Les lobbies de la distribution enfin contenus ?

Une chronique de Philippe Askenazy parue dans les Echos du 17/1

Philippe Askenazy relève que l’autorisation d’ouverture dominicale des magasins de meubles trahit la pression des lobbies sur l’appareil législatif. En revanche, pour l’amendement « anti Metro », les sénateurs ont fait preuve d’une résistance inattendue. Maturité politique des sénateurs, ou guerre de lobbies ?

PHILIPPE ASKENAZY est directeur de recherche au CNRS, Ecole d’économie de Paris.

La loi Chatel sur le développement de la concurrence dans le commerce et les services a donné lieu en coulisse à une forte mobilisation des lobbies d’entreprise. Certaines dispositions du texte comme l’autorisation d’ouverture le dimanche des magasins d’ameublement trahissent que le gouvernement et les chambres n’ont pas été insensibles aux intérêts particuliers. Cependant, de nombreux amendements de circonstance déposés par des parlementaires convaincus n’ont pas été intégrés.

Le plus rocambolesque fut l’amendement qualifié par la profession d’« anti-Metro ». De quoi s’agit-il ? Le marché alimentaire de gros en France à destination de la restauration hors foyer (restaurants…) pèse autour de 50 milliards d’euros par an. Longtemps l’apanage de grossistes spécialisés, ce marché est depuis quelques années grignoté par le « cash and carry », c’est-à-dire des grandes surfaces généralistes réservées aux professionnels. Elles détiennent désormais près de 12 % du gâteau. L’allemand Metro domine largement ce sous-segment. Avec son enseigne PromoCash, le groupe Carrefour arrive loin derrière. Les distributeurs français n’avaient pas anticipé la réussite de ce concept importé des Etats-Unis en Allemagne puis en France. Pourtant, le groupe Casino dispose d’une florissante filiale de cash and carry aux Etats-Unis et voit tous les jours l’intérêt pour certains professionnels d’une formule souple et d’un accès à une large gamme de produits.

Or, depuis 2005, les grossistes bénéficient du « coefficient 0,9 », c’est-à-dire qu’ils peuvent vendre 10 % en dessous du seuil de revente à perte. La loi Chatel modifiant ce seuil devait confirmer cet avantage pour tous les distributeurs en gros. La puissante Confédération française du commerce interentreprise, la CGI, qui regroupe les grossistes traditionnels, a alors lancé une active campagne – presse, courriers aux parlementaires – pour en exclure le cash and carry. Tous les arguments étaient bons : sauver le commerce de proximité et même préserver la santé de la population. Le président de la CGI s’offrait le luxe d’invoquer l’« intérêt général » pour cette mesure particulière dans une tribune publiée par un quotidien national.

Résultat, un opportun amendement a été adopté par le Sénat excluant du dispositif les « libres-services de gros », en clair le cash and carry. Privé de la possibilité d’offrir à ses clients des promotions de 10 %, le cash and carry aurait vu son développement cassé et potentiellement aurait décliné au grand profit des adhérents de la CGI. En face de ce lobby, le cash and carry souffre d’un handicap : son absence de réseau politique. D’ailleurs, très finement, le promoteur de l’amendement « anti-Metro », le sénateur centriste Pozzo Di Borgo, a souligné lors des débats une de ses principales tares : « Les magasins cash and carry [sont] souvent à capitaux étrangers. »

On allait donc tout droit reproduire l’erreur de la loi Raffarin de 1996 qui avait ciblé les « hard discounters » « qui nous viennent de nos amis allemands » pour reprendre les mots de Jean-Pierre Raffarin, alors ministre du Commerce et désormais sénateur. Le hard discount connaissait à l’époque une croissance exponentielle que l’extension de l’obligation d’autorisation préalable d’ouverture aux magasins alimentaires de moins de 1.000 m2 a ralenti. Il aurait fallu attendre dix ans, une procédure d’infraction devant la Commission européenne et un rapport « Beigbeder low cost 2 » pour trouver du charme à un mode de distribution germanique.

Mais lors de la commission mixte paritaire Assemblée-Sénat, ultime étape du processus législatif, l’exclusion du cash and carry a été supprimée suite à « un large débat ». Les parlementaires ont montré une nouvelle maturité face à la tentation d’introduire des mesures de complaisance anti-économiques.

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