J. Thouvenel (CFTC) : Pour le repos dominical

Par Joseph THOUVENEL, Secrétaire Général Adjoint de la CFTC

Nous sommes de ceux qui considérons qu’avant d’être un problème économique, le choix du repos dominical est d’abord un choix de société. Il nous paraît nécessaire d’avoir un temps dans la semaine où la vie économique est mise entre parenthèses pour favoriser la vie familiale, associative, personnelle de tous et, pour ceux qui le souhaitent, spirituelle.

Ce temps est traditionnellement, en occident, celui du dimanche. C’est l’occasion de briser l’enchaînement qui réduit progressivement l’Homme à sa seule dimension matérielle, lui offrant comme horizon du bonheur, la gondole d’un supermarché la veille de Noël.

Ce que la CFTC, et beaucoup d’autres défendent avec le repos dominical, ce n’est pas un simple et nécessaire temps de repos, c’est une civilisation au sens premier du terme.

Ce combat n’est pas nouveau. Déjà, au milieu du XVIIIème siècle, quelques théoriciens des lumières prônaient le travail sept jours sur sept afin, disaient-ils, d’enrichir la société. La fin du XVIIIème et le XIXème siècles virent tour à tour l’emporter, les partisans du repos dominical et ceux du travail le dimanche. C’est la Chambre Laïque de la séparation de l’Eglise et de l’Etat qui fixa en 1906 le principe du repos dominical toujours en vigueur de nos jours. En vigueur, mais non figé, puisque nombre d’exceptions de bon sens sont venus en un siècle confirmer la règle.

Aujourd’hui, le coeur du débat porte sur l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, les partisans de la déréglementation s’appuyant principalement sur l’idée de liberté et du fait accompli.

Pour la CFTC, il n’y a pas de véritable liberté sans diversité. Or, la généralisation de l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, c’est la destruction du commerce de proximité, les grandes enseignes « cannibalisant » les parts de marché selon le terme d’un rapport du ministère des finances. Adieu les marchés traditionnels du dimanche matin quand la grande distribution pourra leur faire concurrence. Adieu aussi, la diversité des sources d’approvisionnement, l’exemple de l’édition devrait nous alerter.

Au fur et à mesure que disparaissent les libraires de quartiers, les maisons d’éditions indépendantes ferment leurs portes faute de réseaux de distribution, les grandes enseignes assurant le quasi-monopole des grands éditeurs. La liberté de penser s’en trouve-t-elle renforcée ?

Socialement, comme le déclarait le 29 juin Renaud DUTREIL, Ministre des PME : l’ouverture des commerces le dimanche entraînerait « la destruction de centaines de milliers d’emplois ». Destruction non compensée par des créations dans la grande distribution.

On comprendra aisément qu’un marchand de chaussures, un vendeur de vaisselles et un boucher donnent du travail à plus de monde que la grande distribution en alignant les mêmes articles dans ses rayons sans âmes.

Quand nos centres villes et nos bourgs seront complètement désertifiés, faudra-t-il payer un nouvel impôt pour amener en minibus les personnes âgées faire leurs emplettes dans les centres commerciaux ?

Quant à la liberté de choix du salarié, elle fait partie de l’imaginaire de ceux qui connaissent de façon théorique le monde économique. Le demandeur d’emploi a-t-il le choix dans un pays qui compte plusieurs millions de chômeurs, si on lui propose un contrat de travail avec une clause stipulant qu’il devra travailler le dimanche ?

Le salarié du commerce a-t-il le choix quand il sait que son refus aura pour conséquence d’être le plus mal placé pour la prise de congés, les augmentations de salaire, voire de ne plus avoir de travail du tout comme cela se produit pour les caissières de supermarchés qui, sur un simple coup de téléphone, doivent prendre leur poste dans le quart d’heure qui suit, faute de quoi leur emploi pourrait être menacé ?

Le gros des troupes de la grande distribution est constitué de mères de famille employées à temps partiel (salaire net moyen mensuel : 700 €). Dans ces conditions, a-t-on la liberté de dire oui ou non pour travailler le dimanche ? Et que deviennent les enfants de celles, de plus en plus nombreuses, qui les élèvent seules ? Seront-ils laissés livrés à eux-mêmes ?

Il est à noter que ceux qui ont légalement le droit de travailler le dimanche et les moyens financiers d’exercer ou non ce droit, font très largement le choix du repos dominical. Combien de cabinets médicaux seront ouverts le dimanche 24 décembre ?

N’est-il pas plus urgent pour le législateur de se pencher sur ce problème de santé publique qu’est le manque chronique de médecins ou de dentistes de garde le weekend, plutôt que de favoriser la vente de chaussettes le dimanche après-midi ?

Pour certains, le fait que de grandes enseignes ouvrent illégalement depuis des années démontrerait que cela est « une évolution sociétale inéluctable ». Nous sommes de ceux qui pensons que c’est la volonté des Hommes qui fait la Société et non un hypothétique sens de l’Histoire. Il y a 60 ans, c’est cette même logique qui nous décrivait le Kolkhoze comme l’inéluctable aboutissement de l’évolution économique…

Quant à l’argument selon lequel trop de « patrons-voyous » violent l’interdiction d’ouverture, alors, légalisons la délinquance ! Quitte à être rangé du côté des répressifs, il est pour nous moralement irrecevable.

Cela démontre simplement que les sanctions ne sont pas assez fortes et plutôt qu’une amende à montant fixe ridicule par rapport au bénéfice illégalement réalisé, c’est un pourcentage significatif du chiffre d’affaires qui devrait être prélevé.

Les instituts de sondage indiqueraient qu’un grand nombre de nos concitoyens serait favorable à l’ouverture des commerces le dimanche (sondage CSA – Le Parisien décembre 2006) : 50 % des Français ne sont pas en fait favorables à l’ouverture des magasins le dimanche, 49 % favorables.

Qui s’oppose à l’achat du croissant du dimanche matin avant d’aller faire son marché ? Personne.

Que disent les 75 % de Français qui répondent NON à la question : Voulez-vous personnellement travailler le dimanche ? Il est à noter que plus les personnes interrogées travaillent, plus elles défendent le repos dominical.

Au-delà des sondages ou du matraquage publicitaire, demandons-nous si le bien commun ne mérite pas un effort minime, afin de réfréner des mécanismes économiques aveugles ou des désirs de consommation immédiats pour laisser s’épanouir la vie familiale, les liens sociaux et la vie spirituelle ? Pour la CFTC la réponse est OUI, car si « il n’y a de richesse que d’Hommes », cette richesse n’est pas seulement matérielle.

Paris, le 20 décembre 2006

Joseph THOUVENEL
Secrétaire Général Adjoint de la CFTC

 

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