007. À Plan-de-Campagne, dans la région marseillaise, la guerre du dimanche a duré des années.

6 – La violation de la Loi expose son auteur à de « lourdes peines ». Est-ce une découverte ou une piqûre de rappel à ceux qui prônent le principe de « l’impunité zéro »… Si elles sont si lourdes que cela, pourquoi alors y a-t-il tant de contrevenants.

7 – N’en déplaise aux syndicats, toujours en embuscade dans notre pays pour dénoncer «l’exploitation de l’homme par l’homme», il est impératif que le gouvernement fasse ici preuve de courage.

 

7 – C’est de nouveau la faute des syndicats. Lorsqu’un syndicat professionnel d’employeur prétend dépenser son argent « à la fluidification des relations sociales », c’est la faute des syndicats de salariés qui auraient accepté les fonds. Quand les syndicats remplissent leur rôle social en demandant le respect de la Loi, c’est encore leur faute. Si FO n’avait pas attaqué le CPE, il serait encore utilisé au détriment des salariés. Demander Justice et utiliser les voies légales, ce n’est pas jouer à la roulette ou au loto mais défendre ses droits dans le seul champ où l’égalité est encore assurée

Le courage du gouvernement ne serait-il pas celui d’écouter la société, notamment le Conseil Economique et Social, plutôt que les sirènes des promesses économiques qu’aucune enseigne ne s’est engagée à prendre et qui ne produiront rien en faveur des français. Il suffit de constater la répartition entre les produits du capital et les produits du travail pour constater que cette tendance lourde n’est pas prête de s’inverser.

8 – Nicolas Sarkozy a été élu pour sa détermination à réformer la France, à transformer notre modèle social à bout de souffle, dont le carcan de la fermeture dominicale est l’une des manifestations les plus criantes.

 

8 – La détermination à réformer la France, à réduire à néant un modèle social bon à jeter aux orties, n’a pas de sens si on est incapable de donner aux français un projet de société. Quel est celui qui pourrait être issu du travail du dimanche, si ce n’est celui d’un hyper consumérisme.

9 – Il ne s’agit pas de se livrer à un libéralisme échevelé. De nouvelles règles doivent être édictées. Pour que le petit commerce ne soit pas laissé à l’écart, pour que les salariés en profitent, pour que les employeurs y trouvent fiscalement leurs comptes. L’audace n’exclut pas la prudence.

9 – Là aussi, une belle imprécation. Quelles sont les règles qui permettent d’éviter le libéralisme échevelé ? La Loi lorsqu’elle se contente d’affirmer la liberté ou le volontariat, ne l’assure pas. S’il suffisait de cela, je propose de réformer le code du travail pour y insérer simplement, un article unique, « l’employeur devra ne pas être un libéral échevelé. »

Le petit commerce a plus à y perdre qu’à y gagner, tant en qualité de vie qu’en terme de rentabilité compte tenu des charges induites par une ouverture du dimanche. La CGPME l’a bien compris, aidé par une consultation exemplaire de sa base.

10 – Reste l’opposition de l’Église. Le repos dominical est, certes, l’un des derniers repères de notre société qui en a effacé tant d’autres. Ce jour-là est, pour beaucoup, celui de la famille, des amis, de l’évasion, du recueillement. D’une trêve où l’argent n’est pas roi. Libre à ceux qui le veulent de respecter ce moment privilégié. Mais, en toutes circonstances, la liberté n’existe que si elle est partagée.

Yves Thrérard, l’éditorialiste du Figaro. Sans son nez rouge.

10 – L’Eglise : elle se videra de celles de ses ouailles qui sont les plus faibles économiquement. Elles ne pourront communier le samedi soir, n’en déplaise à nos amis sénateurs : à 18H, le samedi, les commerces sont encore ouverts.

Quand l’Eglise sort de sa réserve pour se joindre aux voix des partisans de la défense des salariés, n’y a-t-il pas là matière à ouvrir les yeux et à cesser de s’aveugler autant.

Prétendre le contraire revient à se moquer des travailleurs roumains ou autres chinois partageant librement le droit de travailler comme des damnés…

La liberté n’existe que lorsqu’elle est assurée. Le reste n’est que boniment.

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