Faut-il légaliser le travail du dimanche ?

Question d’actualité

Faut-il légaliser le travail du dimanche ?

Par Mgr Bernard GINOUX.

Cette question est en train de trouver une réponse dans les mesures d’autorisations d’ouverture données par l’Etat aux grandes surfaces, à certains professionnels, comme récemment aux marchands de meubles.

Il est probable que l’actuel Parlement étendra cette loi à tous les types de commerces. Une fois de plus, au nom des droits humains, au nom du respect de la liberté religieuse, les hommes et les femmes conscients de l’enjeu doivent combattre  cette mesure contraire au bien social.

 

Dimanche et travail

Les arguments avancés

– Le premier est la liberté de choisir ses jours de repos, ses « RTT » selon la logique du « bon plaisir ».

– Vient ensuite l’argument économique :

  • vis-à-vis de l’entreprise commerciale : c’est le 2ème jour important du chiffre d’affaires (après le samedi )
  • vis-à-vis du salarié : il est payé double et gagne des jours de récupération
  • vis-à-vis de la société : nous avons tous constaté les « super promotions » ou « affaires en or » le dimanche et les jours fériés pour attirer le client

– L’argument fallacieux du « volontariat » …. La loi n’abolira pas le repos dominical, elle permettra « à ceux qui le veulent « de travailler ce jour-là.

– Enfin il est dit aussi que nous avons besoin de retrouver une autre organisation du temps et c’est l’argument de la séduction employé depuis longtemps pour donner quelque réflexion apparemment sérieuse à ce changement grave de conséquences.

Des réponses à ces arguments

– Choisir ses jours de repos et ses jours de travail est séduisant mais c’est oublier que nous ne vivons pas isolés : le lien social nous amène à tenir compte des personnes avec qui l’on vit, le conjoint, les enfants, la famille, les relations amicales, les activités pratiquées avec d’autres, la place du « dimanche » dans la société française.

Il y a aussi les changements de situation personnelle ou familiale qui peuvent, du jour au lendemain, nécessiter un nouveau rythme de travail : sera-t-il négociable ?

– L’affirmation que, seuls les volontaires travailleront le dimanche, est un leurre. La loi du marché s’imposera et, devant la menace de perdre son emploi, aucun salarié ne pourra échapper au travail du dimanche.

– La perspective d’un double salaire est intéressante pour le salarié mais ne justifie pas que ce dernier se « vende » car c’est la justice qu’il faut établir et non la perspective de gagner plus en sacrifiant ses droits légitimes. Cet argument du salaire ouvre la porte à des abus qu’en priorité commettront les grandes entreprises. C’est déjà le cas puisque certaines enseignes très connues préfèrent ouvrir le dimanche et payer une amende : le bénéfice est toujours plus grand que l’amende !

– L’employé est supposé être « volontaire »…cette supposition rassure mais ne tient pas dans la réalité. Comment résister à la pression économique ? Comment se distinguer de tous ceux qui, par peur de perdre un emploi, accepteront ? Quelle liberté possible face à la nécessité de gagner sa vie ?

Personne ne peut être dupe de ce prétendu « volontariat ».

Peu à peu il n’en sera plus question : ce sera pour l’employé à prendre ou à laisser.

– L’organisation du temps ne peut se faire quand, dans un famille et dans une société, personne n’a le même rythme : les enfants scolarisés et ceux qui vivent au rythme des écoles et des études se retrouveront seuls quand les adultes seront au travail.

Inévitablement ce sont les personnes défavorisées qui seront contraintes de travailler le dimanche parce qu’elles sont en situation précaire. Ainsi va-t-on vers un éclatement plus grand de la cellule familiale.

Il est donc urgent de s’opposer à cette institutionnalisation du travail le dimanche et les jours de fête. Toute société vit d’une mémoire culturelle et religieuse, faire disparaître le dimanche revient à tuer cette mémoire. Le jour de la gratuité, de la convivialité, des activités ludiques, des retrouvailles deviendra un jour « ordinaire ».

La lente banalisation de toute différence dans l’ordre des jours rend la vie uniforme.

Regardons ce que représente cet espoir chaque semaine renouvelé du repos du dimanche et de la fin de la semaine. Cette obligation- devenue légale en 1906 par les lois de la République française qui a pris le relais de l’Eglise – est non seulement un droit mais aussi une nécessité sociale. Tous ceux qui en sont convaincus, croyants ou non, ont à le dire et à faire respecter ce droit de notre civilisation.

Dimanche et foi chrétienne Dans la tradition judéo-chrétienne le repos hebdomadaire se réfère à la Bible et à l’origine (La Genèse) puisque dans le récit symbolique de la création du monde, Dieu, le créateur, se repose après avoir accompli son oeuvre : c’est le sabbat qui devient un jour consacré à Dieu.

Puis, avec le christianisme, le jour saint, le « seigneur des jours » sera le jour de la résurrection du Christ, la « pâque nouvelle », le premier jour de la semaine qui deviendra « dies domini » = jour du Seigneur (dimanche vient de dominical). C’est ainsi que le dimanche dans la vie chrétienne a la signi fication du sabbat, de la Pâque juive et de la Résurrection du Christ. Il est donc le jour premier et le premier des jours.

« N’ayez pas peur de donner votre temps au Christ » Jean-Paul II in Dies domini, lettre apostolique sur le dimanche publiée le 5 juillet 1998.

Cette lettre permet de reprendre toute la pensée chrétienne sur le sens du dimanche.

Elle est aussi une réflexion sur la valeur du « temps », de l’usage de notre temps, de ce don de Dieu que nous pouvons gaspiller ou faire fructifier.

Célébrer le Seigneur ressuscité

Les premiers chrétiens ont compris tout de suite que ce jour est le « jour que fait le Seigneur » et que ce jour est pour le Seigneur (relire saint Jérôme ou saint Justin, par exemple).

Célébrer le jour du Seigneur exprime non seulement la foi de l’Eglise mais aussi la place centrale de l’Eucharistie, la messe, par laquelle les fidèles (= ceux qui ont la foi) vivent ensemble le mystère de la foi : le Christ, mort et ressuscité, se rend présent par le ministère du prêtre pour que le peuple de Dieu reçoive son corps en nourriture « pour la vie éternelle ».

C’est essentiellement au sein d’une paroisse que se vit cette liturgie dominicale dont l’Eglise catholique rappelle l’obligation car, sans cette participation à l’Eucharistie, la vie dans l’Esprit-Saint n’est plus nourrie.

Il est donc nécessaire que la société civile respecte la légitime liberté des chrétiens pour qu’ils puissent vivre en toute légalité ce jour comme un jour « sacré », consacré au Seigneur.

La « sanctification » du dimanche

Parce qu’il est l
e jour du Seigneur le dimanche est aussi le jour donné aux autres.

La tradition chrétienne, que souligne Jean-Paul II dans la Lettre citée plus haut, a toujours fait du dimanche le jour consacré aux pauvres, aux démunis, aux personnes malades, seules, âgées qu’il convient de visiter, d’accueillir chez soi, d’aider…

Bien sûr, il y a au premier rang de ces rencontres, celles qui sont consacrées à la famille mais, dans le souci de tous. Enfin, le dimanche est aussi favorable à une prière plus développée, seul ou en groupe, à un passage et un arrêt dans un sanctuaire, un monastère, etc.

C’est aussi le moment où l’homme se ressource humainement et intellectuellement. Toutes ces considérations peuvent se retrouver aisément dans le Catéchisme de l’Eglise catholique (n° 1166 -1175, 2174 et suivants, 2698, …)

Conclusion

Cette rapide approche de la question me conduit en tant que citoyen français et évêque catholique à élever une protestation ferme contre ce glissement progressif vers la légalisation du travail le dimanche et les jours de fête. Ces mesures légales semblent, en apparence, respecter la liberté de chacun mais c’est un leurre : dans un contexte économique difficile les salariés n’auront pas le choix : nécessité fait loi !

Par ailleurs nous allons continuer vers d’autres dérives : pourquoi pas l’ouverture des grandes surfaces durant une partie de la nuit ? ou encore les expériences déjà réalisées de travail continu durant le week-end ? Certains salariés ou patrons répondront que chaque position a ses avantages et ses inconvénients et que si la loi le permet nous avons à la suivre. Or, précisément, tandis que le législateur se fait de plus en plus répressif sur certains sujets (tabac, par exemple) il se montre de plus en plus libéral sur d’autres.

Mais la loi n’est pas l’expression du bien en soi ou de ce qui est éthiquement juste. La lutte pour respecter le repos du dimanche quand l’Eglise, dans un Etat laïque, ne l’imposait plus, est un grand acquis social, un bien pour tous et une chance pour ceux qui le reconnaissent comme un « jour sacré ». Il serait bon de considérer ce que représente pour la vie sociale cet espace de gratuité que l’on peut laisser au plus grand nombre possible : le dimanche et les jours de fête communs à une civilisation. Comment se rencontrer, se connaître, partager des valeurs communes, si chacun est réduit à son individualité ? Comment, à travers ce refus du sens du dimanche ne pas aggraver le malaise social, la rupture familiale et la perte des repères de notre société ?

Mgr Bernard Ginoux,
Evêque de Montauban
le 5 janvier 2008

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